Idées
La dictature des médiocres
Ailleurs, on courtise l’intelligence et le mérite,ici on l’assassine. C’est le règne des petits chefs dont le comportement oscille entre l’attitude dictatoriale et la servilité selon qu’ils soient en position d’autorité ou de subordination. Les Marocains en ont assez.
Pourquoi notre pays, lentement mais inexorablement, se vide-t-il de sa matière grise ? Pourquoi ses compétences vont-elles s’épanouir ailleurs? Pourquoi sa jeunesse ne rêve-t-elle plus que de départ ? Pourquoi, à l’heure o๠d’autres nations, au même stade que lui dans les années 60, s’en sortent avec éclat, continue-t-il pour sa part à s’enfoncer dans le tunnel noir du sous-développement ? La réponse, nous la connaissons tous. Elle se nomme indigence intellectuelle. Elle se nomme logique de sujétion. Elle se nomme suprématie de la médiocrité. Ailleurs, on courtise l’intelligence et le mérite, ici on l’assassine. C’est le règne des petits chefs dont le comportement oscille entre l’attitude dictatoriale et la servilité selon qu’ils soient en position d’autorité ou de subordination. Examen de fin de parcours. Le jury prononce sa sentence : «Non admissible». Le jeune candidat est sous le choc. Ce qu’il craignait de pire est advenu. Il avait préparé son examen avec une extrême minutie. Et était sorti heureux de l’épreuve : maà®trisant son sujet, il avait «cartonné». Mais les jeux étaient faits depuis le départ. Parce qu’il n’a jamais appris à raser les murs, parce qu’il est hermétique au rapport de sujétion, aujourd’hui, l’addition lui est présentée. Une addition pour le moins corsée puisque tout son avenir est menacé de passer à la trappe. Autour de lui, ses camarades s’indignent. Ils le savent compétent. Ceux qui l’ont jugé le savaient aussi. Mais, juge et partie à la fois, leurs termes de référence étaient autres. Submergé par l’écÅ“urement devant l’injustice dont il est l’objet et contre laquelle il n’a que peu de recours, le jeune homme perd d’un coup son innocence. Dépouillé de ses illusions, brisé dans son for intérieur, il n’a plus qu’un désir : partir, fuir cet univers de petitesse et de mesquinerie, s’en aller là o๠on l’on vous dispense un véritable enseignement et o๠l’on vous juge sur votre compétence. Là o๠tout simplement l’on vous respecte … et o๠l’on se respecte soi-même en tant que dispensateur de savoir. Combien ont-ils été, combien sont-ils, combien seront-ils encore ceux qui, comme ce jeune homme, sont amenés, à un moment décisif de leur vie, à se voir briser les ailes par un système qui, pour perdurer, a avili, déresponsabilisé, tué jusqu’au sens même de l’éthique ? Tant et tant. La sève vive d’une société que, méthodiquement, l’on s’est évertué à assécher à la base. Face à l’immensité des problèmes à résoudre pour tirer le pays de l’ornière dans laquelle il s’enlise, l’impuissance saisit. L’impuissance et l’effroi. Car, o๠que le regard se porte, c’est la même perversion que l’on retrouve ; celle distillée par ce cocktail meurtrier de l’incompétence, de l’arbitraire et du pas pris par les valeurs négatives sur les valeurs positives. Cela ne peut plus durer. Nous avons besoin d’une véritable révolution mentale. Toutes les réformes du monde ne mèneront à rien si l’on ne se décide pas enfin à dispenser un enseignement qui forme des esprits libres. Libres signifie critiques et donc aussi, par moment, contestataires. Contestataires, oui ! Par crainte de la contestation, on a érigé en politique le maintien dans l’ignorance. Plus de 50% de la population marocaine est toujours incapable de lire et d’écrire. Et les cinquante autres, formés à ânonner et à répéter. Une honte, un scandale, un drame ! Et une bombe à retardement dont la minuterie s’est depuis longtemps mise en marche ! Que faire ? Il n’y a pas de mystère. Il faut, à l’échelon le plus élevé de l’Etat, en avoir conscience. Une conscience si forte, si douloureuse qu’elle en ôte le sommeil et se fasse aiguillon à chaque stade de la décision. Une conscience qui devienne volonté politique, une volonté politique qui devienne politique volontaire. Il y a tellement de richesses en ce pays, tellement de richesses et de potentialités que c’est à en pleurer. Si au moins, nous n’avions rien ! Mais nous avons tout ! Un pays magnifique, des richesses naturelles et des gens formidables quoique l’on puisse dire. Voyez la rue marocaine : elle est sale, bruyante, indisciplinée mais combien, dans le fond, foncièrement sympathique. Gentils, serviables, bons vivants, les Marocains sont tout cela dans leur nature profonde. Pour tirer ce pays vers le haut, ils ne demandent qu’une chose : du respect