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Idées

Essaouira : « back to the roots »

Il est une ville au Maroc où les automobilistes s’arrêtent aux passages cloutés pour laisser les piétons traverser. Dans cette même ville, il est possible pour une femme de marcher jusqu’à  tard dans la nuit sans se faire importuner. Cette ville-là , c’est Essaouira et ce n’est pas par hasard si civisme et sentiment de liberté y pratiquent une formidable « fusion ». Ce n’est pas par hasard car Essaouira est ce lieu au Maroc où la culture a retrouvé ses lettres de noblesse.

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Hinde TAARJI 2012 07 05

Est-ce une coïncidence ? Il est une ville au Maroc où les automobilistes s’arrêtent aux passages cloutés pour laisser les piétons traverser. Dans cette même ville, il est possible pour une femme de marcher jusqu’à tard dans la nuit sans se faire importuner. Cette ville-là, c’est Essaouira et ce n’est pas par hasard si civisme et sentiment de liberté y pratiquent une formidable «fusion». Ce n’est pas par hasard car Essaouira est ce lieu au Maroc où la culture a retrouvé ses lettres de noblesse. Où la musique et l’art, réhabilités, assument leur rôle de passerelle vers l’autre et de libérateur des émotions. Aussi les Souiris ont-ils l’âme sereine. Leur contact à l’étranger est naturellement empreint de «taybouba». Ils n’ont pas peur de qui vient les visiter et de ce qui est véhiculé de différent.

De tout temps, les bateaux et le vent du large ont fait respirer à l’ancêtre Mogador des souffles d’ailleurs. Depuis quinze ans maintenant, avec la création d’abord du Festival Gnaoua puis de tous les autres qui s’en sont suivis (Andalousies Atlantiques, Alizés, etc.), l’ouverture s’est faite côté terre pour la première fois de l’histoire d’Essaouira. Et quand la musique, qu’elle soit profane ou spirituelle, résonne à l’intérieur des murailles, elle agit sur le cœur des habitants comme le vent sur la roche, en purificateur des mauvais effluves.

Cet avant-dernier week-end de juin, la cité des Alizés soufflait la quinzième bougie du Festival Gnaoua et Musiques du monde. Comme chaque année, des centaines de milliers de festivaliers, étrangers et locaux, ont été au rendez-vous. Particularité de l’édition, une volonté affirmée de se recentrer sur l’essentiel, sur ce qui fait les fondamentaux du festival. «Back to the roots» (retour aux racines) pour reprendre l’expression de Neyla Tazi qui a donné le jour à cet événement. Le Festival Gnaoua et Musiques du monde, répertorié désormais parmi les grands festivals du monde, a été créé pour réhabiliter une musique et un patrimoine ancestraux menacés par la décrépitude. Comme se souvient maâlam Akharraz dont le père, décédé, était une grande figure de la confrérie. «Il y a quelques années, on nous sous-estimait, on nous montrait du doigt comme de simples vagabonds». Et le même de faire le constat suivant : «Aujourd’hui, les choses ont énormément changé. On vient nous voir même de l’étranger».

On ne dira jamais assez ce que ce festival a apporté tant à ceux à qui il est dédié qu’à la ville qui en est l’écrin. Grâce à lui, les gnaouis ont été sauvés d’une probable extinction et Essaouira tirée du sommeil dans lequel elle était, telle une belle au bois dormant, profondément plongée.

L’originalité de la démarche a consisté, tout en faisant connaître la musique gnaouie, de l’ouvrir sur les musiques du monde. D’où le principe de ces «résidences» lors desquelles le son du guembri épouse d’autres rythmes et sonorités. Cela a pu produire des fusions aussi superbes qu’iconoclastes qui ont fait le bonheur des connaisseurs. Mais, à force de vouloir multiplier les expériences inédites, il y avait risque à tomber dans l’artificiel et la dénaturation. D’où le recentrage opéré à partir de 2011. Dès l’ouverture de cette quinzième édition, le ton était donné par une époustouflante fusion entre les maâlems Saïd Oughassal et Abdellah Akharraz et un groupe d’Afrique de l’Ouest, le Djembe New Style. Un mariage fabuleux, complètement dans l’esprit de cette volonté de «back to the roots» affichée par les organisateurs. Car quel meilleur «retour aux racines» que cette fusion à travers laquelle les gnaouis renouent avec le continent noir dont leurs ancêtres ont été arrachés et dont le pouls a continué à ce jour à battre à travers leur musique.

Ce jeudi soir sur cette place Moulay Hassan, la liberté était en scène. En scène à travers un corps de femme emporté pas les rythmes du djembé, vibrant comme sous l’effet de mille décharges électriques et dont la danse débridée avait quelque chose de sacré. L’image de ce corps plantureux et agile à la fois, s’adonnant à une exultation de la vie comme seuls savent le faire les enfants de notre mère l’Afrique, offrait là une formidable réponse à tous les obscurantistes qui entendent nous ramener à l’âge de la pierre avec leur «art propre».