Affaires
Souss : les pluies n’ont pas apaisé les craintes des agriculteurs
Au 4 janvier, la région a enregistré un cumul de 257 mm et les barrages sont remplis à 100%.
Les dernières précipitations ont fait des dégà¢ts : serres endommagées, fruits arrachés avant terme et apparition de maladies fongiques.
Les agriculteurs constamment à la recherche de solutions pour économiser l’eau : cultures moins consommatrices, goutte-à -goutte, fertigation…

La région aux 365 jours de soleil a connu des jours de grisaille ponctués par des pluies diluviennes très bien accueillies par les populations, en dépit des dégâts qu’elles ont provoqués. Au 4 janvier, le cumul des précipitations était de 257 mm contre 142 en 2009 et 117 en 2008, soit des excédents respectifs de 81 et 119,6% par rapport à ces deux années. Abdelkader Benomar, directeur du bassin hydrologique du Souss-Massa-Draâ, explique que les régions ont été inégalement touchées mais les apports en eaux sont considérables. La plupart des barrages sont remplis à 100% et l’on a dû procéder à des déversements et lâchers inhabituels, notamment sur Mokhtar Soussi, Moulay Abdallah, Aoulouz et Imi El Kheng. Même le barrage Abdelmoumen rarement à plus de 16% de sa capacité, depuis des années, enregistre un taux de remplissage de plus de 63,5% au 4 janvier. Ce niveau devait être dépassé dans les jours qui ont suivi, d’autant qu’il continuait à pleuvoir. Au total, avec plus de 1,2 milliard de m3, les barrages du Souss-Massa-Drâa enregistrent un taux de remplissage moyen avoisinant 78%, à la même date.
Une petite sortie dans quelques localités permet de s’apercevoir que la région, qui souffre dans certaines de ses parties d’un manque d’eau chronique, est bien arrosée et la végétation revient un peu partout.
Sur le plan des différentes cultures, Abderrahman Hilali, directeur de l’Office régionale de mise en valeur agricole (ORMVA) du Souss-Massa, apporte des éclaircissements précieux sur la situation. «Il est indéniable que les pluies actuelles constituent une aubaine pour toute la région, mais elles sont assez tardives et ce ne sont que 26% des superficies de céréaliculture qui ont été emblavées. Bien entendu, beaucoup de cultivateurs vont se ressaisir et se rattraper», commente-t-il. Une légère accalmie permettra en effet d’accélérer les travaux champêtres comme dans les autres régions du pays.
Une centaine d’hectares de serres endommagée
Pour ce qui est du maraîchage, M. Hilali relève une légère progression des superficies exploitées à près de
14 000 ha, et souligne que les exportations sont en recul de 17% par rapport à la précédente campagne, à 163 000 tonnes.
Un agriculteur pointe du doigt le fait que la pratique du butage, qui consiste en de légères surélévations dans les plans de cultures pour permettre l’écoulement des eaux pluviales collectées sur de courtes périodes, a été abandonnée par la quasi-totalité des exploitants de la culture sous serres. C’est ce qui explique les dommages subis cette année.
Dans l’agrumiculture, la vague de chaleur de juillet dernier a affecté les jeunes pousses et détérioré le calibrage. Corrélativement, elle a provoqué la chute de 5% des fruits, explique-t-on à l’ORMVA du Souss-Massa. La réduction de l’offre n’a cependant pas profité aux producteurs sur le plan des prix. «Actuellement, les marchés demandeurs sont inondés, alors que les pluies ont poussé les agrumiculteurs à cueillir rapidement les fruits. Et comme notre capacité de stockage est limitée, il nous faut trouver des débouchés. C’est une vraie course contre la montre et nous sommes en ce moment même en train de négocier avec les clients russes pour qu’ils prennent une partie de la production, quitte à renégocier les prix à la baisse», explique Abderrazzak Mouisset, président d’Agri-Souss.
