Idées
De paroles et de mots
Dans l’attente d’on ne sait quel délivrance, perdant patience ou ne sachant que penser, d’aucuns se mettent à combler le vide ou passer le temps à l’aide de débats d’idées sur les choses de la société, débats de nature selon eux à occuper et nourrir l’esprit en prévision de demain, car demain est un autre jour.

Et voilà que l’on remet au goût du jour des débats qui avaient déjà, et très souvent par le passé, épuisé toutes les thématiques débattues en épuisant par la même occasion ceux et celles qui s’en étaient emparées. Ces thématiques récurrentes (admirons au passage la préférence donnée au vocable «thématique» au lieu de «thème») reviennent comme une fête religieuse dans un calendrier lunaire : identique dans le contenu mais ne tombant jamais à la même date ou saison par rapport au temps qui nous est compté, ou conté, dans l’autre calendrier. Si par ces temps oisifs, et dans un exercice ludique pour passer le temps, l’on mettait bout à bout tous les intitulés de ces tables rondes, séminaires, colloques, rencontres ou autres aréopages réunissant les débatteurs et les débattus, tous abattus par de lourdes questions sans réponses et des réponses à des questions non posées, et si on imprimait tous ces intitulés et toutes ces questions et toutes ces réponses dans des livres en papier, on aurait alors tant et tant d’ouvrages et plus encore qu’il ne s’en n’est jamais publié ici depuis des décennies. Au début était le Verbe. Amen ! Et ça continue. Encore et encore, comme dit la chanson.
A propos de chanson, on peut constater, lorsqu’on tend l’oreille à ces multiples radios privées ou non qui moulinent des paroles à longueur de journées, entre un animateur bavard et des auditeurs jacassant au téléphone tout aussi loquaces, que s’il y a un domaine où l’on fait court en matière de paroles, c’est bien dans ces nouvelles chansons, du Moyen- Orient et du côté de chez nous. Deux refrains repris et remâchés comme un vieux chewing-gum sur fond d’une musique synthétique où les instruments de musique ont disparu. Même les voix sont trafiquées et remixées de sorte que tout le monde pourrait se prendre pour un chanteur d’opéra. Mais il faut les remercier de faire court : un ou deux refrains et puis s’en vont, l’air de rien, si l’on ose dire. Ainsi, l’ère du vite fait, mal fait a engendré l’ère du vide sans effet, au grand bonheur de nos tympans.
Toujours dans le thème (ou la thématique ?) de la machine à paroles : contrairement à la chansonnette, il y a des espaces où cette dernière tourne toujours à plein régime. Ce sont les lieux de rencontres avec des écrivains et des auteurs de livres, de fiction comme du reste, car on écrit sur à peu près tout, et de plus en plus sur tout et rien. Cependant, soyons justes, il arrive de temps à autre qu’un auteur convaincant et de talent soit invité pour présenter son livre et ensuite répondre à des questions devant un auditoire composé de personnes qui n’ont pas encore lu son ouvrage. Normal, c’est le but de cette opération de promotion : donner envie d’acheter le livre et, qui plus est, se le faire dédicacer par l’auteur. Cette présentation du livre à de futurs ou potentiels lecteurs se révèle être un exercice délicat. En effet, une fois arrivée à la séquence questions-réponses, un silence gênant s’installe entre l’auteur et l’auditoire. Mais ce n’est pas toujours le cas et c’est bien cela qui n’a pas changé depuis le temps où l’on ne publiait qu’un ouvrage ou deux par an, avant l’ère du numérique au cours de ces années de plomb, au sens de l’impression typographique à la linotype… mais pas seulement. Comme avant, il y a toujours dans l’assistance au moins deux personnes correspondant à une typologie qui n’a pas changé : le monsieur-sait-tout et le provocateur de service. Le premier a déjà lu le livre en avant-première et, flagorneur à souhait, ne manquera pas de le faire savoir en multipliant les preuves jusqu’à citer le numéro de la page de tel ou tel passage . Le second, après avoir lu le livre, et même en s’en passant, est là uniquement pour ne pas être d’accord avec l’auteur. Il exaspère tout le monde et éclipse le premier lecteur avec lequel il va débattre violemment sous le regard navré de l’auteur et au grand dam des organisateurs. Pourtant, ces derniers devraient le remercier car il aura mis un peu d’ambiance en ajoutant une séquence oratoire et contradictoire tout en perpétuant une tradition intellectuelle anthropologiquement orale. Autrement, on aurait assisté à une rencontre convenue où l’on serait passé directement de la présentation de l’auteur, suivie de la flagornerie onctueuse du premier lecteur, à la signature faussement conviviale de l’ouvrage.
