Idées
Jusqu’à quand peut-on surfer sur la vague ?
Pourquoi M. Bush n’at-il pas voulu signer le protocole de Kyoto et réviser le mode de production en vigueur dans son pays ? Parce que cette réglementation allait réduire les formidables bénéfices de ses amis texans, les trusts charbonniers et les pétroliers.
L’image a été saisie au vol au cours d’une balade matinale. Celle d’un homme couché à même le plancher exigu d’une cahute en bois. Recroquevillé en position fÅ“tale, il dort à poings fermés. On l’appellera le dormeur non du val mais de l’infortune. La rue s’est réveillée sans que cela ne tire son gardien de son profond sommeil. Il a veillé toute la nuit puis, quand le soleil a pointé, a dû s’écrouler de fatigue. Cette image, par association d’idées, fait dériver loin de ce quartier huppé d’Anfa, là -bas, dans cette Nouvelle-Orléans dévastée par les eaux. Allez savoir pourquoi, on pense à cette ville avalée par les flots, à ces milliers de morts, à ces centaines de milliers de sans-abris. Qui, se demandait-on, pouvait avoir raison de la suprématie américaine et de l’arrogance de son président ? La réponse ne s’est pas fait attendre. Une colère de la nature et il n’est plus de puissance qui tienne. La planète Terre se rappelle au bon souvenir de ceux qui la martyrisent. Elle leur dit qu’elle n’aime pas les déséquilibres. Que ceux-ci finissent toujours par se retourner contre les hommes qui les créent. Qu’on ne peut indéfiniment surfer sur la vague. Il vient un moment oà¹, en s’écrasant, celle-ci écrase celui qui parade au-dessus d’elle. Le drame de la Nouvelle-Orléans a sonné le tocsin dans une Amérique en proie au désamour du monde. Avec le 11 septembre, son sentiment d’invulnérabilité a vécu. Mais celui-ci avait été le fait des hommes. Il fut possible de pointer du doigt l’ennemi venu d’ailleurs, de stigmatiser le «mal» et de partir en croisade contre lui. Là , l’agresseur, c’est l’élément. Et contre l’élément, aucune vengeance n’est possible. Cependant, dans ce drame, les éléments ne sont pas seuls en cause. Il y a également le mépris à l’égard de tout ce qui ne sert pas les intérêts pécuniaires d’une petite caste de nantis. Si, récemment, les USA auraient, semble-t-il, infléchi leur position sur la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, Bush junior avait commencé son mandat en refusant de signer, en 1997, le protocole de Kyoto relatif à cette réduction, ce que d’aucuns n’hésitèrent pas à qualifier «d’acte criminel». La réticence américaine en matière d’environnement met en effet en danger l’avenir du globe. Les Etats-Unis, qui comptent 4 % de la population mondiale, produisent à eux seuls le tiers des émissions de gaz à effet de serre. Or, les principaux gaz responsables de cet effet, CO2, méthane et protoxyde d’azote, entraà®nent à long terme un réchauffement irréversible de la planète. Les dérèglements climatiques auxquels on assiste en seraient le fruit. Le réchauffement de la planète se traduit par une élévation de la température de la mer d’o๠une montée du niveau des eaux, ce qui favorise en particulier la création des ouragans et accroà®t leur pouvoir destructeur. Depuis 25 ans, l’intensité et la durée des ces derniers ont augmenté de 50%. Avec Katrina, plus grosse catastrophe naturelle de l’histoire des USA, la boucle se ferme. Pourquoi M. Bush n’a-t-il pas voulu signer le protocole de Kyoto et réviser le mode de production en vigueur dans son pays (50% de l’énergie américaine provient encore de centrales thermiques au charbon, carburant le plus polluant)? Parce que cette réglementation allait réduire les formidables bénéfices de ses amis texans, les trusts charbonniers et les pétroliers. Pourquoi les crédits qui auraient permis de conforter les digues qui ont cédé sous le cyclone ont-ils été sabrés ? Parce qu’on ne peut à la fois réduire les impôts des plus riches, augmenter les dépenses militaires et ne pas diminuer les budgets publics. Pourquoi 20% de la population de la Nouvelle-Orléans n’a-t-elle pu obéir à l’ordre d’évacuation général. Parce que, démunie, elle ne possédait pas de moyen de locomotion et que personne ne s’est soucié de lui en fournir. Déséquilibre encore. Revenons maintenant à notre dormeur. Quel rapport avec les sinistrés de Louisiane? Aucun sinon le déséquilibre. Entre cet homme qui dort, à même le sol et ces maisons cossues qu’il garde, il y a un tel fossé qu’on frémit à l’idée du déséquilibre social auquel cela renvoie. Faudra-t-il attendre qu’un cyclone, humain cette fois-ci, dévaste tout sur son passage, pour se réveiller à cette réalité ? Un courrier électronique tombe : «Appel à une mobilisation générale de la société civile contre la pauvreté». On dit OK et puis on passe à autre chose. La bombe, pourtant, est là , visible de tous….