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Idées

Croissance : éléments pour un débat

La croissance devrait passer de 3 à 6% pour une amélioration significative sur les dix prochaines années. Quels sont les blocages ? L’INDH est une bonne occasion pour engager un débat sur la question, notamment sur la mise en place d’une politique de mise en valeur de l’espace, les expériences ayant montré qu’elle génère souvent plus d’emplois que les politiques sectorielles.

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Le gouvernement s’apprête à présenter au Parlement en octobre le projet de budget de l’Etat pour l’exercice 2006, occasion annuelle unique pour débattre des choix économiques opérés par l’Exécutif.
L’option privilégiée, jusqu’à présent, du maintien des équilibres macro-économiques dans des limites raisonnables, a permis au Maroc d’acquérir sur les marchés internationaux une crédibilité appréciable, d’entamer son désendettement externe, d’améliorer la gestion du secteur public, d’accroître les ressources prélevées grâce à une réforme de la fiscalité et à la mise en place d’une administration fiscale plus performante, de réussir des opérations de privatisation pourvoyeuses de devises, d’engager des projets structurants importants pour l’avenir.

Le Maroc va-t-il traîner comme une fatalité ce taux de croissance à 3 %?
Mais cette politique a eu le temps de montrer quelques limites : son incapacité à permettre à l’économie d’aller vers d’autres paliers de croissance est établie. Le Maroc reste encagé dans ses 3% de croissance moyenne depuis plus de dix ans, la dette externe a été remplacée par la dette interne, il n’y a pas eu enrichissement, mais simplement changement de créanciers.
Une question légitime s’impose : le Maroc va-t-il traîner ce taux de croissance moyen de 3% comme une fatalité, n’est-il pas possible de faire mieux ?
La priorité des priorités pour les Marocains demeure l’emploi. Toutes les enquêtes d’opinion sérieuses le font ressortir. En conséquence, toute politique économique qui ne crée pas suffisamment d’emplois ne peut avoir le soutien des Marocains et peut, à moyen terme, introduire le doute quant à la capacité de notre pays et ses choix démocratiques à assurer des conditions de vie décentes.
La question est de savoir si le maintien des mêmes choix de politique économique entraînant le même taux de croissance moyen réalisé, à savoir 3%, sur les dix prochaines années, permettra de résorber le chômage actuel et de subvenir aux besoins futurs en terme de création d’emplois.
Plusieurs travaux menés récemment sur la relation croissance/emplois, tenant compte de la croissance démographique sur la période 2004/2014, ont clairement montré que si le taux de croissance se maintient au niveau de la dernière décennie, en 2014, le taux de chômage sera supérieur à l’actuel. Pour avoir une amélioration significative sur les dix prochaines années il faut réaliser un taux de croissance avoisinant les 6% de moyenne.
Il est évident que ces conclusions partent du préalable que la croissance crée les emplois, car il y a des analystes qui soutiennent que depuis quelques années la croissance ne crée plus d’emplois au Maroc. Le Maroc est entré dans une phase active de mise à niveau et de compétition internationale qui laisse peu de place aux activités à forte utilisation de main-d’œuvre, preuve en est que les taux de croissance réalisés en 2002 et 2003 n’ont pas permis une résorption significative du chômage. L’argument, certes logique, ne résiste pas à la confrontation avec les faits. Le Maroc n’a jusqu’à présent pas entamé de politique active de mise à niveau de son tissu productif, il n’a fait que perdre des emplois dans plusieurs secteurs productifs. Le dynamisme de certains secteurs, tourisme, bâtiment, montre qu’il y a un potentiel fort de création d’emplois non encore exploité. Il en est de même pour d’autres secteurs à condition qu’il y ait une politique sectorielle sérieuse et suivie. Par ailleurs, le Maroc n’en est qu’à ses débuts en ce qui concerne la mise en place d’une politique de mise en valeur de l’espace, les expériences ont montré qu’elle est souvent génératrice de plus d’emplois que les politiques sectorielles
Le gouvernement, en optant pour la préservation des équilibres macro-économiques, souhaite jouer dans le champ économique un rôle essentiellement de régulation, tout en se déchargeant, pour ce qui est de l’investissement et de la création d’emplois, sur le secteur privé.
Les facteurs déterminants d’une croissance forte sont connus : une administration moderne et saine, des objectifs clairement identifiés par l’élite politique, une classe entrepreunariale motivée et dynamique, des ressources humaines formées et disponibles, une épargne suffisante et enfin une vision sectorielle et spatiale tenant compte des potentialités réelles du pays. Le Maroc dispose-t-il des atouts d’une croissance forte ?
Ce qui d’emblée suscite étonnement et inquiétude est la faible utilisation de l’épargne qui, si elle était entièrement investie, permettrait d’approcher le taux d’investissement de 30% qui est une des conditions de réalisation d’un taux de croissance de 6%.
Plusieurs explications à ce manque de dynamisme ont été avancées.
Pour l’Etat, soumis à l’impératif de désengagement des secteurs productifs depuis des années, le secteur privé a été incapable d’une reprise de témoin, d’où la part toujours importante de l’investissement public. Des explications à caractère sociologique et historique sont avancées, à savoir que les entrepreneurs marocains sont pour la plupart issus de la marocanisation et n’ont pas intégré la nouvelle donne de l’ouverture de notre économie. C’est à croire que le Maroc et ses entreprises se sont arrêtés dans les années 1970, la vague de création des PME des années 1980. L’éclosion de nouveaux managers de grands groupes marocains et étrangers dans les années 1990 est occultée, alors qu’ils sont aujourd’hui majoritaires et de qualité.

