SUIVEZ-NOUS

Idées

Elections françaises, la démocratie gagnante

Publié le


Mis à jour le

Il est né français. Mais son père était un baron hongrois et sa mère la fille d’un médecin grec de confession juive. Nicolas Paul Stéphane Sarközy de Nagy-Bocsa pourrait devenir le premier chef d’Etat français d’origine étrangère. Avec, de surcroît, du côté maternel, une ascendance juive que la conversion du grand-père à la religion catholique ne peut suffire à gommer. Au pays de la Gaule, honorable première fille de l’Eglise, cela fait beaucoup d’un coup.

Les élections présidentielles de ce printemps 2007 sont assurément appelées à rester dans les annales françaises. Car, à ce candidat qui, aussi aristocratiques soient ses racines, reste un fils d’immigré de la première génération, s’oppose un challenger également d’un type nouveau : un challenger en jupe. Dans une France qui, avec 12,3% d’élues au Parlement, occupe un peu glorieux 88e rang mondial en matière de représentativité politique féminine, loin derrière des pays comme l’Ethiopie, le Pakistan ou le Sénégal, la rupture est, sur ce plan aussi, sacrément conséquente.

Une rupture qui, si elle venait à se concrétiser le 6 mai courant par la victoire de la candidate socialiste, relèverait alors de la pure révolution. Pour la première fois de l’histoire de la France, avec Ségolène Royal, une femme est en situation de conquérir démocratiquement le pouvoir.

Si elle gagnait, elle deviendrait celle qui présiderait le conseil des ministres, serait le chef des armées, l’inspiratrice de la politique internationale et la garante de l’indépendance de la magistrature. Que des fonctions jusque-là exclusivement réservées aux hommes ! Voilà qui ressemblerait fort à un séisme de haute amplitude. Ce mardi 1er mai, à l’appel de plusieurs organisations féminines, elles étaient des milliers de manifestantes à scander «Femmes de France, prenons la dernière Bastille», sur cette place du même nom où un ordre ancien tomba sans pour autant faire s’ébranler le pouvoir patriarcal.

Si la Révolution française prôna les droits de l’homme, ceux de la femme ne furent en effet guère son affaire. «L’égalité des deux sexes, c’est-à-dire l’assimilation de la femme à l’homme dans les fonctions publiques, est un des sophismes que repoussent non seulement la logique mais la conscience humaine et la nature des choses», écrivait le socialiste Pierre-Joseph Proudhon en 1849, ajoutant : «Le ménage et la famille, voilà le sanctuaire de la femme».

Cela avait le mérite d’être clair. Il fallut attendre près d’un siècle pour que se descellât la porte du sanctuaire en question. En queue de peloton européen, avec l’Italie et l’Espagne, la France n’a accordé le droit de vote aux femmes qu’en 1944 – les néo-Zélandaises ouvrirent la valse en 1893, suivies par les Australiennes (1902) et les Finlandaises (1906) – et ce, non pas suite à un vote du Parlement mais par une simple ordonnance d’un général de Gaulle fort de son aura de chef de la France libre. C’est dire donc la portée de ce qui se joue aujourd’hui.

Mais que le vainqueur à sortir des urnes ce dimanche soit Ségolène Royal ou Nicolas Sarkozy, son élection constituera une avancée pour la démocratie française. Aux dires de ses proches, ce dernier nourrirait l’ambition de devenir Président de la République depuis l’âge de sept ans. A vingt ans, on apercevait déjà le jeune homme dans l’ombre de l’actuel chef de l’Etat français. Si le dessein poursuivi depuis sa plus tendre enfance par celui-là dont le père naquit sous d’autres cieux venait à se concrétiser, alors tous ceux dont la France est la patrie sans être la terre de leurs aïeux verraient leur citoyenneté acquérir un nouveau poids.

Certes le candidat de la droite, avec ses envies de «karchérisation» et ses discours sur l’identité nationale n’est pas le meilleur défenseur de la France «black, blanc, beur» mais, paradoxalement, l’arrivée au pouvoir de celui-ci serait une forme de concrétisation et de légitimation de celle-là. Si maintenant, faisant mentir les sondages, les Français décident de féminiser la magistrature suprême en portant une femme à la tête de leur pays, un formidable pas symbolique en matière d’égalité des sexes serait opérée. A tous les coups, de ces élections-là, la démocratie française est assurée de sortir gagnante. Puissions-nous pouvoir en dire autant, dans cinq mois, pour ce qui est de notre propre processus démocratique.