Idées
La monotonie du marathon budgétaire
A défaut d’un réel débat parlementaire sur la Loi de
finances, ne serait-il pas utile d’engager un débat sur la place
du Parlement, aujourd’hui, en matière budgétaire ? La procédure
applicable à l’examen des Lois de finances n’appelle-t-elle
pas révision ? La revitalisation de la démocratie budgétaire
n’exige-t-elle pas une réforme de la loi organique ?
Les deux Chambres consacrent chaque automne des centaines d’heures à l’examen du projet de Loi de finances. Il s’agit de l’un des grands moments du calendrier parlementaire. Néanmoins, le débat budgétaire est le plus contesté de tous les débats parlementaires. Sa longueur, sa concentration sur une courte période, sa monotonie, son apparente inefficacité font l’objet de critiques répétées qui confortent ses détracteurs. Année après année, le nombre de députés participant au débat se réduit. Le vote à main levée de quelques acharnés ne peut dissiper l’affligeante image du vote par le pied des irréductibles absentéistes. Au- delà des déficiences qui entachent le processus démocratique, n’y a-t-il pas dans les règles de l’organisation de la discussion budgétaire des adaptations plus ou moins audacieuses destinées à «réveiller» le débat budgétaire ? Le problème ne réside-t-il pas aussi dans les limites du pouvoir de contrôle dont disposent les deux Chambres ?
La tentation est grande, en raison de la nature même des Lois de finances, d’essayer d’apprécier, chaque année, de façon quantitative les résultats du «marathon budgétaire». Et elle l’est d’autant plus que le calcul paraît simple: il suffit de comparer le tableau d’équilibre du projet de loi avec celui définitivement adopté par les chambres, d’en rapprocher les grandes masses et d’exprimer, en pourcentage, les modifications qui leur ont été apportées. L’exercice est classique et sans surprise. Son invariable conclusion conduit à juger dérisoire ou pratiquement nulle l’influence des deux Chambres sur le budget de l’Etat. En confiant au pouvoir exécutif le monopole des Lois de finances, en encadrant le droit d’initiative des parlementaires, l’équilibre institutionnel aboutit à l’évidence à limiter le pouvoir du Parlement en matière budgétaire.
Cette approche quantitative des résultats de la discussion parlementaire serait toutefois peu significative. L’équilibre institutionnel laisse bien une certaine marge de manœuvre aux deux Chambres. Cela suppose que ces dernières mettent l’accent sur le contrôle budgétaire. Or depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi organique, le contrôle n’a pas connu le développement auquel on pouvait légitimement s’attendre. Le Parlement n’a pas fait preuve d’un souci d’améliorer les instruments dont il dispose pour exercer son contrôle sur le budget de l’Etat. Il en a d’autant plus ressenti le besoin que l’évolution de la situation des finances publiques et les contraintes qui en résultent ont conduit le gouvernement à user, et parfois même abuser, de son pouvoir réglementaire dans la gestion des crédits. Les Chambres, même si elles continuent à contrôler les dépenses et les recettes à l’occasion de l’examen du projet de Loi de finances, n’ont pas su mieux tirer parti d’autres dispositifs pour affirmer leur rôle.
Il ne faut donc pas s’étonner que les débats budgétaires provoquent l’ennui. A défaut d’un réel débat parlementaire sur la Loi de finances, ne serait-il pas utile que s’engage un débat sur la place du Parlement, aujourd’hui, en matière budgétaire ? Encadrée par des dispositions constitutionnelles et organiques spécifiques, la procédure applicable à l’examen des Lois de finances n’appelle-t-elle pas une révision ? Plus précisément, la revitalisation de la démocratie budgétaire n’exige-t-elle pas une réforme de la loi organique ? La révision de cette loi intervenue, en 1998, n’a concerné que des questions procédurales. Or, le monde des finances publiques a beaucoup changé. L’Etat est appelé à rendre des comptes et le sentiment prévaut qu’il ne le fait pas assez. La coexistence de ce sentiment avec la permanence figée de la loi organique, véritable constitution financière du pays, conduit naturellement à s’interroger sur d’éventuelles interférences entre ces deux phénomènes. Défendre l’autorité des votes du Parlement n’est pas incompatible avec l’octroi de davantage de souplesse de gestion à l’exécutif. Ces deux objectifs ne sont aucunement contradictoires avec le souci de bonne gestion des finances publiques. Car redonner du sens aux Lois de finances est, ipso facto, redonner du sens à l’action publique.