Les dernières assises de l’emploi ont reconnu le rôle capital des TPE dans la création d’emploi
Pour le secteur privé, ce manque de dynamisme est le fruit : d’une ouverture économique précipitée, d’une administration lourde, d’un système judiciaire inadapté, de l’absence de politiques sectorielles, de l’absence de véritable politique de mise à niveau, de lacunes de la formation, du caractère dépassé de certaines lois(code du travail) et de la non-application de nouvelles lois (loi sur la concurrence), de l’informel, de la contrebande…
A cela s’ajoute l’incontournable «bonne gouvernance», notion utilisée par l’ensemble des acteurs, sans un contenu précis, devenue la panacée susceptible de réaliser nos rêves les plus hardis en termes de développement.
Nos faibles performances en matière de croissance sont-elles le fait de l’Etat qui ne veut pas se moderniser au risque de freiner le développement de la société, ou sont-elles le fait d’une «bourgeoisie» repue qui préfère laisser son argent à la banque plutôt que de l’investir ?
Les travers de cette approche sont connus, il s’agit de chercher coûte que coûte un bouc émissaire. Est-il logique de réduire les performances d’une économie à la relation Etat/entreprise ?
La croissance n’est-elle pas la résultante de l’effort de tout un pays pour améliorer son vécu ?
Etant le résultat de ce mouvement collectif , il faut que nos élites politiques puissent avoir la vision d’ensemble, et donc non segmentée, qui permet la meilleure utilisation des capacités des uns et des autres.
Ceci permettra de faire fructifier certaines initiatives visant à le sortir de l’ornière du sous-développement.
Deux cas :
L’ INDH est une occasion importante d’engager un véritable débat sur le rôle du territoire et son organisation dans le développement économique. Toutefois, celui-ci serait incomplet sans la participation des élus locaux et leur implication dans la mise en place et l’obtention de résultats. Malgré leur faible niveau de formation, il ne faut pas les marginaliser, c’est une grande occasion qui leur est offerte de participer et de se former à des initiatives de développement local.
Les dernières assises de l’emploi ont fini par reconnaître aux TPE (très petites entreprises)un rôle important dans la création d’emplois. Toutefois, toute politique en faveur de la TPE doit s’inscrire dans une perspective globale de croissance économique, terme bizarrement absent lors de ces assises. L’encouragement à la création de la TPE en tant que gisement d’emplois doit être le fait essentiellement de politiques spatiales. Faut-il rappeler que le développement de cette entreprise est intimement lié à son environnement social et économique et à sa capacité à s’intégrer dans un réseau.
Le Maroc connaît les performances à réaliser pour satisfaire les aspirations légitimes de ses filles et de ses fils, il dispose d’une grande partie des moyens susceptibles de lui assurer le résultat. Il nous appartient de contribuer à éclairer la voie.
C’est à ce débat que je me permets de convier toutes les bonnes volontés, toutes tendances confondues.