Affaires
TVA sur la LOA : le gouvernement dans l’impasse !
Il tente de faire payer le surplus
de TVA par
les sociétés de financement au lieu des consommateurs.
Les professionnels refusent de supporter les effets d’une «erreur» du gouvernement.

Le gouvernement, plus particulièrement le ministère des finances, est dans l’embarras. La hausse, depuis le 1er janvier, de la TVA de 10 à 20% sur les opérations de location avec option d’achat, connues sous l’appellation de LOA, a donné lieu à une situation délicate. C’est avec l’entrée en vigueur de la mesure et ses premiers effets sur les traites automobiles des clients – qui se sont alourdies de 300 DH par mois en moyenne -, qu’on a mesuré l’ampleur des difficultés à venir. En fait, le gouvernement avait tablé sur le fait que les sociétés de crédit à la consommation ne feraient pas payer la hausse de la TVA à leurs clients. Il s’est trompé.
Lesdites sociétés, sur le front, seront naturellement les premières à être pointées du doigt. Début janvier, des discussions informelles ont lieu à propos de la hausse des mensualités. Certaines sociétés prennent les devants en envoyant un courrier à leurs clients les avisant de l’augmentation de leurs mensualités. Mais ce n’est qu’à la fin du mois de janvier, au moment du prélèvement des mensualités, que le mécontentement s’affirme. Celui des clients, celui de la profession, prise à partie, et celui du gouvernement, regardé comme insensible à l’érosion du pouvoir d’achat des citoyens. S’ensuit alors un débat par presse interposée, des réunions et un imbroglio dans lequel sociétés de financement et gouvernement se renvoient la balle.
Des marges confortables
Lundi 4 février, le ministère des finances décide de crever l’abcès et convoque une réunion à laquelle prendront part le ministre des finances, Salaheddine Mezouar, le directeur général des Impôts, Noureddine Bensouda, des hauts fonctionnaires du ministère ainsi que neuf représentants de l’Association professionnelle des sociétés de financement (APSF). De nombreux points sont à l’ordre du jour mais c’est incontestablement la TVA sur la LOA qui va dominer le débat.
Selon des membres présents à cette réunion, le ministre des finances n’y est pas allé par quatre chemins, demandant clairement aux sociétés de financement de «faire un effort». En un mot, supporter à travers une baisse de leurs marges le surcoût généré par la hausse du taux de TVA de 10 à 20%. «Nous ne leur demandons pas de surseoir à l’application du nouveau taux, mais de réfléchir à des pistes pour amortir le choc», indique un haut responsable au ministère des finances, qui avance pour argument que les sociétés de financement ont aujourd’hui des marges assez confortables pour pouvoir en grignoter quelques points.
En fait, la situation a pris une tournure politique. Le gouvernement de Abbas El Fassi étant arrivé dans une conjoncture dominée par la flambée des prix, le Premier ministre ayant lui-même, dans sa déclaration devant le Parlement, pris l’engagement de tout mettre en Å“uvre pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens, une hausse de 300, 400 ou 500 DH tombe très mal. Comme on pouvait s’y attendre, les députés, et pas seulement ceux de l’opposition – l’USFP s’étant mise de la partie – ont sorti l’artillerie lourde.
Le gouvernement savait
Pour les professionnels, les choses sont claires. Le directeur financier d’une société de financement de la place ne mâche pas ses mots. «On ne peut pas demander aux sociétés de réparer une erreur faite par le gouvernement». Car, pour les professionnels de l’APSF, il s’agit bel et bien d’une erreur ou plutôt d’une série d’erreurs qui ont conduit à l’impasse actuelle.
D’abord, en décidant d’aligner le taux de la TVA appliqué aux mensualités (TVA collectée) sur celui que les sociétés déboursent pour l’achat de véhicules, à savoir 20%, le ministère des finances savait pertinemment que cela donnerait lieu à des hausses importantes à cause du différentiel rattrapé qui est de 10%. Il se doutait aussi que les sociétés de financement allaient répercuter automatiquement cette hausse sur leur clientèle dès la fin janvier. Ainsi, quand la Loi de finances de 2007 avait décidé de faire passer ce même taux de 7% à 10%, les sociétés de financement avaient répercuté la hausse sur les mensualités sans que cela donne lieu à un quelconque problème. Sauf que, cette fois-ci, la différence est trop importante pour ne pas faire réagir les clients. «On ne peut pas reprocher aux sociétés d’avoir répercuté la hausse. Elles protègent leur rentabilité», explique le directeur financier d’une société de la place.
