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Idées

La Bourse victime du comportement moutonnier

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Le Masi s’écroule, la Bourse plonge et les boursicoteurs atterrissent. En une semaine, l’indice boursier qui rend compte de l’évolution des cours des actions cotées sur le marché de Casablanca a baissé de 15%. Sévère, la correction rompt avec l’euphorie des mois précédents. Bien sûr, comme à l’accoutumée, les explications des chroniqueurs spécialisés ne manquent pas : le ralentissement de l’économie nationale, l’inadéquation de l’envolée des cours avec les fondamentaux, les analyses contradictoires des sociétés de Bourse, les avertissements de résultats financiers moindres qu’annoncés, lancés par les dirigeants de quelques entreprises de renom, etc.

Tout cela est sans doute vrai : dans une économie comme la nôtre, où les interdépendances sont à la fois nombreuses et complexes, il est inévitable que les cours boursiers réagissent – et parfois surréagissent – aux multiples événements qui influent sur l’activité économique des entreprises.

C’est que le ralentissement, en freinant la croissance, semble devoir freiner également les débouchés : or, les marges de profit, chacun le sait, se jouent largement sur les 5% de ventes en plus ou en moins par rapport aux prévisions, qui font toute la différence entre un exercice décevant et un exercice satisfaisant. Dans le langage boursier, la satisfaction exige une progression substantielle des profits : chez les gens bien élevés, on n’exprime ses sentiments qu’à partir d’un chiffre suffisant.

Cependant, si les cours avaient été orientés à la hausse plutôt qu’à la baisse, ne doutons pas qu’ils auraient trouvé au moins autant d’explications plausibles : la baisse des prix du pétrole, le bon comportement des secteurs non agricoles, le tassement du déficit budgétaire. Ou même – on peut toujours rêver – l’annonce d’une baisse du chômage. C’est que, de nos jours, les boursicoteurs ont un comportement moutonnier… l’avis de l’expert peut faire changer les anticipations du tout au tout. En peu de jours, quelques centaines de milliers d’opérateurs ont changé d’avis. Est-ce bien raisonnable ?

Déjà, chez les Romains, les aruspices analysaient les entrailles des oiseaux pour y décrypter les volontés des dieux. De nos jours, on se salit moins les mains. A New York, le Wall Street Journal s’est livré à une expérience intéressante : chaque début de mois, depuis plus de dix ans, quatre experts sont invités à choisir un titre dont ils pensent qu’il va se valoriser mieux que la moyenne (ou se dévaloriser moins). Parallèlement, un tirage au hasard est effectué parmi tous les titres (tirage censé être effectué par un «singe»), et l’on regarde les performances comparées des experts, du singe et de la moyenne des cours (représentée par l’indice Dow Jones).

Dans 61% des cas, les experts ont battu le singe, et dans 51% des cas, ils ont fait mieux que l’indice d’ensemble. Mais, ajoute Florin Aftalion, professeur de finances, qui rapporte l’histoire, si l’on tient compte de la volatilité des titres et des dividendes, experts, singe et indice sont quasiment à égalité. Manifestement, les singes sont plus astucieux que nous ne le pensons… et les experts moins ! Pas étonnant, commente notre professeur: les marchés financiers sont efficients, les cours reflètent parfaitement toute l’information disponible et, comme l’information nouvelle est imprévisible, le choix au hasard n’est pas moins performant que le choix d’expert.

Il conclut : inutile de faire confiance aux experts, le marché en sait plus qu’eux. Mais on voit bien que, à ce petit jeu, il ne faudrait pas pousser beaucoup pour conclure aussi que le marché en sait plus que les professeurs de finances, et plus que les économistes, puisque ces derniers, en nombre croissant, arrivent à connaître globalement toute l’information disponible et à l’incorporer dans leurs prévisions.
Toutefois, qui pouvait être naïf au point de croire que la Bourse allait maintenir son trend ascendant?

Personne, sauf les boursiers, emportés par un optimisme mimétique irrationnel : si les autres achètent, j’achète aussi, parce que je crois que les autres en savent plus que moi. Et brutalement, je découvre que ce n’est pas vrai : que personne n’est capable de jouer les aruspices et deviner de quoi l’avenir sera fait. Ce jour-là est un triste jour, car il me faut convenir que ce n’est pas la raison qui mène la Bourse, mais la foi.

Espérance, foi, il ne reste que la charité pour boucler la boucle des «vertus théologales». Alors, faisons preuve de charité à l’égard de tous ces boursiers qui ont cru s’enrichir et qui se sont appauvris. La messe économique est dite