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Idées

La laine et le gigot

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rub 4481

Annoncé pour dimanche 1er février, Aïd Al Adha fait partie de ces rares fêtes de notre calendrier de l’Hégire dont on prévoit l’avènement dix jours à l’avance. Ce n’est pas rien lorsqu’on est en passe d’occire un ovin et d’abord de l’acheter. Au prix que coûte la bête cette année, c’est juste ce qu’il faut pour que la population plus ou moins démunie se retourne : qui vers la famille, qui vers ces nouvelles formules de crédit dont les taux d’intérêts coûtent la peau des fesses, c’est à dire celle du gigot.
Un philosophe anglais des siècles passés et qui n’a rien à voir avec nos coutumes disait : «Il est de l’intérêt du loup que les moutons soient gras et nombreux». Non, ce n’est pas le penseur anglais Hobbes qui, lui, pense que «l’homme est un loup pour l’homme». Il s’agit d’un certain Jéremy Bentham, lequel, soit dit en passant, n’a aucun lien de parenté avec un pote de la fac nommé Benthami à qui l’on souhaite un bon mouton. Les philosophes anglais aiment bien les loups alors que nous autres nous avons un faible pour les ovins et ça remonte à Abraham qui a failli zigouiller un de ses enfants. Woody Allen, cinéaste juif new-yorkais et donc aussi fils d’Abraham – mais ça, nombre de musulmans et d’israélites semblent l’oublier – a un chapitre tordant sur la question dans un de ses opus. Mais là, on s’égare. Alors revenons à nos ovins pour dire que l’on assiste depuis quelques années à la naissance d’une «économie du mouton» que la presse relaie avec force enquêtes, commentaires et placards publicitaires. Il n’est que de lire les journaux depuis plus d’une quinzaine de jours pour s’en rendre compte. On a annoncé des prix au kilo, sondé les premiers frémissements du marché, publié des entretiens avec différents responsables du secteur. Par ailleurs, les annonceurs de plusieurs sociétés de crédit ont matraqué les lecteurs de ces placards, de plus en plus fignolés, où surgissent des têtes de béliers tatouées d’un chiffre». 150 DH /mois.» Non loin, on peut aussi voir cette autre publicité vantant le beau temps à Agadir avec une «offre spéciale Aïd» à 400 DH en chambre double dans un hôtel de la ville.
Qu’est-ce à dire ? Sommes-nous dans une économie du marché ovin d’un genre nouveau ? Ou alors dans une espèce de post-modernité économique qui consiste à faire du nouveau avec de l’ancien afin de s’en mettre plein les poches ? On se perd en conjectures comme disent les analystes de l’économie du mouton qui donnent leur langue au chat. Mais une question mérite une réponse : tout cela est-il raisonnable économiquement parlant ? L’année dernière, déjà, on a lu dans un journal économique que cette frénésie consumériste est destinée à relancer la croissance, à impulser le développement du monde rural, bref à générer du bien-être social. Mais aucun bilan n’est venu confirmer ces hypothèses, aucune statistique à se mettre sous la dent.
Ce fut donc du pipeau servi par ceux qui savent, comme disent les Arabes «min ayna touâalou al katif» ( par où on entame l’épaule, du mouton bien sûr.) Et cela nous ramène à la citation de notre philosophe anglais Bentham sur les préférences du loup.
Toujours dans la presse économique, mais cette fois-ci pour s’émouvoir de la situation. C’est notre ami et néanmoins confrère, qui plus est directeur général – ce qui ne gâche rien – de L’Economiste, Khalid Belyazid, qui écrit dans un court édito intitulé «Mouton» : «L’Aïd al Adha est une pratique religieuse importante, pour rappeler la soumission à Dieu ; il n’est pas question de la contester. Mais appliquée dans les villes, dans l’état de pauvreté du pays, elle pose un problème social, d’endettement, de vente d’effets personnels, le divorce…Cela dure depuis des décennies et s’aggrave ; le prix relatif du mouton s’élève, car la population croît plus que le cheptel…»
Pour conclure, on peut dire que si tout est bon dans le mouton : la laine comme le gigot, il en est qui préfèrent manger la première sur le dos des gens de peu. Allez, cette année les moutons seront nombreux et bien gras, comme ça le loup sera content. Bonne fête quand même et gaffe à boulfaf !