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Idées

Faut-il écouter l’oracle ?

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On l’attendait depuis qu’une annonce discrète avait filtré que la Primature planche sur une feuille de route pour le Maroc de demain. Il est achevé, diffusé en catimini en attendant que les médias s’en saisissent pour porter son message le plus loin possible. De quoi s’agit-il ? Du rapport sur la Vision de développement économique et social pour le Maroc à l’horizon 2020 préparé en recourant à une expertise internationale de haute facture : le groupe Monitor. Les observateurs étaient acquis à cette louable initiative.

Vous rendez-vous compte ? Du jamais vu dans l’exercice de la responsabilité politique. A la fin de la législature, une équipe gouvernementale livre un rapport qui va au-delà d’une auto-évaluation de son programme. Un exercice qui transcende le bilan et trace les lignes d’action du futur.

Voici un rapport de bon aloi, d’une simplicité apparente et d’une banalité déconcertante. L’oracle s’est prononcé. Pour ne rien dire de bien nouveau ! A sa lecture, nous sommes décontenancés. En guise de préambule, un appel pour s’introduire dans cette fenêtre d’opportunité qu’est la mondialisation. C’est dans cette ouverture que le Maroc peut nourrir ses ambitions de demain. Nous possédons des atouts importants pour réussir : l’histoire, un socle de valeurs, des choix de démocratie et de solidarité.

L’essentiel est de relever les défis pour gérer les risques, les anciens et surtout les nouveaux : environnement et sécurité. La voix du succès est toute tracée : construire nos forces et faire le choix de l’exigence de compétitivité, du développement humain. Tout cela est du beau discours pour caresser le poil identitaire, réconcilier le Marocain avec sa fierté émoussée, dissiper les doutes des pessimistes et des grognards, galvaniser les énergies, mobiliser les élus de la Nation, remonter le moral des troupes dans cette bataille où nul ne saurait s’abstenir, sauf à perdre tout sens du patriotisme. Amen !

Qu’en est-il des principes fondateurs de la vision ? Rien à contester : insuffler la confiance dans l’avenir, réaffirmer cette triple exigence incontournable de tout projet de société : la démocratie, l’équité et la prospérité ; et un socle commun de valeurs fondatrices : l’idéal de justice et de paix, l’effort du travail, la responsabilité, la solidarité, le respect des libertés. Qui n’épouserait ce référentiel d’Epinal ?

Allons au cœur du rapport, quelle voie nous trace-t-il ? Sept domaines de priorités pour les prochaines années : réussir une croissance durable et soutenue ; construire l’école de l’excellence ; moderniser l’agriculture et développer le monde rural ; vaincre la pauvreté ; généraliser le système de protection sociale ; mettre en œuvre un développement durable ; promouvoir un Etat performant. En sept domaines le rapport fait le tour de ce qui a été fait du possible et du souhaitable. Et trace des perspectives. Ne nous y trompons pas. Les propositions qu’il contient sont portées par un esprit de progrès : celui de l’amélioration de notre compétitivité de notre économie et des conditions de vie de nos citoyens. Ces sept domaines évoquent cette Sagesse accueillant ses hôtes dans sa maison aux sept piliers du Livre des proverbes. Mais aucune lumière nouvelle, rien que de la plate projection.

Fallait-il vraiment recourir à Monitor pour parvenir à ce résultat ? Je suis convaincu que Michael Porter, leader de Monitor, gourou du management de la compétitivité des entreprises et des nations, ne se retrouverait pas dans la livraison de ses poulains. Que nous soyons étudiants, professeurs, consultants ou dirigeants d’entreprises, nous avons tous fréquenté l’œuvre du Maître. Nous l’avons utilisée, discutée, vulgarisée. On passerait au crible fin le rapport que l’on n’y retrouverait aucun trait de sa marque. Si, une seule : la promotion du développement de véritables «clusters régionaux»… Le reste verse dans le simplisme, la caricature. La montagne a accouché d’une souris.

Il y a un an, un groupe de compétences marocaines s’est penché sur l’état des lieux du pays. Ces dernières se sont servi du scalpel de leur intelligence pour décortiquer le corps de leur économie, de leur société. Ce que ces compétences ont trouvé, c’est un Maroc qui a pris du retard, un pays profondément inquiet de son avenir mais en mouvement. Dans un «Rapport du Cinquantenaire», ils ont identifié les nœuds qui bloquent le développement humain dans notre pays. Ils ont émis des hypothèses sur les grandes lignes d’action qui pourraient impulser des changements fondamentaux. Quel sort a-t-on réservé à cet effort ? Trois petits tours de vulgarisation et puis s’en vont.

Depuis quelques années, le Haut commissariat au plan déploie une énergie sans limites dans une analyse sur les multiples dimensions de la prospective du Maroc : de la géopolitique aux dynamiques sociales en passant par les grands enjeux sectoriels. Il a convié à sa table une pléiade d’hommes et de femmes d’ici et d’ailleurs. Quel usage a-t-on fait de ces réflexions ? De belles fresques pour agrémenter les étagères de nos bibliothèques. Autrement dit, exit les efforts des personnes et des institutions nationales. Dans un an, on demandera encore à un gourou de nous prêcher la bonne parole, celle qui rassure, qui a le label Iso des grands groupes internationaux. Pour en faire quoi ?

Alors, in fine, quel est l’objectif réel de ce rapport ? Offrir un pain bénit à tous ceux qui, dans la majorité ou l’opposition, sont en mal d’élaboration d’un programme électoral ? Un référentiel que partageraient toutes les composantes de la vie politique ? A chacun d’y puiser les ingrédients de sa «sauce maison» ? Un cadrage ordonné, clarifié du débat sur nos perspectives ? Se doter d’une vision globale et cohérente des réformes ne saurait à lui seul assurer leur succès. Aussi est-il utile de revenir sur un précepte qui devrait invariablement accompagner toute action réformatrice : une nation confiante à propos de son avenir est celle qui a confiance en ses ressources humaines. Dans ce domaine, nous avons encore du chemin à parcourir…