Idées
Fondée, l’indépendance de Bank Al Maghrib ?
Est-il légitime d’accorder à la stabilité de la valeur de la monnaie la priorité des priorités, ou cette valeur doit-elle rester dans une certaine mesure un objet d’appréciation politique, en particulier dans l’arbitrage inflation-chômage ? Le débat est loin d’être tranché.
Ainsi donc, même si le Parlement émet quel-ques amendements restrictifs, l’indépendance de Bank Al Maghrib est en route. Jusqu’à présent, la banque centrale était en effet sous tutelle du ministère des Finances. Du moins dans les textes. Eh bien c’est fini, il faudra que les politiques s’y fassent. La banque centrale d’un pays, c’est la banque des banques, la clé de voûte du système du crédit et de la circulation monétaire. On comprend que l’indépendance d’un tel organisme puisse poser des questions : faut-il isoler la conduite de la politique monétaire des autres composantes de la politique économique qui sont du ressort du gouvernement ? Oui, semblent répondre désormais une majorité de pays : il importe que l’affirmation de la stabilité monétaire soit crédible, donc ne puisse être influencée par des considérations de court terme qui sont le propre de l’action gouvernementale. L’argument, à vrai dire, est un peu court et on s’étonne que les politiques ne le discutent pas davantage.
Pour être accepté, ce processus d’indépendance suppose un consensus suffisamment large et stable sur la fonction de la monnaie et les objectifs de la politique monétaire. Il n’est pas sûr qu’un tel consensus existe actuellement : s’agit-il seulement de stabilité des prix, quelle place doivent tenir l’emploi et l’activité dans les priorités des banques centrales ? Dans des pays en développement, la question est loin d’être tranchée. L’indépendance des banques centrales contribue pourtant à renforcer le pouvoir régulateur de l’Etat face aux marchés. Ceux-ci se retrouvent confrontés à une institution qui n’est pas soumise à l’obligation de réussir un coup d’éclat à l’approche d’échéances politiques. La stabilité d’une monnaie est un élément essentiel de sa dimension de «bien public», un outil indispensable au fonctionnement d’une société. Pour la garantir, la plupart des Etats ont décidé de priver le pouvoir exécutif du droit de battre monnaie, dont il disposait traditionnellement. Un pouvoir confié désormais à des banques qui agissent indépendamment du pouvoir exécutif. Elles se voient en particulier dénier le droit de financer le budget de l’Etat.
Pour certains, cette division des pouvoirs entre une banque centrale indépendante et un gouvernement privé du droit de créer de la monnaie constitue un frein à la démocratie. D’autres soutiendront qu’on a affaire à un processus de séparation des pouvoirs analogue à celui qui s’est produit à la fin de la féodalité, quand le pouvoir judiciaire a progressivement été détaché du pouvoir politique. En fait, cette indépendance limite les possibilités d’action des exécutifs et des majorités parlementaires qui les soutiennent. Est-il légitime d’accorder à la stabilité de la valeur de la monnaie la priorité des priorités, ou cette valeur doit-elle rester dans une certaine mesure un objet d’appréciation politique, en particulier dans l’arbitrage inflation-chômage ? Le débat est loin d’être tranché. Mais, au-delà des questions de principe, l’effet pratique de cette division des pouvoirs dépend largement de la façon dont se déroule concrètement le dialogue entre la banque centrale, l’exécutif, le parlement et, plus largement, l’opinion publique.
La politique économique, qui vise à assurer la croissance de l’activité, de l’emploi et – depuis l’ouverture des marchés – la maîtrise de l’inflation et du taux de change, repose désormais essentiellement sur la politique monétaire, au travers d’une régulation de la quantité de monnaie en circulation. C’est le rôle de la banque centrale. Tout le problème consiste alors à mesurer l’action effective de la politique monétaire sur l’économie dite réelle, c’est-à-dire sur l’investissement des entreprises, la consommation des ménages, l’emploi et donc sur l’activité économique. L’économie, en effet, ne fonctionne pas comme une voiture : si un coup d’accélérateur permet d’augmenter la vitesse, une baisse des taux d’intérêt ne relance pas forcément l’activité immédiatement. En témoigne la situation actuelle de l’économie nationale. Les liens entre la sphère financière et l’économie réelle sont autrement plus complexes