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Idées

Féminisation trop timide de la haute magistrature

Une femme ministre de la justice, un poste convoité, régalien et difficile ? Ce serait une première au Maroc, voire dans le Monde arabe.

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chronique Fadel Boucetta

De plus, un tel choix aurait indéniablement de l’allure et conforterait la volonté du Maroc concernant l’évolution des droits de la femme. On n’en sait pas plus au moment où ces lignes sont écrites. Mais quoi qu’il arrive, on ne peut nier l’évidente féminisation du personnel juridique dans notre pays. On croise des femmes à tous les échelons des tribunaux, passant de greffière, un poste ô combien stratégique dans un tribunal, à présidente de Chambre, conseillère auprès de la Cour d’appel ou de la Cour suprême.

Les audiences présidées par des femmes sont toujours d’une grande tenue. Autant leurs homologues masculins semblent tolérer (parfois seulement) quelques entorses au protocole rituel d’une salle d’audience, autant ces dames sont intransigeantes en matière de protocole. On a ainsi vu des présidentes d’audience houspiller des femmes présentes parmi le public, et dont les bébés sanglotaient à grands cris. «Faites taire cet enfant ou sortez de la salle», ordonnaient-elles sèchement! Pourtant, à y regarder de plus près on relève des détails, on constate des différences. Ainsi, s’il existe (vaguement) des femmes occupant le poste de «substitut du procureur», on remarque qu’on trouve rarement des femmes ayant accédé au grade supérieur, à savoir procureure du Roi, ou plus encore, procureure générale du Roi près une Cour d’appel. Et en effet, les procès en correctionnelle et en assises (Chambre criminelle) comportent rarement des magistrats de sexe féminin.

Pourquoi ? Peut-être parce que ces audiences requièrent une endurance physique qui ferait défaut à ces dames? Sachant que certaines audiences criminelles, ou correctionnelles, qui débutent à 16 heures, peuvent se prolonger jusqu’à trois heures du matin. Ou alors, les planificateurs du ministère souhaitent éviter aux femmes d’entendre les horreurs et atrocités qu’ont parfois commises les inculpés ? Ou d’assister en direct aux cris, d’hystérie, de pleurs ou aux déchirements familiaux, accompagnant généralement l’énoncé des verdicts ? Dans le même registre, il n’existe pas encore de femme occupant le poste de présidente d’un tribunal. Or, ce poste dans une cité est primordial dans la hiérarchie de la ville. Le président du tribunal local est la troisième personnalité protocolaire, après le gouverneur, et le Président du Conseil municipal (le maire). Toujours dans la même veine, on relèvera l’absence (en général) de la gent féminine dans les services financiers d’un tribunal, ou alors elle sera cantonnée à un poste subalterne (bien que hautement stratégique) comme adjointe au chef comptable. Et donc, pour innover, une femme ministre de la justice ne pourrait avoir que des effets bénéfiques.

On imagine la tête de la dame qui irait visiter le centre pénitentiaire d’Oukacha, à Casablanca. Après cette visite, pas la peine pour elle de voir le fameux film «Midnight Express»… qui se déroule, pour mémoire en Turquie. Elle constatera de visu les conditions souvent déplorables de détention, et nul doute qu’un vent de renouveau féminin soufflera sur cette institution. De même veillera-t-elle sûrement à ce que les différentes affectations de magistrats obéissent à des logiques pragmatiques, quant au bon fonctionnement des tribunaux. Ainsi, si par exemple les tribunaux des grandes villes sont largement pourvus en magistrats, certains autres, situés dans des contrées moins riantes, souffrent d’un manque cruel de juges au point que notre système judiciaire perpétue le système ancestral du «juge itinérant». Comme dans l’ancien Far-West, des juges se déplacent dans le Maroc profond, où certaines infrastructures font défaut, pour rendre la justice. Le futur ministre de la justice (et à propos, quid des libertés ?) aura bien du pain sur la planche.