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Idées

La parole contre les pulsions éradicatrices

Comme ailleurs à chaque fois que la violence intégriste a fait couler
le sang, on assiste au développement de tendances éradicatrices
au sein de certaines franges de l’élite moderniste. Or, s’il
est indispensable de pointer du doigt les dérives idéologiques qui
ont fait le lit de la haine, il est impératif de militer pour le débat
et la parole doit transcender la peur et réinvestir l’espace de la
cité.

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rub 4391

Un mois s’est écoulé depuis cette funeste nuit du 16 mai où la mort s’est invitée dans Casa pour y orchestrer sa sanglante chorégraphie. Un mois a filé depuis que les Marocains se sont réveillés, groggy, à la guerre menée par un ennemi sans visage contre un monde sans pitié dans lequel le profit roi a ôté toute primauté au droit.
Un réveil dur qui remet les pendules à l’heure pour tous ceux qui se voulaient juste spectateurs de la pièce féroce qui se joue sur leurs paliers. Il leur a fait comprendre qu’il ne suffit plus de tirer la porte derrière soi pour être à l’abri des empoignades du monde. Aucun loquet n’empêche désormais les éclats de celles-ci de pénétrer les intérieurs et d’en saccager la quiétude sinon la vie.
«Nul, écrit-on et répète-t-on à satiété, n’est plus à l’abri de rien» ; cette vérité de tout temps s’étant faite plus atrocement criante depuis cette sombre nuit de printemps. Et pourtant. Et pourtant, depuis ce 16 mai, un mois a passé et doucement la vie a repris son cours. Après l’indignation et les «plus rien ne sera plus pareil», le train-train quotidien a imposé sa loi. Le choc s’est émoussé. La nouvelle réalité s’est creusé sa place.
Un mois après, que peut-on dire de l’impact de ce séisme sur nos vies à tous, en dehors des victimes directes et de leurs familles, catégories à part par la force des choses. Dans le paysage urbain, le premier signe notable en est le renforcement du dispositif de sécurité. Comme dans la plupart des capitales européennes, les interdictions de stationnement devant les lieux susceptibles de faire l’objet d’une attaque se sont multipliées. Aux représentations diplomatiques et lieux de culte juifs, cibles habituelles du terrorisme en Occident, se sont rajoutés les grands hôtels, les restaurants et les boîtes de nuit devenus aussi les objets potentiels de la vindicte meurtrière des fous de Dieu.
Faire planer la menace de mort au-dessus de la tête de tous ceux qui entendent goûter de temps à autre aux plaisirs de l’existence, qu’ils soient des sens, du cœur ou de l’esprit, tel est le message sans équivoque libellé par les auteurs du carnage du 16 mai.
Cette insouciance et cette légèreté de l’être qui, lorsqu’elles vous mettent des bulles dans l’âme, teintent les jours en rose même quand le ciel est gris en sont, pour un temps du moins, les premières victimes. Certes, les espaces de distraction de la capitale ont progressivement récupéré leur clientèle, mais dans l’arrière-fond de l’esprit de chaque personne qui met le nez dehors, il y a désormais cette petite loupiote qui clignote en disant «attention, risque possible !».
Au regard de ce qu’endurent les oubliés de la vie qui ont perdu jusqu’au sens même du mot plaisir, cela en soi n’a rien de vraiment dramatique, s’il n’y avait un corollaire lourd de conséquences. Ce corollaire, c’est le poison de la suspicion qui en découle. Une chose jusque-là quasi étrangère à nos mœurs a fait son entrée dans notre quotidien : le délit de faciès.
Un jeune au regard quelque peu sombre qui a le malheur de porter un sac à dos et voilà le soupçon qui pointe. Il est désormais fréquent de voir la police opérer des contrôles auprès de personnes dont le seul tort est d’avoir un look pas suffisamment policé.
Une autre victime notoire de ces tragiques évènements est l’ouverture au dialogue chez ceux-là mêmes qui prônent le débat démocratique. Comme ailleurs, comme à chaque fois que la violence intégriste a fait couler le sang dans un pays donné, parallèlement à la crispation sécuritaire de l’Etat, on assiste au développement de tendances éradicatrices au sein de certaines franges de l’élite moderniste.
Or, s’il est indispensable de mettre chacun face à ses responsabilités, de pointer du doigt les dérives idéologiques qui ont contribué à faire le lit de la haine et du meurtre, il est tout aussi impératif de militer plus que jamais pour le débat. Plus que jamais, la parole doit transcender la peur et réinvestir l’espace de la cité. Elle doit être l’aiguillon et le pont.
L’aiguillon pour éveiller les consciences, le pont pour les faire se rapprocher