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Idées

Ce qui passait hier ne passe plus aujourd’hui

On ne tolère plus de la même manière l’arbitraire et les atteintes à  la dignité. Certes, la revendication première est d’ordre social, elle se rapporte au travail et à  l’amélioration des conditions de vie. Mais à  côté, tout aussi importante, s’exprime l’exigence de respect. Les comportements moyenà¢geux ne passent plus. Et cela, certains ont encore du mal à  l’intégrer

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Hinde TAARJI 2013 03 07

Il y a peu encore, c’eut été impensable. Un petit garagiste qui dénonce l’humiliation que lui aurait fait subir un magistrat, qui aurait pu imaginer cela ? L’affaire du «moul sabbate» de Midelt montre que c’est à présent de l’ordre du possible, témoignant d’une évolution, sans doute encore insuffisamment perceptible mais réelle dans le rapport du citoyen à l’autorité en place. Avant, la peur de celle-ci était si paralysante que, quels qu’eussent été ses agissements à son égard, le réflexe du Marocain lambda était de subir sans broncher. Ce fut d’ailleurs l’attitude première du héros malheureux du désolant incident survenu le 16 février dernier. Ce jour-là, furieux de voir que la réparation de sa voiture n’était pas achevée, le substitut du procureur du tribunal de première instance de Midelt se serait mis à insulter et à cracher au visage de ce jeune carrossier. Ce dernier aurait ensuite été conduit au commissariat où il aurait été obligé de baiser les chaussures de l’homme de loi pour que celui-ci ne dépose pas plainte contre lui. Sauf que, coup de théâtre, ce sera le garagiste qui, au final, poursuivra le substitut. Relayé par la presse locale, son récit a provoqué l’indignation des habitants de la ville. L’antenne locale de l’AMDH ayant pris l’affaire en main, une manifestation de soutien au jeune homme a été organisée à la date symbolique du 20 février. Entre 5 000 et 7 000 personnes y ont pris part pour rétablir la dignité bafouée de l’homme insulté et réclamer la démission du juge. Sous la pression de l’opinion publique, le procureur général du Roi près la Cour d’appel de Meknès a ouvert une enquête judiciaire. Dans un communiqué à la MAP, il a annoncé que «la décision opportune sera prise après clôture de l’enquête dont les conclusions seront annoncées à l’opinion publique». Mais, de crainte de voir l’affaire classée sitôt l’émotion retombée, l’AMDH a fait part de son côté de son intention de «poursuivre les protestations» afin d’obtenir la condamnation «de telles pratiques dégradantes pour la dignité humaine».

Le cyclone du printemps arabe a épargné les institutions marocaines qui ont su lâcher le lest nécessaire pour éviter la rupture tout en maintenant l’essentiel de leurs prérogatives. Pour les responsables politiques et les agents d’autorité, l’erreur serait cependant de croire que le Maroc est sorti indemne de ce vent de révolte qui a soufflé d’un bout à l’autre du monde arabe. Une affaire, d’apparence aussi bénigne, que celle du garagiste de Midelt montre combien, jusque dans le pays profond, ces révolutions ont impacté les populations. Que ce soit par le biais d’Internet ou des chaînes de télévision satellitaires, les populations ont vécu en direct les soulèvements. Elles se sont retrouvées dans les cris de liberté, dans les demandes d’égalité sociale et dans le rejet de l’arbitraire et des atteintes à la dignité. Les esprits en ont été marqués. Et c’est ce qui a conduit un petit garagiste de Midelt à ne pas accepter aujourd’hui ce à quoi il se serait soumis hier. L’enchaînement des événements, avec la prise en main de l’affaire par la société civile, le rôle joué par la presse locale dans la sensibilisation de l’opinion publique et la pression exercée ensuite par celle-ci sur l’autorité en place témoignent de ce que les contre-pouvoirs s’affirment et acquièrent du poids. Le changement majeur engendré par le printemps arabe se rapporte à la peur. Si elle n’a pas disparu, celle-ci a beaucoup diminué. Elle ne paralyse plus de la même manière. Les gens osent dire non, ils osent se rebiffer et cela est nouveau. Nouveau en ce que cet esprit de rébellion devant l’arbitraire cesse d’être l’apanage des seuls militants aguerris pour s’étendre au commun des mortels. On ne tolère plus de la même manière l’arbitraire et les atteintes à la dignité. Les détenteurs de pouvoirs seraient bien avisés de prendre la juste mesure de cette transformation fondamentale des mentalités. Certes, la revendication première est d’ordre social, elle se rapporte au travail et à l’amélioration des conditions de vie. Mais à côté, tout aussi importante, s’exprime l’exigence de respect. Les comportements moyenâgeux ne passent plus. Et cela, certains ont encore du mal à l’intégrer.