Idées
Combattre les dérives
Le débat est plus chaud que jamais au sein de l’opinion publique
à propos du terrorisme et de l’attitude à observer face
à ce phénomène. Voici une contribution à ce débat.
Avec Abdelali BENAMOR, membre fondateur d’Alternatives
Nous avons posé à Salah El Ouadie et Abdelali Benamour les trois questions suivantes relatives aux rapports entre respect de la loi et lutte anti-terrorisme. Dans le numéro du 23 mai nous avons publié la réponse de Salah El Ouadie. Cette semaine nous publions celle de Abdelali Benamour :
1 – La lutte contre le terrorisme est-elle possible sans entorses à la loi ?
2- Doit-on renforcer l’arsenal législatif en la matière ?
3-Y a-t-il un risque de dérives sécuritaires?
«Je voudrais tout d’abord dire que vos questions rejoignent un faux débat qui a préoccupé l’opinion publique depuis de nombreux mois. Il serait en effet intéressant de revenir sur ces questions après l’attentat ignoble du vendredi 16 Mai 2003.
Votre première question, «la lutte contre le terrorisme est-elle possible sans entorses à la loi ?» est significative du climat de confusion régnant au Maroc par rapport à la question de la lutte contre le terrorisme.
Je voudrais vous répondre en vous rappelant des choses assez simples; je suppose que votre question part tout de même d’une hypothèse de base mettant en évidence l’impérative nécessité de lutter contre le terrorisme. Maintenant, est-il possible de le faire sans entorses à la loi ? Je crois que oui si on met les garde-fous nécessaires au non-détournement de la loi. C’est là que réside toute la problématique. Le Maroc semble être en face de deux logiques. Nous avons d’abord ceux qui, sous couvert de privilégier la liberté, sont contre la loi anti-terrorisme. Dans cette catégorie nous trouvons plusieurs sensibilités; nous avons d’abord ceux qui ont souffert objectivement dans leur corps et leur âme durant les années de plomb et qui ont, à juste titre, peur de la répétition des exactions vécues; nous avons malheureusement par ailleurs les mouvements extrémistes, particulièrement les intégristes «religieux» qui veulent continuer à utiliser la religion à des fins politiques en recourant à des discours fallacieux et propagandistes visant à convaincre des innocents par un référentiel aux années fastes de l’Islam, mais en prêchant l’intolérance, la lutte des civilisations, certaines formes de racisme et d’appel voilé à la violence ; le tout en traitant certaines personnes d’athées, entendons par là mécréants, parce qu’elles ne sont pas de leur bord. Evidemment, ces mouvements, de par leurs discours, peuvent créer les conditions objectives au développement du terrorisme et de la violence; ils n’ont donc pas intérêt à ce que des lois anti-terrorisme et anti-violence soient mises en œuvre.
Nous avons une troisième sensibilité; il s’agit de ceux que je me permettrai de qualifier de «femmes et hommes de la galerie»; en ne s’intéressant nullement au fond des problèmes, ils veulent se positionner publiquement à travers certains courants politiques, associatifs ou médiatiques; ce qui est amusant, mais triste quelque part, c’est que ces gens de la «galerie», qui ne représentent souvent que leurs personnes, se trouvent parfois à l’avant-garde de débats nationaux dans le cadre d’une certaine presse en mal de sensationnel et de clientèle. Face à cette mouvance anti-loi contre le terrorisme, nous avons heureusement ceux qui interpellent les plus sérieux de la première sensibilité pour leur conseiller de ne pas «jeter le bébé avec l’eau du bain»; un proverbe arabe est bien adapté à ces circonstances : «que de choses importantes on a réglées en les abandonnant»; n’abandonnons pas la loi anti-terrorisme sous prétexte qu’il peut y avoir des débordements.
Nettoyer la loi de certaines clauses
Examinons plutôt les entraves possibles et tenons-en compte dans le cadre de la loi ; en tout état de cause, une loi c’est la lettre mais c’est aussi l’esprit ; mettons en exergue la lettre et l’esprit, mais luttons contre le terrorisme par la loi ; certains invoqueront par exemple la problématique de la séparation des pouvoirs et du fonctionnement de la justice. Je leur dirai: luttons contre ces débordements et non contre la loi anti-terrorisme.
Cela dit, «doit-on renforcer l’arsenal législatif en la matière ?» suppose que la loi permet déjà une certaine lutte contre le terrorisme, la violence, ou l’appel à la violence ou l’atteinte à la liberté d’autrui, ce qui est totalement erroné à mon avis ; c’est justement pour cela que le gouvernement a proposé, à juste titre, un projet de loi nouveau en la matière ; ce texte est absolument indispensable, mais j’admets qu’il faut le nettoyer de certaines clauses qui peuvent permettre des débordements. Je voudrais préciser une chose qui me semble importante : c’est en tant que démocrates que nous demandons de lutter contre le terrorisme, l’appel à la violence, à l’intolérance, au racisme et à l’atteinte à la liberté d’autrui. En l’absence d’un tel arsenal, ce sont les sécuritaires qui s’exprimeront et qui se sont, d’ailleurs, exprimés par le passé. Aussi paradoxal que cela puisse paraître à certains, c’est par cette loi qu’on évitera les dérives.
Quant à votre troisième question, «y a-t-il un risque de dérives sécuritaires?», je voudrais d’abord dire qu’en toute âme et conscience, je me sens plus libre à l’heure actuelle que par le passé ; de plus le pays a besoin de sécurité, qu’elle soit civile ou de type politique concernant les violences ou l’appel à la violence. Ceci dit, notre expérience nous incite à la prudence ; des débordements sécuritaires sont possibles, existent encore même si ils sont de moindre intensité et peuvent se reproduire. Maintenant, est-ce que le texte anti-terrorisme risque de provoquer des dérives sécuritaires ? Là encore, évitons de «jeter le bébé avec l’eau du bain» ; les risques existent toujours, mais ne sont-ils pas plus importants sans la loi ? De plus, ce sont les dérives possibles qui sont à combattre par une mobilisation politique et civile lorsqu’elles se produisent et non la loi elle-même.
En conclusion, nous constatons donc que nous sommes devant un faux débat : il n’y a pas un démocrate à mon avis qui ne sera pas pour l’adoption d’un arsenal juridique contre le terrorisme et l’appel à la violence, mais il n’y a pas non plus un démocrate qui ne craint pas les débordements. Permettons donc la lutte contre la violence de façon légale, mais luttons contre les débordements et non contre la loi
