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Idées

Concurrence : à  propos de quelques idées reçues

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Concurrence. Ce mot effraie, surtout par incompréhension. L’objet de cet article est de revenir sur deux idées trop bien reçues dans le paysage politique marocain.

1. «La réglementation des prix est bonne pour l’économie»

Rapide marche arrière. Moscou dans les années 1980. Les prix sont régulés, non par le jeu du marché, mais par l’Etat. Résultat : des files d’attente interminables, une pénurie de produits et un marché noir florissant. Pourquoi? L’explication est simple. Si les prix sont faussement bas, la demande exprimée par les consommateurs est forte. Malheureusement, l’offre correspondant à ce prix est, elle, très faible. Qui souhaite produire pour un tel niveau de prix aujourd’hui ? Pire encore, qui souhaite investir dans la fabrication de ce bien, demain ? Ceci se traduit par une pénurie de produits, aujourd’hui, mais aussi demain. La concurrence est cependant plus fortement ancrée dans les comportements humains que l’on peut le croire. Cette concurrence se déplace sur un marché informel, celui du marché noir, où les prix s’envolent, et où les plus riches et les plus malins peuvent s’approvisionner. Nulle notion d’équité et de justice sociale.

Il y a aussi une face invisible de la réglementation des prix, certainement aussi préjudiciable à une économie. A quoi servent les prix dans une économie de marché ? La fonction essentielle du prix est de guider le choix des individus, entreprises et consommateurs. Ce rôle de signal permet une allocation efficace des biens produits dans une économie où les ressources en capital et en travail sont rares. Un exemple simple. Supposons que les consommateurs décident de moins consommer de lait, et plus de blé. Ainsi, la demande de lait baisse, celle de blé augmente. Pour que cette demande soit satisfaite, l’offre de blé doit augmenter, et celle de lait diminuer. Il faut qu’il y ait réallocation du travail et du capital du secteur laitier vers celui du blé. Comment y parvenir ? Grâce à la hausse du prix du lait, et à la baisse de celui du blé. Si les prix sont faussement rigides, l’économie est incapable de s’ajuster. Et les consommateurs ne sont pas satisfaits, incapables de consommer le blé qu’ils souhaiteraient.
Autre exemple, celui de la filière laitière, fortement encadrée par l’Etat dans les années 1980. Sa libéralisation progressive a-t-elle amélioré ou dégradé les conditions d’approvisionnement du marché ? La libéralisation de cette filière a en réalité favorisé l’émergence d’un véritable marché du lait et des dérivés laitiers avec l’introduction d’une gamme de produits plus diversifiée et des prix modérés. Elle s’est traduite par plus de concurrence et la remise en cause de la position de quasi-monopole du principal opérateur. Au plus grand profit des consommateurs.
Doit-on en conclure qu’il faut laisser les entreprises libres d’agir selon leur bon vouloir ? Certainement non. L’intérêt de toutes les entreprises est de vendre plus cher un produit de moindre qualité. Seule la concurrence peut les en empêcher. Lorsque la concurrence disparaît, il apparaît nécessaire de la rétablir. C’est ici qu’intervient le droit de la concurrence.

2. «Un pays dont la taille du marché est faible n’a pas besoin d’autorités de la concurrence»
Dans le cas d’une économie fortement ouverte sur l’extérieur, certains s’interrogent parfois sur l’intérêt d’un droit de la concurrence. La concurrence extérieure, celle exercée par les firmes exportatrices ou multinationales, se substituerait à une politique de concurrence onéreuse. Cependant, cet argument oublie que les entreprises vont essayer, si on leur en laisse l’occasion, d’ériger d’autres barrières à l’entrée, afin de limiter la concurrence. Par ailleurs, l’ouverture des marchés est loin d’être achevée, et ce dans de nombreux secteurs.

On entend alors dire que la concurrence serait forte parce que fragmentée dans un petit pays fermé. Là encore, il est raisonnable d’en douter. Une faible taille de marché ne laisse au contraire de place que pour un nombre restreint d’entreprises, dont il serait bon de veiller à ce qu’elles se comportent de manière concurrentielle. Dans un tel contexte, il faudrait être encore plus vigilant sur les cas de concentration industrielle (même si, il faut le souligner avec force, concentration ne rime pas forcément avec abus de position dominante des entreprises) ou d’ententes entre entreprises.
Une raison invoquée par ceux qui contestent l’intérêt d’une autorité chargée de la concurrence au Maroc est la fragilité du tissu productif local dominé par des PME sous-capitalisées et peu compétitives. Soumettre ces firmes familiales au droit de la concurrence serait trop contraignant.
L’argument semble reprendre la thèse de la protection de l’industrie naissante. Il insiste sur la nécessaire mise à niveau de l’économie avant de mettre en place un droit effectif de la concurrence. Le problème est que ce type de justification passe sous silence le fait que ces entreprises vivent sous un régime hyper protectionniste depuis la décennie 1960. Prolonger la durée de la protection ne ferait qu’ajourner davantage l’éclosion de PME innovantes et compétitives, celles-ci ne pouvant voir le jour que dans un environnement concurrentiel.

La faiblesse de la taille du marché est, dans de nombreux cas, un mauvais argument. La taille réduite du marché peut en fait résulter d’un mauvais fonctionnement des marchés et d’une politique économique inappropriée. Prenons le cas du secteur des télécommunications au Maroc. Au début des années 1990, l’offre était extrêmement réduite en variété et en volume. L’accès du service fixe du monopole étatique était un privilège. Pour le GSM, le lancement en 1993 sur Rabat et en 1994 sur Marrakech et Casablanca concernait quelque 50 000 personnes. L’ouverture du marché à la concurrence en 1999 a permis l’émergence d’une offre diversifiée, l’apparition d’une pluralité d’acteurs et l’accès de 10 millions d’abonnés aux services du téléphone mobile.
Une réglementation de la concurrence et une institution crédible et effective pour veiller au respect de cette même concurrence sont des conditions nécessaires à un élargissement du marché, et non des obstacles. Certes, les ressources d’un petit pays sont limitées. Allouer des ressources conséquentes budgétairement et en terme humain a un coût certain. Mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?