Idées
Il faut savoir raison garder
Il s’agit de regarder les éléments sociaux comme autre chose
qu’un luxe. C’est cette révolution copernicienne qui donnera
un sens au nouveau Code du travail. Certes, les signatures en bas d’un document
engagent les parties concernées. Mais le juridisme des lignes et des alinéas,
les ponctuations des virgules offrent des portes de sorties pour les uns et les
autres.
Pas question de bouder notre plaisir : le Code du travail a été voté à l’unanimité par la Chambre des conseillers, et c’est une excellente nouvelle. Comme l’événement était renvoyé d’année en année, il a fini par perdre sa charge symbolique. Avec la confiance retrouvée des partenaires sociaux, le mouvement d’apaisement des relations professionnelles pourrait s’ouvrir d’autres perspectives. Mais l’optimisme affiché à cette occasion ne doit surtout pas virer à l’euphorie. A se bercer d’illusions nées du passé, trop vite interprétées comme autant de promesses, on se prépare à des lendemains qui déchantent. C’est quand tout va bien, plutôt, qu’il faut ouvrir d’autres chantiers sociaux aussi délicats ; ceux qui permettent de construire un avenir réellement différent du monde du travail que nous souhaitons quitter.
Face à l’épineuse question de la restructuration des entreprises, patronat et syndicats devraient se retrouver sur la nécessité de traiter le plus efficacement possible les évolutions des effectifs. Maillon indispensable pour faire face aux aléas de l’emploi, la formation professionnelle devrait être aussi sur la table des discussions bientôt. Les acteurs sociaux semblent également décidés à relancer les dossiers de l’assurance-maladie et de l’indemnisation des pertes d’emplois. Les départs en retraite attendus à un horizon rapproché nécessitent, dès aujourd’hui, d’en prévoir les conséquences pour les entreprises. Avoir la volonté d’assurer l’exercice des libertés syndicales et de définir les conditions de licenciement ne suffit pas quand il devient urgent d’inventer de nouvelles conditions sociales dans les relations de travail. Mais cette vision anticipatrice ne se fera qu’au prix d’un changement culturel. Restons donc lucides. Aussi bonne soit-elle, la nouvelle doit beaucoup au baromètre politique. Sinon comment expliquer la soudaine capacité à conclure un accord sur lequel les positions s’étaient longtemps figées. Fatigue des négociateurs ? Flexibilité tactique ? Art de l’arbitrage ? Consensus de facto ou formules rédactionnelles magiques ?… Libre à chacun d’interpréter les causes de ce «happy end». Il n’en surprend pas moins les plus acquis à la cause. D’où cette prudence quant à la suite.
Quels que soient les lendemains, n’oublions pas un principe : le social est le moteur de la compétitivité. On entend d’ici les dénégations : l’entreprise ne doit pas être jugée sur des éléments sociaux, mais sur sa capacité à créer des richesses. Son rôle consiste à produire, pas à embaucher ou à accueillir des salariés en mal de vivre. Il ne s’agit pas de prétendre que l’entreprise doit se préoccuper d’abord de social. Ce serait déraisonnable : on voit bien que la compétitivité ne dépend pas seulement du bon climat interne. Non, il s’agit simplement de regarder les éléments sociaux comme autre chose qu’un luxe, un «supplément d’âme». Ils font partie intégrante du management parce que l’implication au travail est largement fonction de la façon dont les salariés sont traités. C’est cette révolution copernicienne qui donnera un sens au nouveau code du travail. Ce ne sont point les centaines d’articles qui en définissent le corps doctrinal ou procédural. Encore moins une poignée d’articles fortement litigieux. Certes, les signatures en bas d’un document massif et complexe engagent les «parties concernées». Mais le juridisme des lignes et des alinéas, les ponctuations des virgules offrent des portes de sorties pour les uns et les autres.
Au cimetière des entreprises faillies, bon nombre le doivent à une politique sociale marquée par la défiance et l’exploitation. Mais gageons que d’autres le doivent aussi à des actions syndicales irréfléchies… Le compromis social solide et durable a ses exigences. C’est un compromis qui assure le lien entre l’économique et le social, celui qui compense les gains de productivité par une amélioration du pouvoir d’achat. Le modèle actuellement en vigueur souffre d’un manque de répartition. Pour retrouver un équilibre, il est logique de rechercher un nouvel arbitrage qui conduirait les entreprises à se comporter de façon plus humaine. Et les syndicats à faire le choix de la raison.