Idées
Comment la foi peut être chantée, conjuguée avec amour, paix et tolérance
Avec la crise qui s’installe, l’heure se fait de plus en plus grave. D’où le poids de la responsabilité de qui, aujourd’hui, travaille à façonner les esprits selon un canevas donné. Voilà pourquoi il eut été bon que notre Premier ministre vienne écouter Joan Baez. Pour se remémorer un autre temps. Une autre manière d’appréhender la vie et de combattre pour le bien de l’humanité. Toute l’humanité et non pas, seulement, celle de ses frères en religion.

Au final, il n’était pas là. Bien dommage, car on ne ressort pas indemne d’un tel concert. Le bruit circula que le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, serait présent à la clôture de la 18e édition du Festival des Musiques sacrées. Qu’il était un fan de l’icône qui allait se produire à Bab Al Makina en ce samedi 16 juin.
Le secrétaire général du PJD, admirateur de la «reine du folk» ? Avec notre très iconoclaste chef du gouvernement, tout est possible. Mais ce n’était que conjectures et de Benkirane, il n’y eut point à cette soirée exceptionnelle. Pourtant qu’il aurait été bon pour lui, comme pour tant d’autres, de venir écouter comment la foi peut être chantée, peut être conjuguée avec amour, paix et tolérance. Comment Dieu, peut être évoqué, interpellé même, autrement. Par autrement, entendez autrement que pour menacer de ses foudres l’impénitent qui désobéit à sa loi. Plusieurs des morceaux de légende interprétés ce soir-là invoquaient «God» («God is God», «God is in our side», etc.). Mais ce «God» n’avait rien à voir avec un père fouettard dont l’image du glaive est à tout bout de champ brandie pour contraindre et soumettre. C’était un «God» à l’écoute des misères et des souffrances des hommes, un «God» fait d’amour et de pardon que l’on peut solliciter et interpeller.
Alors, même si c’est sur un autre registre, on ne pouvait qu’acquiescer quand, entre deux chansons, celle qu’on surnomme «la madone des pauvres» ou encore «la conscience d’une génération» s’est écriée : «J’ai eu beaucoup de chance de vivre ces années-là». Ces années-là, ce sont les années 60, les années «peace and love» aux USA. Et elle, Joan Baez, l’égérie de cette époque.
Pour la clôture de sa 18e édition, le Festival des Musiques sacrées du monde a accueilli ce symbole de l’engagement protestataire américain. Un concert magique lors duquel le temps s’est arrêté, les frontières se sont estompées, le monde est redevenu un. Et l’humanité, à nouveau, belle. Quand elle a fait son entrée, robe noire, écharpe rouge et cheveux blancs, un frisson a parcouru le public. Et lorsque sa voix, douce et puissante à la fois, s’est élevée, une émotion profonde s’est emparée de l’assistance. Ce frisson, cette émotion, sont restés tout au long des deux heures de cet exceptionnel concert commencé et terminé par une ovation du public.
Joan Baez est septuagénaire aujourd’hui. Mais, comme préservée par ses engagements, l’icône est restée toujours aussi belle, la silhouette droite, le visage lisse et la voix aussi prodigieusement prenante. Joan Baez aux Musiques sacrées, pourquoi ? Parce que si Joan Baez ce fut Woodstock et l’amour libre, ce fut aussi un engagement teinté de spiritualité, un engagement où Dieu n’est jamais très loin. Joan fut ainsi très proche du pasteur Martin Luther King à côté duquel elle a marché et dont sa chanson We shall overcome fut l’hymne du mouvement antiségrégationniste. Joan Baez, ce fut donc ce temps où, aux USA, toute une jeunesse s’est levée pour dire non à l’inégalité des droits entre les Noirs et les Blancs, non à la guerre (au Vietnam), non à la peine de mort. Oui à la paix, oui à l’amour et oui au respect des peuples. Que cette jeunesse était belle, comme les idéaux dont elle était porteuse tiraient en avant et sanctifiait la vie. C’est tout cela que Joan Baez nous a fait revivre lors de ce concert. Au sortir de cette remontée magique dans le temps, le retour à la réalité a été rude. Des images se sont télescopées dans la tête. Celles de la dernière actualité de la région avec ces manifestations en Tunisie où des salafistes ont tenté de prendre possession de la rue après avoir saccagé une galerie d’art. Les islamistes tunisiens au pouvoir débordés par leur aile radicale. Où va-t-on ?
Tristes lendemains de révolution. Alors, même si cela se passe chez nos voisins et non chez nous, ceux qui nous gouvernent actuellement doivent réfléchir, et réfléchir profondément à ce vers quoi leur projet idéologique conduit. Avec la crise qui s’installe, l’heure se fait de plus en plus grave. D’où le poids de la responsabilité de qui, aujourd’hui, travaille à façonner les esprits selon un canevas donné. Voilà pourquoi il eut été bon que notre Premier ministre vienne écouter Joan Baez. Pour se remémorer un autre temps. Une autre manière d’appréhender la vie et de combattre pour le bien de l’humanité. Toute l’humanité et non pas, seulement, celle de ses frères en religion.
