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«Laissez-moi parler !»

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Une écriture fluide, des mots simples et pourtant des paroles fortes, pleines de sève de ces vies multiples qui se croisent et se décroisent en nous et autour de nous, voilà ce que nous offre Halima Hamdane avec Laissez-moi parler !, une co-édition de la Maison des arts, des sciences et des lettres, fraîchement créée par l’historien Abdeslam Cheddadi.

Halima Hamdane vit à Paris depuis 1987. Un mariage à dix-sept ans suivi d’un divorce lui fait prendre conscience très tôt de ce dont elle nous entretient dans ce roman, la difficile mue de la condition féminine dans un pays où le poids des traditions n’a d’égal que la force du changement. Au lieu de l’affaiblir, les ratés de ses premiers pas de femme poussent Halima Hamdane à aller de l’avant, à prendre en main sa destinée comme elle le fera faire à Dada Ytto, son héroïne. Dans cette ode à voix multiples, tissée à la manière d’un conte des Mille et une nuits, une histoire se prolonge en l’autre. Car c’est cela qu’il nous est donné à lire, cette similarité des destins qui, tout en différant, ont en commun la douloureuse et initiatique émergence du «Je» dans un univers marqué par la domination du groupe.

Son divorce signe pour Halima Hamdane un nouveau départ dans la vie. Elle part sur Paris où elle reprend ses études. La Sorbonne, des études de lettres, l’enseignement ensuite pendant une dizaine d’années à l’université d’Evry, puis c’est le grand plongeon dans l’aventure littéraire. Une aventure dans laquelle elle fait se côtoyer l’ancien et le nouveau. La culture orale s’invite à la table et y officie en maître de céans. En parallèle à l’écriture romanesque – un premier livre, Sarraouiyna, est publié en 2004 -, Halima Hamdane s’est faite conteuse. Renouant avec le kan ya makan de nos grand-mères, elle entraîne adultes et enfants dans l’univers merveilleux du conte traditionnel marocain. Laissez-moi parler ! combine la forme du roman avec une démarche propre à l’oralité où des histoires, portées par des voix multiples, s’emboîtent les unes dans les autres à la manière des poupées russes.

Tout tourne dans ce livre autour de la prise de parole et de la revendication de liberté contenue dans celle-ci. Partant d’une situation de double servitude, Dada Ytto, avec son véhément «laissez-moi parler !», est l’incarnation parfaite de l’être soumis qui, un beau jour, se redresse et casse ses chaînes. L’héroïne s’empare du droit de faire entendre sa voix, de la faire résonner haut et fort de manière à rompre avec tous les silences. Mais dans le même temps, elle se refuse à rester dans le registre de la plainte. Ce n’est pas parler qui crée la rupture mais oser, par la parole et par le geste, se faire rebelle. L’auteur recrée l’atmosphère de ces échanges féminins, véritable thérapie de groupe où les maux des unes se donnent à entendre à ceux des autres.

Porter au grand jour ce qui opprime et aliène constitue le premier pas sur le chemin de l’émancipation. Au dire cependant doit s’adjoindre l’agir. Se draper dans l’habit de la victime et ne plus s’en départir en se livrant à la seule récrimination n’est pas le plus efficace pour changer son sort. Par la voix de Dada Ytto, Halima Hamdane s’élève contre ce qu’elle nomme la «culture de la plainte», dans laquelle nombre de femmes s’enlisent. Cette notion de «culture de la plainte» est intéressante en ce qu’elle souligne une attitude qui, dans notre société, n’est pas le fait du seul sexe féminin. En effet, il existe une tendance à la victimisation qui pousse à rendre l’autre (ou la société) entièrement responsable de ce qui vous arrive. Or, derrière cette culpabilisation à outrance d’autrui, se dissimule souvent une peur à aller de l’avant. Le chemin de la réalisation de soi est toujours parsemé d’embûches. Quand la vie vous a délesté une première fois de tout ce que vous possédez et que vous y survivez, il n’est plus d’épreuve qui vous paraisse insurmontable. Dada est ce personnage qui, parti de l’état de l’absolue servitude, se réapproprie son destin parce qu’il a gommé de son lexique le mot résignation. Vivre vraiment, c’est oser s’exposer au vent mordant de la liberté. Cela a un coût, comme tout dans la vie.