Idées
Elles ont le courage de soulever les questions taboues
Quand la voix du muezzin rompait avec mélodie le silence de la nuit, les personnes souffrantes y trouvaient présence et apaisement. Grà¢ce à la technique moderne, la situation s’est inversée, des bien-portants finissant migraineux ! Toutes ces choses-là , il faut pouvoir les dire et s’autoriser le droit de demander que sa quiétude
soit respectée.
Qu’on se le dise : elles sont formidables ! Qui ? Les femmes bien entendu ! Dans ce pays, elles sont souvent derrière tout ce qui bouge. Voyez comment elles s’activent depuis plus de deux décennies au sein de la société civile. L’augmentation récente de leur visibilité politique montre combien, dans ce champ également, elles ne craignent pas de monter au créneau, et qu’elles n’ont pas accédé à des postes de responsabilité pour y faire tapisserie.
Les cernes qui ombrent le regard d’une Yasmina Baddou depuis son arrivée à la Santé, où elle tente de faire le grand ménage, en disent long sur les nuits d’insomnie de son auteur. La campagne incendiaire menée à travers certains journaux contre la directrice du CDVM quand son équipe a entrepris de remettre au pas les brebis galeuses de la Bourse montre ce qu’il en coûte de déranger les intérêts en place. Pour toutes les actions de ce style, il faut du courage. Et du courage, ces dames n’en manquent pas. Du courage et du cran.
Pour autre exemple, et cela nous conduit au propos de cette chronique, cette indiscrétion relative au Conseil des ministres du 18 mars dernier. Lors de celui-ci, la ministre du développement social, Nouzha Skalli, avait questionné son collègue des Habous sur le nombre de décibels déversés par les hauts-parleurs qui diffusent l’appel à la prière du fajr. Quand l’information a circulé, les deux intéressés se sont empressés de préciser qu’il ne s’était nullement agi d’une prise de bec, comme des journalistes l’ont laissé entendre.
«Lors de la discussion sur le décret relatif aux normes techniques de la construction des mosquées, j’ai effectivement posé la question sur les normes techniques concernant les décibels de l’annonce de la prière et la durée de l’appel à la prière», a expliqué Nouzha Skalli à nos confrères d’Aujourd’hui le Maroc, précisant qu’ «il n’est pas interdit de soulever ce genre de questions». Mais, a-t-elle précisé, «je n’ai jamais eu l’intention de remettre en cause l’appel à la prière d’al fajr et il n’y a pas eu de différend à ce sujet».
A la question posée par Nouzha Skalli, Ahmed Toufik a fermement, mais poliment, opposé une fin de non-recevoir, arguant du fait que cela n’était pas inscrit à l’ordre du jour. Il a ajouté que le sujet avait été tranché il y a deux ans par le Conseil des oulémas, le texte s’y rapportant stipulant que «lors de l’appel à la prière d’al fajr, le son des haut-parleurs doit être baissé à son plus bas niveau».
Au-delà de la réponse à laquelle elle eut droit, il demeure, et c’est cela le plus important, que notre Nouzha Skalli nationale – dont, Dieu merci, les nouvelles responsabilités n’ont pas érodé l’âme militante – a osé toucher à un de ces sujets rendus tabous par le diktat social même si les désagréments qu’ils occasionnent pourrissent la vie de nombre de personnes.
Quand vous n’êtes pas ce que l’on appelle communément un musulman pratiquant et que votre lieu de résidence jouxte une mosquée, les hauts-parleurs qui crient à vos oreilles à chaque aube levée peuvent laminer le peu de foi dont Dieu vous a gratifié. Pendant le mois de Ramadan, avec des nuits scandées par les grâces rendues au Très-Haut, les insomnies suscitées font friser la crise de nerfs au fond des lits. Pourtant, de crainte de se faire taxer de «mauvais musulman», personne ne prend le risque de réagir publiquement, préférant subir en silence l’agression sonore plutôt qu’attirer sur soi les foudres des esprits obtus.
D’où le mérite d’une Nouzha Skalli quand, même avec les précautions d’usage, elle aborde la question. Faire exploser les hauts-parleurs pour appeler à la prière ne relève pas de l’expression de la foi. Dénoncer ce fait ne peut donc en aucune manière être compris comme une atteinte à celle-ci. On se retrouve, sur un registre différent, dans le même cas de figure que celui des mariages lors desquels les orchestres poussent la sono à fond pour se faire entendre de tout le quartier. Les enterrements eux-mêmes ne sont plus épargnés par cette intrusion des amplificateurs. Pour en revenir à la prière d’al fajr, l’utilisation à outrance du haut-parleur a pour effet de casser la beauté de cet appel. Dans les temps anciens, on disait du muezzin qu’il était «mou’aniss el marda».
Quand sa voix rompait avec mélodie le silence de la nuit, les personnes souffrantes y trouvaient présence et apaisement. Grâce à la technique moderne, la situation s’est inversée, des bien-portants finissant migraineux ! Toutes ces choses-là, il faut pouvoir les dire et s’autoriser le droit de demander que sa quiétude soit respectée. Aussi ne peut-on que saluer ceux ou celles qui, dans l’exercice de leurs fonctions, se font le porte-parole de toute une masse silencieuse. Et de relever avec satisfaction que la présence des femmes au gouvernement n’apporte pas que féminité mais aussi une force d’engagement salutaire et méritoire.