Idées
Dialogue social, pourquoi ça va si mal ?
Le manque de confiance que certains salariés et leurs représentants syndicaux accordent à leur management constitue une raison du blocage du dialogue social. Fluidité de la communication, politique genre, rajeunissement des effectifs…, les pistes pour améliorer la qualité du dialogue social.

L’histoire du dialogue social au Maroc est riche de revendications qui ont contribué de manière très remarquable à améliorer les conditions de travail et de vie des salariés d’aujourd’hui. Ces revendications ont porté d’abord sur un salaire décent et sur le nombre d’heures de travail que l’on peut considérer comme des gains significatifs. La gestion des relations professionnelles chez nous reprend plusieurs caractéristiques héritées du protectorat français ; conditions de travail et d’emploi, droit de grève et son application, administration et inspection du travail, pluralisme syndical, complexité de la négociation… D’où, même si le dialogue social se pratique aussi bien dans les services publics que dans les quelques grandes entreprises privées ou semi publiques, seulement une vingtaine de conventions collectives ont vu le jour.
Les employeurs sont souvent accusés de manquer de volonté pour faire des syndicats de véritables partenaires sociaux. La raison pour laquelle les libertés syndicales figurent toujours sur le cahier revendicatif des syndicats. Ceux-ci se plaignent de la faiblesse du nombre des inspecteurs de travail pour pouvoir constater les entraves ainsi que de la non-ratification par le Maroc de la convention internationale 87 portant sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical. A titre de rappel, cette dernière exige une révision constitutionnelle car le texte fondamental stipule l’interdiction pour certains métiers (armée, police, …) de constituer des syndicats.
Quelle est la vraie mission des syndicats ?
Il existe en effet plusieurs définitions qui expliquent les rôles classiques des syndicats et qui sont grosso modo de deux niveaux : un rôle de représentation des salariés et un rôle de négociation avec les employeurs. C’est ainsi que les syndicats s’attachent à garantir les droits des salariés, en termes de salaires et d’améliorations de conditions de vie. Mais la question n’est pas de savoir ce que les syndicats font pour les salariés ou pour améliorer leurs conditions de vie, mais plutôt de savoir comment les salariés s’appuient sur les syndicats pour obtenir le respect de leurs droits et améliorer leurs situations dans la limite de ce que les employeurs peuvent offrir. Car les avantages de la mondialisation et du développement économique qui ont fait exploser le commerce international ne profitent pas toujours aux travailleurs. Comme pour l’entreprise, le risque social majeur est incontestablement celui de la grève (arrêt de travail = arrêt de l’activité) qui résulte du mouvement syndical dans l’entreprise. Afin de trouver des compromis, l’entreprise n’a d’autre solution que d’écouter les représentants des syndicats. Avec la présence des syndicats dans l’entreprise, la négociation devient un «must» afin de prévenir les mouvements de grève. C’est la raison d’être du dialogue social : essayer de se mettre d’accord avec les salariés à travers les représentants, sur les volets susceptibles de répondre à leurs attentes de façon à maîtriser les risques de tensions et à susciter leur engagement. Ainsi, il est permis de considérer le dialogue social comme la base d’une performance globale.
La face cachée du dialogue social…
Il est largement admis que la performance de l’entreprise implique une optimisation des facteurs de production que sont le capital et le travail. Dans des publications récentes, plusieurs chercheurs (M. Arcand, D. Autissier et d’autres) l’associent à une maîtrise des risques et au développement d’une grande agilité. Parmi ces risques auxquels l’entreprise est confrontée il y a le conflit social. Celui-ci consiste, soit en l’apparition de tensions sociales qui peuvent aller vers des mouvements de grève, soit, de façon moins affichée mais qui coûte cher à l’entreprise, sous la forme d’un désengagement des salariés et d’un sabotage. Afin de faire face à ce risque, l’entreprise doit répondre aux attentes de ses salariés. Des attentes qui ne sont pas toujours faciles à cerner. Souvent, il ne s’agit pas seulement de rémunération ou de durée du travail, mais également de conditions de vie, de sécurité de l’emploi ou encore de remédier à une précarité qui dépasse les capacités de l’entreprise. Reste à savoir ce que souhaitent réellement certains représentants syndicaux qui instrumentalisent leurs appartenances syndicales pour obtenir des avantages personnels (pots de vin, terrains,…) en monnayant la précarité des classes ouvrières. Des syndicats corrompus est le triste fléau qui atteint aussi le dialogue social. Pour gagner du temps, plusieurs employeurs tolèrent ce comportement et jouent le jeu, comme partout dans le monde. Plus de 80% des patrons interviewés pensent qu’il est impossible d’éliminer la corruption du milieu des affaires (Transparency, 2000).
