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Idées

Jours obscurs pour les démocrates européens

Eclatante en France, la montée du populisme et de l’extrême-droite marque ces élections européennes dans leur ensemble, sonnant comme un coup de tocsin pour l’ensemble du Vieux Continent. Certains n’hésitent pas à  faire référence aux années 30 et s’épouvantent du réveil de la «bête immonde»

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Hinde Taarji 2014 06 03

«Séisme», «choc», «coup de tonnerre», la presse occidentale est à court de métaphores pour qualifier le succès de l’extrême-droite française aux élections européennes du dernier vendredi de mai. Le Front national devenu «premier parti de France» avec 25% des votes, distançant largement la droite classique (20,8%) et alors que les socialistes au pouvoir prennent une sévère déculottée (-14%), c’est l’image même de l’Hexagone qui s’effondre. «De nombreux partis populistes, eurosceptiques ou même nationalistes font leur entrée au Parlement européen (…) mais la France est naturellement un signal grave avec le Front national», a déclaré sans prendre de pincettes le ministre allemand des affaires étrangères. Ce séisme politique était attendu, les sondages l’ayant amplement annoncé. Mais, maintenant que les jeux sont faits, le coup est rude même pour qui n’est pas européen.

Eclatante en France, la montée du populisme et de l’extrême-droite marque ces élections européennes dans leur ensemble, sonnant comme un coup de tocsin pour l’ensemble du Vieux Continent. Certains n’hésitent pas à faire référence aux années 30 et s’épouvantent du réveil de la «bête immonde». Tout en s’abstenant de comparaisons excessives, on ne peut qu’être secoué par la victoire d’un Front national dont la xénophobie déclarée et revendiquée en a longtemps fait l’épouvantail de la scène politique française. Aujourd’hui, cet épouvantail a rejoint la cour des grands. Habilement lifté par sa nouvelle présidente, Marine Le Pen, qui a magistralement remporté son pari, il s’est banalisé au point que, selon un sondage, 40% des Français le considèrent désormais comme un parti comme les autres. Sa victoire, si elle ne porte pas aujourd’hui à grande conséquence, est à considérer avec la plus grande inquiétude pour 2017, quand les Français auront à choisir le prochain président de la République. Car, désormais, le FN représente cette troisième force politique capable de concurrencer les deux grands partis français de gauche et de droite. Jusqu’à présent, les prétentions présidentielles de Marine Le Pen pouvaient prêter à sourire. Après cette victoire sans précédent, elles font frémir car un Front national accédant à l’Elysée n’est plus un scénario impossible.

En quoi cette montée du populisme en Europe, avec ce triomphe de l’extrême droite en France, nous concerne-t-elle ? Elle nous affecte à un double niveau, d’abord du fait de la présence sur le sol européen d’une forte diaspora marocaine et ensuite parce que le Vieux Continent incarne cette société et ces valeurs démocratiques vers lesquelles nombre d’entre nous tendent. Pour les non-Européens de souche parmi lesquels les originaires du Maroc, ces résultats des élections européennes sont une très mauvaise nouvelle. Même s’il s’agit en premier lieu d’un désaveu de l’Europe, de ses fonctionnaires et de sa politique d’austérité, à travers ces bulletins de vote placés dans l’urne en faveur des populistes, c’est le rejet de l’étranger qui transparaît. Selon un sondage «jour de vote» IFOP, 88% des électeurs de Marine Le Pen ont cité l’immigration comme enjeu déterminant avant l’insécurité (82%) et l’emploi (78%) ! Que ce parti-là qui prône «la préférence nationale» et propose des mesures du type suppression dans la loi française de la régularisation des clandestins, limitation de l’immigration légale et suppression du droit du sol devienne, même si certains contestent l’appellation, «le premier parti de France», c’est tout juste un cauchemar pour ces jeunes de la diaspora nés en France et donc citoyens français mais qui sont régulièrement exposés à la discrimination et à l’exclusion. Cette victoire du Front national signifie, ni plus ni moins, la légitimation de la xénophobie par un quart de la population française.

Jours obscurs pour les démocrates français mais horizons assombris également pour qui, ailleurs, rêve de démocratie. Rejet de l’étranger, préférence nationale, repli sur soi, elles sont bien loin les valeurs généreuses d’égalité, de liberté et de fraternité inscrites sur le fronton des institutions françaises. La construction de la démocratie, tâche en soi ardue et laborieuse, nécessite l’appui de modèles de référence. Ces modèles, c’était jusque-là en Europe, et en France notamment, qu’on allait les chercher. Si cette Europe, sous l’effet de la crise économique et sociétale, cède à ses anciens démons et laisse «la bête immonde» renaître de ses cendres et réoccuper le terrain, alors, chez nous aussi, nos «3afarites», pour user d’une expression si chère à notre chef du gouvernement, de l’obscurantisme et de l’intolérance reprendront du poil de la bête en arguant, preuves à l’appui, que la démocratie n’est qu’une vague fumisterie.