Deuxième erreur d’appréciation du gouvernement, et peut-être la plus grave : il n’a pas réagi lorsque la Loi de finances était encore en discussion, alors que les professionnels avaient mis en garde contre les conséquences de la hausse du taux de la TVA sur les clients antérieurs à 2008. En effet, depuis le mois d’octobre, les sociétés de financement avaient alerté le ministère sur la question (lire La Vie éco du 12 octobre et du 16 novembre). Mieux : trois amendements ont été présentés par les parlementaires du groupe socialiste, sur proposition des sociétés de financement. Le premier proposait tout simplement de maintenir le taux à 10% et de rembourser le différentiel aux sociétés. Le second proposait, tout en augmentant le taux de 10 à 20%, le principe de non- rétroactivité pour ne l’appliquer qu’aux nouveaux contrats.Quant au troisième amendement, les parlementaires ont proposé de maintenir le taux à 10% pour les véhicules d’une valeur inférieure à 200 000 DH, une sorte de TVA économique. Les trois amendements auront été purement et simplement rejetés par le ministère des finances qui a fait jouer, comme à l’accoutumée, l’article 51 de la Constitution qui lui permet de rejeter un amendement dès lors qu’il affecte les ressources du Trésor. «Nous n’avons cessé de dire au gouvernement qu’il était en train de commettre une erreur et il ne peut pas dire qu’il ne savait pas», déplore Mohamed Erraoui, directeur financier d’une grande société de financement de la place.
En acceptant de revenir à une TVA de 10% pour les anciens clients, le gouvernement reconnaà®trait avoir commis une erreur
Aujourd’hui, le mal est fait et le ministère tente donc de trouver une issue au problème en appelant les professionnels à la rescousse, et en leur demandant de faire un effort, entre autres en rognant sur leurs marges.
Là encore, les professionnels ne partagent pas les arguments avancés par le ministère. «Nous sommes dans un Etat de droit et une économie libérale; à quel titre le gouvernement peut-il nous demander de baisser nos marges ?», s’étonne un professionnel. Le ministère des finances, tout en reconnaissant qu’il s’agit d’une simple requête, estime pourtant qu’avec «un taux de refinancement de 4,5% et un taux d’intérêt moyen appliqué de 13,5%, les sociétés peuvent faire un effort». Des chiffres que les professionnels rectifient. A l’APSF, il est expliqué que le taux de refinancement est de 4,5%, auquel il faut rajouter 3% pour les frais de gestion, puis 1,5% pour la prime de risque, soit en tout 9%, alors que le taux moyen appliqué aux clients est de 11,5 à 12%. Soit, au final, une marge de 3% tout au plus. «O๠sont les marges confortables dont parle l’Etat»?, s’interroge le patron d’une société de financement. C’est dire que les professionnels se voient mal «faire un effort sur des marges déjà laminées». Le ministère des finances pense avoir une solution à ce problème. Des patrons de grandes banques de la place, dont dépendent certaines sociétés, ont été contactés et invités, eux aussi, à voir dans quelle mesure ils peuvent faire un effort sur les taux auxquels se refinancent leurs sociétés. Mais ce n’est pas suffisant car les sociétés de financement illustrent le problème par un autre calcul très simple: à fin septembre, l’encours des sociétés de financement pour la LOA s’élevait, selon l’APSF, à près de 6 milliards de DH. Abandonner 10% de ce chiffre équivaut à une perte de 600 MDH. Or, fait-on remarquer à l’APSF, «les cinq sociétés qui font la LOA, toutes réunies, réalisent un bénéfice d’un peu plus de 500 MDH». Cela revient donc à leur demander de vendre à perte. «On peut accepter de prendre en charge 200 MDH mais pas 600!», conclut-on l’APSF.
A la fin de la rencontre du lundi 4 février, le ministère des finances a demandé aux membres de l’APSF de se réunir mardi 5 et mercredi 6 février pour arrêter une position commune et revenir le jeudi 7 février avec des pistes.
Que vont-ils proposer ? «Sur les 10% de plus occasionnés par la hausse de la TVA, nous pouvons tout au plus prendre en charge 3%, confie un membre de l’APSF, mais cela ne réglera en rien le problème». Pour les professionnels, la seule solution possible est que le ministère des finances introduise rapidement un amendement à la Loi de finances stipulant le maintien du taux de 10% pour les anciens clients et l’application du nouveau taux aux nouveaux contrats conclus à partir de début janvier 2008. Reste à savoir si le gouvernement acceptera, sachant qu’en le faisant, il reconnaà®tra implicitement qu’il a bien commis une erreur. Toute la question est là ! A l’heure o๠nous mettions sous presse, mercredi 6 février, les professionnels étaient toujours en réunion pour définir une ligne de conduite commune. Dossier à suivre !
