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Idées

Faut-il appliquer le nouveau code du travail?

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«Oui. Le code du travail est là, il faut l’appliquer», tel est en toute logique le mot d’ordre. En effet, la contestation ne serait pas justifiée pour la simple raison que le respect des procédures démocratiques a été activé par le gouvernement. En effet, dans le cadre d’une politique volontairement consensuelle, toutes les parties censées être concernées – CGEM, syndicats, gouvernement – ont été impliquées pour nous sortir un code en toute logique relativement parfait. L’approche à trois dimensions sur le plan de la vision – social (syndicat), capital (CGEM), politique régulateur (gouvernement et quelques juristes experts) – devrait garantir l’équilibre des forces en présence. Un seul acteur manquerait au tour de table : l’investisseur potentiel.
La perfection n’étant pas de ce monde, et partant du principe qu’un problème soulevé est une «opportunité de progrès», nous nous proposons, au nom d’une pratique et d’un vécu dans l’entreprise, de faire part de certains éléments de réflexion. L’objectif est de susciter le débat autour des questions cruciales, dans un esprit d’amélioration et non de jeter de l’huile sur le feu.
Sur le plan général, un code, en l’occurrence celui «traitant des relations sociales», a un rôle fondamental pour la régulation socio-économique dans l’entreprise, voire le développement du pays par l’incitation à l’investissement. En effet, la pertinence de faire du code un outil de développement socio-économique est un objectif fondamental très convoité, tant par les opérateurs économiques que par les décideurs politiques. Dans ce sens, l’attente trop longue avant que le code ne voie le jour a suscité des aspirations légitimes. Actionnaires et parties prenantes ont conclu par anticipation que le code allait amener la paix sociale, la flexibilité et des investissements colossaux.
A cet effet, je n’ai pas de doute que, théoriquement, la référence à l’intérêt national, l’incitation à l’investissement, la facilitation de la gestion des RH dans l’entreprise, notamment les PME, vecteur de développement du pays, étaient pressantes et présentes dans les esprits des négociateurs. Ces derniers avaient certainement le souci de satisfaire l’acteur manquant au tour de table qui est l’investisseur potentiel. Pas de doute non plus sur le sens du patriotisme et de la responsabilité socio-économique des négociateurs.
Toutefois, des questions légitimes peuvent se poser à la lecture du code et aux effets de son impact sur les PME représentant plus de 90% de l’activité industrielle. Celles-ci sont appelées à être compétitives, entre autres vis-à-vis des Chinois, déjà présents physiquement dans nos murs. Ce qui m’autorise à me demander si pour certains cas nos amis n’auraient pas été dans une position partisane inconsciente, même dans une relation gagnant/gagnant ?
N’est-il pas légitime dans certains cas de considérer le «dumping social» pratiqué par ailleurs pour rester dans la course.
Pour éclairer ces propos, nous avancerons quelques exemples susceptibles de donner une idée sur des aménagements à apporter à certaines dispositions pour assouplir leur mise en place. Motivé par et pour un équilibre socio-économique, mon objectif est plus d’apporter des solutions que d’émettre des critiques même constructives.

1- Coût quantitatif du travail
La mise à niveau de la PME initiée depuis quelques temps n’a pas eu le succès escompté. L’objectif de donner à l’entreprise les moyens nécessaires pour asseoir son développement sur une organisation à même d’avoir la réactivité opportune face aux défis d’un futur menaçant n’a été atteint que dans des proportions limitées.
Le surcoût occasionné par le nouveau code du travail, même intégré dans cette mise à niveau justifiée, est difficilement supportable par les structures organisationnelles défaillantes de la PME marocaine. Celle-ci continue à avoir tendance à assimiler le gain à la «facturation des minutes» lequel ne peut résulter, pour certains systèmes de gestion, que de la sueur corporelle du salarié.
La PME de ce profil socio-économique est-elle capable de supporter des surcoûts pour sa mise à niveau sociale d’environ 33%, charges sociales comprises ?
Aussi, croyons-nous savoir que cette position relative à l’augmentation du coût du travail est valable dans des proportions différentes pour la grande entreprise. En raison de son potentiel d’organisation, sa capacité de réagir pour compenser le surcoût par des gains de productivité, la réalisation par cette dernière de résultats positifs ou améliorés, d’une bonne marge bénéficiaire, sont incitatifs à la satisfaction des actionnaires et ne manqueront pas de doper l’image compétitive de notre pays pour attirer des investissements.

2 – Réduction du temps de travail
Analysons la réduction sur deux volets :
Son opportunité (pourquoi ?) et son mode d’application (comment ?).

