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Idées

Corruption : le mal sera-t-il endigué ?

Pour sortir de la crise créée par
la corruption, deux possibilités. Une sortie «vertueuse» : les élites politiques et économiques se ressaisissent et adoptent des attitudes nouvelles contre cette corruption endémique.
Une autre sortie, moins «vertueuse»,
si le discrédit continue d’entacher l’image des élites, serait l’émergence
du populisme, qui fait appel
aux sentiments les plus primaires
de la société.

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La corruption gangrène. De nombreuses initiatives législatives prises depuis quelques années n’ont pas suffi à endiguer le mal. On savait déjà, depuis des années, qu’il existait, qu’il irriguait tous les pores de la société, jusqu’à en constituer une seconde nature. Corrupteur et corrompu font partie des plus vieux personnages de la comédie humaine. Leur dénonciation aussi. L’ancienneté du phénomène ne doit pas conduire pour autant à tolérer son développement. C’est le signe que quelque chose craque dans nos institutions. Car si la corruption est un mal qui naît partout où se mélange argent et pouvoir, son niveau constitue un indicateur de la santé d’une société. Un nouveau plan anti-corruption est en cours d’élaboration, 57 mesures ont été arrêtées. Reste à les appliquer. Auront-elles plus d’efficacité en s’attaquant aux sources du mal ? Gardons à l’esprit que la corruption, la vraie, naît d’abord de la confusion entre l’univers public et l’univers privé dans un contexte d’absence de contrôle.
La société marocaine vit une rupture majeure de son mode de régulation : ouverture de l’économie, libéralisation, décentralisation. Avec la mise à nu de l’ancien système, on découvrait un fonctionnement mafieux dont peu de personnes soupçonnait l’ampleur. Certes, la tentation est restée forte d’enterrer les affaires les plus gênantes politiquement. On constate qu’avec la démocratisation, l’espace de l’invulnérabilité n’a pas pour autant diminué… La mutation s’effectue dans un contexte d’exaltation de la réussite individuelle, identifiée à la seule forme de réussite économique. Evidemment, ce dysfonctionnement économique se double d’une crise morale puisque les valeurs publiques sont disqualifiées. On ne constitue plus sa fortune lentement, mais on gagne de l’argent facile sur les marchés par la spéculation ou par les passe-droits. Enfin, l’extension de la corruption s’explique aussi par la crise du politique. Toutes les instances représentatives ont été singulièrement affaiblies, partis, syndicats et corps intermédiaires en général. Pour arriver au pouvoir, il faut des moyens, surtout à une époque où les militants tendent à disparaître. De plus, il faut énormément d’argent pour gagner les faveurs des électeurs. Dans cette nouvelle conjoncture, il n’y a pas que de nouveaux entrepreneurs économiques flamboyants, il y a aussi des entrepreneurs politiques d’un nouveau genre. Ces derniers font partie de ces arrivistes qui veulent gagner vite et qui ne sont pas trop regardants sur les moyens pour y arriver.
Ce phénomène est aux antipodes de la culture du service public et de l’intérêt général. Aujourd’hui, le système produit la caricature de l’entrepreneur économique ou de l’élu politique. C’est là que l’on rencontre cette alliance entre l’argent et la politique qui participe au fait que la politique devient complètement vide de valeurs. On est dans un processus de dévalorisation des idées, c’est une culture de l’éphémère et de l’apparence. Et il n’y a que deux sorties possibles de cette crise. La première, c’est la sortie vertueuse. Elle consiste à ce que les élites politiques et économiques se ressaisissent assez rapidement et adoptent des attitudes nouvelles contre cette corruption endémique. Un sursaut d’autant plus nécessaire que l’initiative du changement ne peut venir de l’extérieur. Il est difficile d’imaginer dans notre réalité une presse ou des magistrats qui mènent une opération «mains propres» de type italien. Si le discrédit continue d’entacher l’image des élites, le risque est grand de déboucher sur une certaine forme de populisme, avec un refus de la démocratie représentative, avec la recherche de boucs émissaires et avec des slogans simplificateurs du type «Tous pourris». C’est le peuple contre les élites, le bas contre le haut, ce sont les gens sains – c’est-à-dire le peuple – contre ceux qui ont trahi leur mandat – c’est-à-dire les politiques. Un populisme qui, tout en exploitant le filon de la corruption, propage un discours qui fait appel aux sentiments les plus primaires de la société. C’est la sortie la moins vertueuse. Même si tout cela est très grossier, le terrain sera d’autant plus favorable à cette dérive que les réponses des élites sont tardives ou timorées, qu’il n’y a pas de véritables interrogations sur les causes profondes de la corruption, qu’on fait baisser la fièvre sans agir sur les causes de la maladie…