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Idées

Comment les subprimes ont mis l’économie mondiale à  genoux

L’innovation financière et les produits dérivés qu’elle a engendrés ont-ils atteint leurs limites ?

Pour répondre à  la question, l’auteur décortique les réactions en chaîne dans la crise des subprimes.

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Il analyse les mesures de sauvetage mises en Å“uvre par le patron de la Fed et rappelle les mesures macroéconomiques nécessaires pour une reprise de confiance des acteurs du marché et le redémarrage de la croissance.

Toutes les places mondiales de la finance ont plongé dans le noir lundi 17 mars 2008, suite à  l’opération de sauvetage entreprise par la Federal Reserve (Fed) au profit de la cinquième banque d’affaires américaine Bear Stearns. Celle-ci a été bazardée au départ pour une somme dérisoire de 236 millions de dollars à  JP Morgan Chase, au prix de 2 dollars l’action.

Le prix de cession a d’ailleurs suscité une révolte interne de l’ensemble de ses cadres actionnaires. Une semaine après, et suite à  une série de négociations houleuses avec les actionnaires, consacrant les modalités de la reprise de Bearn Stearns par JPMorgan, cette dernière a révisé le prix de l’action à  la hausse pour atteindre 10 dollars l’action et ce, suite à  la pression exercée par le personnel de la banque qui possède plus du tiers du capital, et quelques actionnaires principaux.

Toutefois, même ce nouveau prix de cession se trouve être en deçà  de la valeur réelle de l’action qui coûtait 67 dollars deux semaines avant le 16 mars et 170 dollars une année auparavant.

On assiste aujourd’hui à  une crise de confiance aiguà« vis-à -vis des valeurs bancaires. En effet, les mesures d’urgence prises à  la hâte pour soutenir Bear Stearns ont provoqué une onde de choc et soulevé l’inquiétude de la communauté des investisseurs et des opérateurs du marché. La Fed a pris, vis-à -vis de Bear Stearns, l’engagement délibéré, quoique pris dans l’urgence, d’accorder un prêt de 30 milliards de dollars à  JPMorgan Chase pour son acquisition.

On peut désormais se demander si l’innovation financière et les produits dérivés qu’elle a générés n’ont pas atteint leurs limites. L’emploi excessif et démesuré des instruments financiers et de l’ingénierie financière (appliquant à  outrance des modèles mathématiques complexes) ont créé des produits dotés d’une capacité à  disperser les créances bancaires sur l’ensemble du globe puisqu’ils peuvent aussi transformer des crédits immobiliers en valeurs mobilières.

Faut-il alors sortir la titrisation des salles de marché (o๠elle est traitée comme valeur mobilière) et la placer sous le joug des départements des marchés de capitaux (o๠elle est traitée en tant que créance), ou bien faut-il carrément l’abandonner, comme le suggèrent certains conservateurs ?

Les leçons de la crise de 1929
A la tête de la Fed se trouve un économiste aguerri qui a étudié, scruté et sérié pendant des années les causes et faits qui ont entraà®né l’économie américaine dans la grande faillite de 1929. En effet, Bern Bernanke est un expert de la crise de 1929 pendant laquelle les autorités monétaires ne prirent pas des mesures urgentes de sauvetage des banques de Wall Street, ce qui provoqua des faillites en chaà®ne de l’ensemble du système financier. La suite, on la connaà®t !

Bernanke semble avoir bien compris l’économiste J. M. Keynes en prenant des mesures courageuses et expéditives afin d’alimenter le marché financier de liquidités colossales. Son action s’inscrit dans la recherche rapide d’une solution de taille, sachant que le problème posé est de taille aussi.

On peut déjà  se poser la question de savoir s’il s’agit bien d’un problème de «liquidité bancaire» ou de «solvabilité bancaire», c’est-à -dire d’insuffisance des fonds propres des banques, dont on parle peu.

Mais, en raison de l’urgence et par pragmatisme, l’intérêt de la Fed était de trouver un premier remède à  la liquidité pour enrayer les pertes néfastes et hautement probables que cette crise pourrait engendrer.