Pourquoi réduire le temps de travail ?
– Cette décision, au-delà du coût généré, est-elle politiquement correcte ? L’effet médiatiquement négatif des 35 heures en France n’a-t-il pas suffi pour nous dissuader de faire ce pas ultime? Entendons-nous bien, la décision de «réduire» a plus d’effet que l’impact de la réduction. La Tunisie est bien compétitive à 40 heures/semaine pour d’autres raisons.
– A-t-on le potentiel économique de la France, pays supposé être notre référence en matière de politique sociale, pour prendre cette décision ?
– Réduire le temps du travail augmentera-t-il la productivité ou du moins la maintiendra-t-il au même niveau ? Le cas français prouverait le contraire.
– Les structures de notre économie peuvent-elles dégager de l’emploi par cette mesure ? Cette dernière est-elle susceptible de doper les investissements dans notre pays ?
A ma connaissance, le profil des entreprises qui délocalisent au Maroc n’investissent pas, ou peu, dans des créneaux «high-tech» où la compétence technologique de la RH est sollicitée (la Free Zone de Tanger est un exemple flagrant). Seule l’économie sur la main directe est sollicitée.
Un assembleur, quelle que soit son activité, électronique, câblage, mécanique, préfère monter des produits en 48 heures qu’en 44 heures/semaine autant pour des raisons de flexibilité que de coût. (Le point relatif à la flexibilité sera traité séparément dans un autre article).
Les exemples entamés par les Allemands Siemens en Allemagne, Bosch en France sont significatifs d’une tendance qui va à l’encontre des orientations prises par notre pays qui est à la recherche de voies rapides pour son développement. En effet, Siemens conditionne la non délocalisation à la Tchéquie par le passage de 35 à 40 heures sans augmentation de salaire. Bosch 35 à 36 heures, acceptées par les syndicats sans compensation de salaire. Ainsi, d’autres entreprises, Mercedes, entre autres, emboîteraient le pas d’une manière indécente, dénuée de tout sens de la responsabilité sociale vis-à-vis du pays d’origine de leur fortune. A fortiori, un pays d’accueil comme le nôtre ne serait point ménagé.

Comment ?
Deux éléments s’imbriquent : la réduction du temps de travail et l’augmentation du SMIG.
– L’article 184 est sans équivoque : Réduction du temps de travail à 44 h/ semaine, paiement de 48 h/semaine (ou 191 h/mois travail au lieu de 208 h/mois, la mensualisation de l’horaire n’est curieusement pas mentionnée dans le code). Cette disposition coûtera aux entreprises 9,10%, soit environ 12% avec l’effet des 4 heures supplémentaires et des charges sociales.
– L’augmentation du SMIG à 9, 22 DH/h supposée être appliquée à partir du 7 juin 2004, et à 9,66 DH/h à compter du 1er juillet 2004, soit une augmentation de 12% (charges sociales comprises).
Une question importante : dans quel ordre devra-t-on appliquer ces dispositions ? L’augmentation du SMIG en premier, la réduction du temps de travail en second ou le contraire ? Selon le cas, la réduction du temps de travail peut être compensée de trois manières en fonction de la base de salaire considérée, qui dépend de la date prise d’effet : 8,78 DH/h – 9,22 DH/h – 9,66 DH/h à multiplier par le coefficient 1,091 (48/44h) (3)
Apparemment, les positions divergent. A titre d’exemple, le salaire d’un smigard sera estimé soit à 9,66 DH/h ou 10,54 DH/h selon le cas (timing de la réduction). Le raisonnement est valable pour tout salaire susceptible de changer aux mois de juin et juillet.
Autres questions subsidiaires :
– Quel est le nouveau SMIG mensuel ? Nous supposons 1 845 DH/mois (9,66 DH x 191) selon le Bulletin officiel.
Dans ce dernier cas le smigard embauché après le 8 juillet ne percevra en plus que 19 DH/mois + 17 heures / mois de repos dont il ne voudrait pas.
Alors qu’un smigard embauché juste avant l’application du code percevrait 2 009 DH/mois (9,66 DH x 208DH) pour 191 heures de travail effectif.
Comme on peut le remarquer, la sortie du code du travail simultanément avec la décision de l’augmentation du SMIG assortie de la réduction du temps de travail n’a pas manqué de semer la confusion. L’image d’une vision stratégique que devait représenter le code comme référentiel pour le développement socio-économique et, in fine, la paix sociale a été sérieusement entachée.
La tendance à la critique aidant le mutisme des décideurs, l’absence de textes d’application n’a pas manqué de jeter le discrédit sur le travail considérable qui a été fait pour sortir le code. Dans ce sens, on ne peut que se demander pourquoi s’être empressé de mettre en application le code, d’en faire une large diffusion alors que les textes d’application n’étaient pas prêts.
Conclusion
Dans un pays qui construit un Etat «de droit», des entreprises qui se veulent citoyennes et responsables socialement, essayer de violer les règles n’est pas concevable. Comme notre gouvernement a aussi le devoir ou, au moins, l’intérêt de promouvoir ses entreprises, il y a lieu de rechercher d’autres pistes pour alléger les charges et simplifier la gestion. Simplifier la gestion signifie un gain de points sur l’informel, sur l’irrespect des règles que beaucoup trouvent compliquées.
Ceci dit, nous n’avons plus qu’à assumer et, en tant que citoyens responsables, adapter avec autant de souplesse que possible, les nouvelles dispositions à notre pratique quotidienne et, pourquoi pas, préparer le code 2005 en prenant le cas échéant des positions contraires à celles promulguées aujourd’hui. Le droit n’est pas le Coran. Il est appelé à évoluer pour promouvoir les affaires par des pratiques simples et efficientes ou confirmer juridiquement les best practices des entreprises performantes.
Dans ce cadre une commission serait en constitution pour assurer, au sein de l’Association des gestionnaires et formateurs de personnel (AGEF), une «veille sociale», faciliter l’application du code et faire des propositions quant à son évolution sur le fond et la forme, toutes les compétences y seraient invitées. J’ose penser que le débat qui sera suscité incitera à une réflexion profonde pour une remise en question de certains acquis intellectuels et des modes de pensée et de résolution des problèmes que la réalité socio-économique est en train de rejeter.

La PME est-elle capable de supporter des surcoûts pour sa mise à niveau sociale d’environ 33%, charges sociales comprises, en 17 mois, hors indemnité pour perte d’emploi et hors AMO, ainsi que l’impact d’indemnités telle celle relative au licenciement économique qui augmentera en réalité de 112% ?