Idées
Budget : les questions occultées
Il faut s’attaquer avec une plus grande détermination à ces rigidités qui bloquent la capacité d’orienter la politique budgétaire vers plus de croissance. Tant que la Caisse de compensation pèsera de son poids sur les charges publiques, c’est autant de ressources qui sont détournées de l’investissement public.

La situation des finances publiques interdit, de facto, l’usage d’une politique économique autonome en soumettant les choix budgétaires à un impératif incontournable : celui de l’assainissement budgétaire. C’est dans cette situation que s’est brutalement trouvée la législature de l’actuel gouvernement. Lorsque le déficit dépasse un certain niveau et que la dette a franchi un seuil déterminé, la contrainte budgétaire obère presque totalement la politique économique. L’état du Trésor et l’évolution de l’endettement public sont des critères décisifs d’appréciation de la soutenabilité des finances publiques.
L’assainissement des finances publiques ne peut ni ne doit être mis entre parenthèses. Il ne peut pas l’être du fait des engagements vis-à-vis de nos partenaires ; du fait des responsabilités vis-à-vis de nos concitoyens. Il ne doit pas l’être car repousser l’assainissement à plus tard exposerait à de sévères déconvenues ; plus l’ajustement budgétaire est reporté, plus l’intensité des efforts à fournir ultérieurement est grande.
Cela dit, malgré ce contexte de contrainte, on aurait pu s’attendre à un projet budgétaire plus volontariste, plus ambitieux, apte à remettre le Maroc sur les rails de la compétitivité. Notre croissance s’affaiblit alors que notre chômage est structurel. Dans de telles conditions, on ne peut consacrer continuellement notre énergie à gérer le déficit des finances publiques. La discipline budgétaire, indispensable, doit viser une fin : libérer des marges de manœuvre pour nourrir une politique économique d’envergure, susceptible de gagner des points de croissance.
Aussi, faut-il s’attaquer avec une plus grande détermination à ces rigidités qui bloquent la capacité d’orienter la politique budgétaire vers plus de croissance. Tant que la Caisse de compensation pèsera de son poids sur les charges publiques, c’est autant de ressources qui sont détournées de l’investissement public. Rien n’indique que la caisse connaîtra, cette année, une réforme d’envergure. Il est aussi temps que les décideurs prennent conscience que le point noir de notre économie est celui du large déficit de la balance des opérations courantes. La politique budgétaire peut contribuer à son redressement par une affectation plus judicieuse des ressources dédiées au renforcement de la compétitivité de l’économie. Or, le budget de cette année ne brille ni par une rénovation des instruments d’appui à l’offre exportable ni par des mesures de maîtrise des importations.
L’investissement public joue un rôle décisif dans le développement de nos infrastructures et de notre capacité à l’exportation. Son rôle est aussi fondamental dans la création de l’emploi et l’amélioration de la productivité. La situation des finances publiques exige toutefois une stricte sélection des investissements publics. Ils se justifient s’ils présentent des externalités positives ou s’ils préparent l’avenir avec des projets que le secteur privé ne peut mener. Les besoins sont toujours importants, mais financièrement difficilement soutenables.
Aussi doivent-ils être analysés à l’aune des priorités ; il faut à l’évidence éviter les gâchis. Les défis de l’économie ouverte nous invitent à revisiter les investissements nécessaires pour améliorer l’adaptation du pays : communications, production et distribution d’énergie mais aussi cohésion sociale, qualité de vie, efficience dans l’utilisation des ressources…. Pour rationaliser la décision, il faut améliorer la connaissance des besoins, définir les critères d’évaluation, améliorer les outils de calcul économique, apprécier les inégalités dans l’espace. Dès lors, comment réussir à la fois à préserver l’investissement public et à sauvegarder la solvabilité ? Le recours aux partenariats publics-privés peut sembler offrir des marges de manœuvre mais une évaluation complète de ce type de contrat est indispensable. En tout cas, l’amélioration de la programmation des investissements publics s’impose afin d’en garantir la cohérence et la valorisation des actifs existants. Une meilleure gouvernance des projets et une clarification des plans de financement apparaissent comme des préalables à une bonne satisfaction des besoins.
S’il convient donc d’être particulièrement vigilant à la maîtrise des dépenses publiques, la cohérence de la politique budgétaire exige de disposer d’une assise forte : avoir un système fiscal crédible au regard des mutations que notre pays doit accomplir pour renforcer notre capacité économique relative, construire un réel contrat social, moderniser l’État lui-même. La crédibilité de notre système fiscal tient à sa plus ou moins grande adaptation aux impératifs de l’économie ouverte, d’une société solidaire et dynamique source de progrès individuel et collectif, d’une société de civisme : la citoyenneté a aussi une dimension fiscale qui s’exprime dans la juste contribution. Il faut reconnaître que le catalogue des mesures fiscales de la nouvelle loi de finances est loin de répondre à ces impératifs. Au regard des défis que notre pays doit relever, le système fiscal présente des rigidités et des archaïsmes. Ils doivent être corrigés. Les assises fiscales annoncées seront-elles l’occasion de définir un nouveau socle fiscal profondément adapté, modernisé, équitable et allégé, sur lequel il est possible de s’appuyer pour pérenniser l’assainissement budgétaire ?
Ainsi, à l’image d’un paquebot conservant son cap un long moment après que le gouvernail a été actionné, le budget est affecté d’une grande inertie, tant sur les stocks (de la dette) que sur les flux (les dépenses). Le passé récent pèse certainement de tout son poids sur cette inertie mais les marges de manœuvre ne sont pas pour autant nulles. Volontarisme, imagination et responsabilité doivent être convoqués à la barre pour emprunter les voies d’une alternative salutaire.