Titrisation, premier facteur de contagion
Comment expliquer qu’un segment particulier du marché hypothécaire global, à  savoir les subprimes – quoique comportant des risques majeurs – soit capable de déclencher une spirale d’enjeux économiques de taille affectant dans son parcours les marchés des taux d’intérêt, des changes (le dollar par ricochet), du crédit et celui des actions ?

La crise des subprimes trouve ses racines dans le nouveau système de comptabilité financière internationale et les normes de communication financière qu’elle introduit (International Financial Reporting Standards – IFRS). Ce système, imposé par la globalisation des affaires et du commerce, a été retenu par l’ensemble du système financier international. En effet, ce système fait prévaloir une nouvelle norme comptable qui valorise les actifs des banques au prix de marché. Mais compte tenu de la propagation des risques qu’occasionne le nombre théoriquement infini des transactions (vente, cession), cette norme n’a pas manqué d’amplifier la volatilité des résultats financiers et celle des cours.

La révision reproduite en cascade des actifs détenus en portefeuille – qui sont des produits de la «titrisation» – et nécessitant une valorisation répétée au prix du marché, ne révèle pas réellement la juste valeur des actifs, car cette valorisation puise ses bits d’information dans les appréciations et croyances collectives du moment, et dans les rapports et bulletins financiers périodiques élaborés à  la hâte. Nous pouvons donc émettre l’assertion que le prix de marché d’un actif donné, à  un moment précis, ne reflète qu’une estimation plus ou moins subjective, une croyance collective à  cet instant.

La titrisation faisant partie de la classe des produits dérivés a donc amené les banques :
1) à  céder leurs créances sous forme de valeurs mobilières au profit des fonds spéculatifs, les hedge funds. Ce faisant, cette technique a abusé du financement des dettes à  long terme par des actifs à  court terme ;

2) à  exploiter de manière excessive la technique des SPV (voir ci-dessous) qui amplifie les risques générés par d’autres risques de manière imbriquée et infinie.
Propagation des risques à  l’infini !

Si les crédits subprimes accordés au départ de l’opération de crédit au client initial est faite par les banques d’investissement elles-mêmes, ces crédits sont, dans leur majorité, cédés par ces banques à  des entités dédiées appelées «special purpose vehicle» (SPV). Pour leur propre refinancement, ces dernières doivent émettre des obligations nommées residential mortgage backed securities (RMBS) qui sont alors achetées à  leur tour par des investisseurs qui traquent des actifs à  hauts rendements espérés.

Ces nouvelles obligations sont à  leur tour négociables sur le marché des obligations, et achetées par d’autres structures dans la chaà®ne de la contagion, ce sont les «collateralized debt obligations» (CDO). A ce niveau de reproduction continue de titres, l’ingénierie financière bat son plein. C’est ainsi que les CDO génèrent sur le marché des actifs d’autres obligations. Les obligations CDO tombent dans le jeu de la négociation et se trouvent acquises par d’autres entités appelées CDO2 et ainsi de suite jusqu’à  l’infini.

L’effet de propagation des transactions subprimes qui changent constamment de mains et de structures «hébergeantes» génère un risque multi-composé (a multi-compounded risk) dans un marché hypothécaire à  haut risque.

La pondération que ces transactions subissent est proportionnelle à  la dose de risque qu’elles- mêmes génèrent en amont et en aval de chaque acquisition par ces mêmes entités qui constituent les maillons de la chaà®ne. Ce mécanisme de propagation des transactions de cession et d’achat pouvant se reproduire à  l’infini, ne pourrait-on pas parler de «finance de la contagion» ?

Par ailleurs, le coût de transaction s’amplifie à  chaque opération et gonfle fictivement la valeur du titre. Au bout de la chaà®ne, si bout il y a – ou, selon l’expression, du serpent qui se mort la queue – la spéculation excessive finit par affecter sévèrement les acquéreurs de maisons à  revenus moyens, qui se trouvent dans l’incapacité de rembourser – pour des raisons de perte d’emploi – des crédits exorbitants dès que l’incident de défaut de paiement se produit et vient taper à  leur porte.