Le désengagement est un risque à considérer également. Il se manifeste de différentes façons. D’abord par une perte d’efficacité : un travail mal fait, une mise en porte à faux avec les clients, une multiplication des retards, des erreurs, des dommages des moyens de travail, passivité, attitude inadéquate à l’égard des partenaires… Par exemple, un livreur discourtois qui se comporte à l’encontre de la politique commerciale de l’entreprise qui l’emploie, incite le client à ne plus revenir. De même, l’implantation de nouvelles méthodes de travail peut prendre un temps considérable ou peut être compliquée à envisager (caméras de surveillance, etc.) si elle ne peut s’appuyer sur une coopération active de l’ensemble des salariés concernés. Les dégâts sont difficilement chiffrables mais ont très certainement pour effet de «plomber» les résultats de l’entreprise. Dans pas mal d’entreprises, le recrutement même de responsables de la fonction Gestion des Ressources Humaines dans l’objectif de réussir le dialogue social déclenche des formes de sabotage déstabilisant et faisant beaucoup de tort à la personne recrutée. Surtout si les représentants syndicaux ont eu l’habitude de recevoir des pots vin de la part des patrons pour assurer une paix sociale.
In fine, le management serait-il responsable d’une impasse dans le dialogue social ?
La réponse est oui. L’une des raisons du blocage du dialogue social est le manque de confiance que certains salariés et leurs représentants syndicaux accordent à leur management et aux informations fournies par leur direction. Afin que le dialogue social ne conduise pas à de violentes dérives entre directions et salariés, il est important aujourd’hui d’améliorer la qualité de la communication avec les salariés et d’entamer une véritable dynamique de confiance entre eux en les impliquant davantage dans la prise de décision. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut envisager un dialogue social sain et concluant. Même si on reste très loin de la co-gestion à l’allemande qui fait participer la moitié des salariés dans les conseils de direction des entreprises de plus de 2 000 travailleurs. Il ne faut pas rêver, nous ne nous sommes pas encore là! (les coopératives sont un exemple de ce mode de fonctionnement).
Une autre source de désengagement résulte des nouvelles formes de management des ressources humaines dites modernes. Celles-ci se fondent sur la définition, au sommet, d’objectifs stratégiques qui sont ensuite déclinés en cascade et avec un suivi très strict des performances par le moyen d’appréciations chiffrées des résultats. Sous cette logique, les salariés voient leur rôle limité : il s’agit à la fois d’atteindre les objectifs qui leur ont été assignés et de respecter les procédures décidées par le top management, sans nécessairement qu’ils aient été informés de leur raison d’être. Autrement dit, les salariés, à l’exception d’un nombre limité de cadres dirigeants, voient leur rôle limité à une tâche à exécuter plus ou moins vide de sens et parfois en contradiction avec leurs valeurs et leurs convictions. Ce problème de management conduit à se poser des questions : Est-il possible durablement de mettre en avant l’importance du capital humain de l’entreprise ? Le désengagement des salariés n’est-il pas dû, au moins en partie, à l’absence de reconnaissance de leur rôle dans l’entreprise? C’est le cas de plusieurs activités sous traitées au Maroc. Quelles recommandations ?
Sur la base de ce qui précède, et afin d’améliorer la qualité du dialogue social, les recommandations suivantes sont à considérer :
1. Il est crucial d’améliorer la qualité de l’information transmise aux salariés et d’engager une véritable dynamique de confiance entre les individus en associant davantage les salariés aux décisions petites ou grandes de l’entreprise à travers une multiplication des communications. Les managers doivent être visibles et accessibles (réunions au quotidien, affichage, événements, rencontres, etc.). Se tenir à l’écart, surtout dans les PME, est une erreur fatale.
2. Il est intéressant pour les employeurs de favoriser les recrutements des femmes où le dialogue social est plombé par des représentants syndicaux malhonnêtes. Vu l’attitude hostile des syndicats à l’égard des femmes dans certains secteurs industriels surtout, des instances qui sont souvent structurées par des clans internes ou des cliques qui excluent les femmes. La présence des femmes peut apporter rigueur, patience et consensus aux échanges dans le cadre des négociations collectives.
3. Il est important de favoriser le recrutement des jeunes. Sur la base de plusieurs analyses, les jeunes marocains boycottent l’adhésion syndicale. Le taux de syndicalisation national est trop bas, n’atteignant même pas 4% d’après le HCP. Les syndicats sont accusés par les jeunes d’être incapables de s’occuper de leurs préoccupations. Plusieurs autres causes sont avancées : crise de confiance, accointances avec les partis politiques, émiettement syndical…La présence des jeunes facilite au management de l’entreprise l’aboutissement de la négociation.
4. Il faut combattre la corruption, car les managers qui luttent contre la corruption ont une légitimité aux yeux de leurs salariés en appliquant rigoureusement les mesures anti-corruption dans le cadre du dialogue social. Dans le secteur privé, la corruption alourdit les charges des entreprises, parce que les dessous de table constituent des charges de plus. Une réputation de mauvaise gestion du dialogue social due à la corruption nuit forcément à l’image de l’entreprise auprès de ses partenaires.
Ce n’est qu’en mobilisant ces leviers qu’on pourra envisager un dialogue social sain et équitable.