Si tout le monde est content de la pluie, il faut aussi compter avec les effets perturbateurs qu’elle occasionne. Mohamed Ajana, agriculteur dans le Souss, est aussi ingénieur agronome et membre actif de l’Association des producteurs et exportateurs de fruits et légumes (APEFEL). Sur les 30 ha de tomates sous serres qu’il exploite, il ne remarque pas d’effets négatifs majeurs. Mais il explique que les dangers qui pourraient guetter la tomate, notamment, à laquelle il s’est converti depuis 1992, après un bref moment de culture de la banane, sont d’abord la tuta absoluta, un insecte arrivé au Maroc début 2008 via l’Espagne et qui ravage les cultures. «Nous sommes en train d’apprendre à le connaître pour mieux le combattre. Mais les pluies peuvent renforcer la sédentarisation dans la région. En un cycle de 20 jours, elle pond entre 250 et 260 œufs. A côté de cela, il y a aussi la mouche blanche», fait remarquer Mohamed Ajana.
La réflexion pour le dessalement de l’eau de mer est très avancée
Ses craintes sont confirmées par d’autres agriculteurs rencontrés dans la région. Ils sont unanimes à dire que la pluie est un vecteur de développement des maladies fongiques. Un autre confrère annonce que les vents ont certainement endommagé les serres. Selon le directeur de l’APEFEL, Mohamed Laraïss, qui confirme ce constat, il y aurait plus d’une centaine d’hectares qui pourraient avoir été endommagés sur les 4 000 dédiés à la tomate sous serres.
Le président de l’APEFEL estime que les pertes pourraient avoisiner les 30% dans l’agrumiculture. Mais il tempère son propos par cette réflexion : «Il serait malvenu de se plaindre des effets secondaires des chutes de pluie. Sans l’eau que pourrait-on bien cultiver?». Et puis, ajoute un agriculteur, «il ne faut pas oublier que par ailleurs la nappe phréatique a gagné certainement plus de 4 mètres en quelques jours de forte pluviométrie». Il raconte que quand il a commencé à travailler la terre en 1982, il trouvait de l’eau à moins de 50 mètres alors qu’aujourd’hui si on peut pomper un petit débit d’eau à 140 mètres, il faut s’estimer heureux car souvent on trouve à ce niveau des fonds argileux et salés.
Cela amène une autre question sur le tapis : la pluie est l’élément clé de l’agriculture, mais comme on ne peut ni la prévoir et encore moins la provoquer, ne faut-il pas envisager une alternative, de manière à réduire les effets des sécheresses de plus en plus fréquentes en ces temps de réchauffement climatique ?
Selon Mohamed Ajana, dont les propos sont confirmés au niveau de l’APEFEL, la réflexion sur le dessalement de l’eau de mer est très avancée. Une étude de préfaisabilité lancée et financée par le ministère de tutelle sera même livrée dès cette fin janvier 2010.
Mais la région du Souss reste sans conteste la région la plus avancée en matière d’équipements et de méthodes modernes de production tout comme pour ce qui est du travail coopératif ou encore de la question de l’économie de l’eau. En effet, à titre d’illustration, remarque Mohamed Ajana, dans le Souss, depuis la fin des années 90, on est passé de 10 000 m3 d’eau pour un ha de tomate à moins de 6 000 m3 aujourd’hui. L’autre piste est le choix de cultures non consommatrices d’eau et pouvant permettre des percées sur des marchés sûrs et constants. A titre d’exemple, remarque un agronome de la région, un kilogramme de tomates consomme entre 35 à 45 litres alors que le kilo de bananes «avale», lui, entre 200 et 300 litres d’eau.
Cependant, explique Abderrazak Mouisset, il ne faut pas penser que le goutte-à-goutte est une fin en soi. Si le procédé est presque généralisé en matière de cultures sous serres, seule la moitié des exploitations dispose d’équipements automatisés permettant la fertigation (processus consistant à apporter les éléments minéraux nécessaires au développement de la plante, dont les fertilisants, à travers l’eau d’irrigation) et le traitement des cultures. Or, avec des équipements avancés, on peut gagner près de 50% d’économie supplémentaire sur le goutte-à-goutte classique. Un grand chantier est donc ouvert et toutes les parties prenantes, pouvoirs publics et producteurs, sont conscientes qu’il faut faire vite pour éviter le pire.