Bear Stearns, consciente des risques majeurs que son portefeuille hypothécaire encourait depuis quelques mois déjà , et des enjeux qui accompagnaient les subprimes, a décidé de fermer deux fonds hypothécaires en sa possession en juin 2007. Les opérateurs de marché, dotés d’un flair aiguisé en matière monétaire, ont vite décodé le signal émis par cette banque d’affaires qui a sciemment et intelligemment dissimulé son jeu.

C’est ainsi que la panique a gagné les opérateurs «market makers» qui ont commencé à  céder une bonne partie de leur portefeuille pour se prémunir contre toute éventualité de dérapage immédiat ou futur. Suite au comportement feutré et discret de la banque Stearns, le doute s’est propagé et a fini par affecter négativement l’ensemble des portefeuilles de crédits hypothécaires subprimes.

Cet événement a marqué le début d’une spirale de maladresses et de contagions successives.
Aussi, les market makers, en possession de titres représentant une grande masse de capitaux, dont ils ne pouvaient identifier les vrais porteurs de risque (institutionnels et entreprises), avaient décidé par méfiance de ne plus recourir au marché interbancaire pour leurs besoins de liquidité quotidienne.

Le marché monétaire, voyant ses sources se tarir par l’absence d’animateurs et d’acteurs de marché interbancaire, ceux-ci ayant perdu confiance dans la valorisation des actifs hypothécaires subprime, sollicite dans l’urgence le concours de la Fed pour l’alimenter en liquidités nécessaires au bon fonctionnement du crédit et de l’économie.

Le soutien de la Fed à  la croissance
La banque centrale américaine, en prêtant son concours à  l’économie dès l’été 2007, a clairement arbitré en faveur du soutien à  la croissance au prix du risque de renforcement des pressions inflationnistes. En effet, le sauvetage de Bear Stearns a renforcé les craintes des marchés d’une crise systémique o๠les banques s’effondreraient les unes après les autres comme des dominos. Bern Berbanke s’est inspiré, dans sa démarche courageuse et volontariste, des déboires engendrés par la crise de 1929. C’est pourquoi, et depuis l’été, il s’est employé à  innover à  plusieurs reprises contre vents et marées pour pouvoir juguler la crise.

Afin d’éviter une crise systémique du système financier américain, la Réserve Fédérale a mis au point une panoplie de produits innovateurs et efficients à  savoir :
1) la diversification des titres éligibles au refinancement,
2) l’injection de liquidités supplémentaires et la possibilité de mettre en garantie des titres frappés d’illiquidité,
3) la baisse du taux d’escompte,
4) la baisse des taux d’intérêt, en plus d’une politique très active des taux directeurs.

Par ailleurs, anticipant des situations de complications majeures provoquées par la crise de confiance qui sévit dans les secteurs de la finance, un pool de banques centrales internationales (the Federal Reserve, the Bank of England, the European Central Bank) conduit actuellement une série de manÅ“uvres salvatrices (rescuing from bankruptcy) au profit du système bancaire se rapportant au rachat conjoint des mortgage backed securities» (MBS) qui sont des produits basés sur les crédits immobiliers. Toutefois, ce groupe solidaire se trouve devant le dilemme de faire assumer ou pas aux contribuables l’utilisation de l’argent public pour sauver des banques privées ayant pris des risques inconsidérés.

Toutefois, la Fed doit rapidement agir sur des variables macroéconomiques pour mettre fin à  la crise de confiance qui sévit dans les esprits des opérateurs et des acteurs de marchés, nourrie par l’effondrement du billet vert.

De la même manière, elle doit agir en faveur du regain de confiance des ménages qui voient leur pouvoir d’achat se détériorer, prendre des mesures incitatives pour la création d’emploi, comme elle doit faire face à  la poursuite de la contraction du marché immobilier et compenser les pertes d’emplois qu’elle a induits. En définitive, la reprise de confiance chez les acteurs et le redémarrage de la croissance sont une question de temps.