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Idées

Impossible dilemme

A voir le changement de physionomie d’une plage comme les Sables d’or, on ne peut que constater la progressive avancée de l’«islamisation» de la société. Mais comment lutter contre ce que vous considérez comme un cancer mortel pour les libertés individuelles sans porter vous-même atteinte à  celles de ceux qui ne pensent pas comme vous ? Que celui qui connaît la réponse fasse signe !

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Une plage connue depuis toujours. Ou du moins depuis que votre conscience d’enfant a mué vers celle de l’adulte. Cette plage-là , donc, fait partie de votre monde personnel. Ses moindres contours et ses plus infimes rochers, vous les connaissez avec une précision de géomètre. Du coup, parce que, depuis toujours, vous avez été là , vous avez le sentiment que ce lieu est immuable. Qu’il est vôtre comme vous êtes sien. Tant d’images y sont associées qu’à  y revenir, c’est chaque fois un album photo qui déploie ses pages. Quelle n’est donc votre surprise, pour ne pas dire votre traumatisme, quand un beau jour, votre regard s’étant par mégarde décillé, vous en découvrez le nouveau visage. C’est alors un réel électrochoc. Car ce visage-là  vous tétanise. Il vous glace pour ce qu’il vous renvoie d’une réalité que, la plupart du temps, vous vous refusez à  appréhender : la réalité d’une certaine évolution – pour ne pas dire une évolution certaine – de cette société qui est la vôtre et dans laquelle vous avez parfois bien du mal à  vous retrouver. Sables-d’or, près de Rabat, dimanche dernier. L’été s’annonce sans complaisance. Le soleil tape de toutes ses forces. La mer est d’humeur taquine avec de bonnes grosses vagues qui s’écrasent sur le rivage sous le rire des enfants. Beaucoup de monde se bouscule sur le sable. Mais ce monde-là  a quelque chose de bancal, d’incomplet. Il est quasi uniforme, submergé par une dominante : la dominante du masculin. Sur cette plage des premiers émois o๠tant d’adolescences radieuses se sont écoulées, fini les bandes de garçons et de filles qui remplissaient l’atmosphère de leur fraà®cheur. Dans cet espace-là , désormais, le féminin est réduit à  une place congrue. Encore présent, certes, mais affreusement minoritaire. Mis sur la touche. Des images que l’on aurait cru venues d’ailleurs blessent le regard. Ainsi de ces hommes en maillot se délectant du plaisir de la baignade tandis qu’assises sous le soleil brûlant des femmes suent à  grosses gouttes sous leur superposition de tissu. Pas des vieux, pas des grands-pères et des grands-mères ! Non, des jeunes dans la force de l’âge, des hommes et des femmes du XXIe siècle pour qui la normalité est que monsieur expose ses adalat au soleil pendant que madame se noie dans sa sueur en surveillant les gosses ! Certes, le respect des convictions des uns et des autres s’impose mais il est difficile, face à  de pareils spectacles, de réprimer un haut-le-cÅ“ur. On a beau vouloir comprendre, prôner la tolérance et le refus de juger, la révolte vous submerge. Le respect des genres, vous dit-on. Mais de quel respect peut-il être question dans un tel contexte ? Soumission aux prescriptions divines. D’accord, mais comment se fait-il que cette soumission-là  ne soumette que les femmes ! On aura beau tenter d’expliquer les subtilités de cette logique, elle demeure totalement hermétique pour les mécréantes de mon espèce. Plus qu’hermétique, inacceptable. Inacceptable car injuste et insultante pour les femmes dans leur ensemble. Non, pas d’accord, rétorque mon amie Khadija qui revendique et porte son hijab avec une fierté d’amazone. Si injustice il y a, ce n’est pas là  qu’elle se situe. Pour une femme qui a choisi de se voiler, l’injustice, c’est le refus de l’Etat de mettre à  sa disposition des piscines et des plages non mixtes. Pourquoi, renchérit-elle, ce plaisir de la plage qui t’est permis à  toi ne l’est pas à  moi ? Moi aussi je veux avoir le droit de me baigner mais dans le respect de mes convictions. C’est-à -dire loin du regard des hommes. Impossible dilemme. Sur le plan du principe, Khadija a mille fois raison. Mon droit vaut le sien. Sauf que, si le sien lui est octroyé, le mien ou plutôt celui des femmes qui n’ont pas ma capacité à  dire non court le risque de passer encore plus vite à  la trappe. Sur cette plage de mon enfance, il est heureusement toujours des jeunes filles et femmes en maillot de bain qui font le pied de nez aux barbes en goguette. Mais souscrivons au désir légitime de Khadija d’avoir sa plage non mixte et c’en sera fini pour de bon de la mixité balnéaire. Et au-delà  de la mixité dans d’autres espaces publics. Car il n’y a pas lieu de se leurrer. A voir le changement de physionomie d’une plage comme les Sables d’or, on ne peut que constater la progressive avancée de l’«islamisation» de la société. C’est un fait sur lequel il serait vain de se mentir. Comment maintenant lutter contre ce que vous considérez comme un cancer mortel pour les libertés individuelles sans porter vous-même atteinte à  celles de ceux qui ne pensent pas comme vous ? Que celui qui connaà®t la réponse fasse signe ! Certaines images en provenance d’Iran donnent à  réfléchir. Celle de cette professeur de danse qui fait des séjours réguliers en prison parce qu’elle se bat pour danser et enseigner la danse. Celle de ce premier groupe de rock mixte en République islamique. Et celle de ces ultra-conservateurs qui pavoisent au pouvoir. Il est vite fait de perdre des libertés que l’on croyait acquises pour toujours. Les regagner par contre relève du chemin de croix.