Santé : la loi 86-12 bride-t-elle le développement du financement ?

La dépense nationale totale de la santé atteint 60 milliards de dirhams en 2019. La loi 86-12 relative aux contrats de partenariat public-privé a institué des procédures très lourdes. La fiscalité peut contribuer au développement du financement de la santé en attendant que la loi 86-12 soit amendée.

Cette année, la dépense nationale totale de la santé a atteint 60 milliards de dirhams. Ce chiffre, qui met à jour la dernière statistique fournie par le rapport des comptes nationaux de la santé 2015 (voir encadré), est la preuve évidente que la santé est bel et bien un secteur économique. En quête de fonds bien évidemment. Or, un des obstacles majeurs pour développer le financement dans le secteur de la santé reste la lourdeur du cadre légal actuel, représenté par la loi 86-12 relative aux contrats de partenariat public-privé. Le PPP étant une des plus grandes solutions envisageables pour développer ce secteur en manque de fonds, notamment privés. Cette loi, adoptée en 2015, n’a pas pu encadrer l’évolution des PPP et les résultats escomptés derrière sa promulgation n’ont pas été atteints. Selon un expert ayant requis l’anonymat, «les procédures mises en place par cette loi sont très lourdes. D’ailleurs, elle est en cours d’être amendée, depuis l’approbation, mai dernier, par le conseil de gouvernement dudit amendement», souligne notre source. Cela dit, il faudra encore attendre que cet amendement soit approuvé et publié au Bulletin officiel. «En gros, le processus pour conclure un PPP prend environ deux ans. Ce qui est très lent. Une fois la loi amendée et des procédures plus souples adoptées, cela permettra d’attirer automatiquement des investissements vers le secteur de la santé, évidemment via les PPP», poursuit notre source.

La fiscalité peut aussi développer le financement

La deuxième solution envisageable est le développement d’une fiscalité orientée vers la santé, qui ne représente actuellement que 25% de la dépense totale. En effet, la création des taxes sur les produits nuisibles à la santé, au profit du financement de ce secteur, est une alternative sérieuse. Déjà, la taxe sur les cigarettes a été instituée en faveur du fonds d’appui à la cohésion sociale, finançant à la fois les secteurs de l’éducation et la santé. Selon notre interlocuteur, «cette option pourrait être développée davantage au profit du secteur. Il y a également la part restituée par les industries utilisant le sucre dans la production de boissons. C’est un exemple», poursuit-il. Pas plus tard que les deux dernières années, les Lois de finances 2019 et 2020 ont institué des taxes au profit du Budget général de l’Etat. «Ces taxes pourraient très bien être dirigées vers la santé. Comme cela est de mise dans plusieurs pays», déclare notre source.
Des recommandations trop ambitieuses ?

Les différentes problématiques liées au financement de la santé ont déjà été traitées lors d’une conférence nationale sur le financement de la santé, tenue en juin 2019. A la suite de cet événement, des recommandations ont été émises. Elles visent à développer le secteur de la santé globalement, de manière à intégrer toutes les catégories sociales, les régions et même les acteurs associatifs. Une recommandation propose aussi la mise en place d’un système d’information national intégré. Vu l’ampleur du changement qu’elles suggèrent, ces recommandations ne semblent-elles pas, au moins à première vue, trop ambitieuses, voire irréalistes? Exemple : une des recommandations propose «d’augmenter la part du budget du ministère de la santé dans le budget de l’Etat afin de se rapprocher des standards internationaux en la matière».

Une autre recommandation propose la refonte actuelle de la loi relative aux contrats de partenariats publics-privés, une recommandation propose d’exploiter le PPP, y compris «le financement par les organismes de placement en capital immobilier en tant que nouveau mode de financement du secteur de la santé, en particulier pour les structures hospitalières publiques, à l’instar du secteur des infrastructures». Selon notre source, ces recommandations sont loin d’être irréalistes, étant le fruit d’un travail collégial ayant rassemblé plusieurs experts. «Les incitations recommandées pour développer le financement de la santé seront, par exemple, à l’image de ce qui se fait dans le secteur de l’automobile et l’aéronautique. Ce n’est pas du tout irréaliste», répond notre source.

Les comptes nationaux de la santé 2015 présentent l’architecture de financement de la santé, basée sur les données de 2013. La dépense totale de santé (DTS) a atteint 52 milliards de dirhams, soit 1578 DH par habitant, l’équivalent de 188 dollars au taux de change courant en 2013. Elle représente 5,8% du PIB contre 6,2% en 2010. La part des dépenses allouées à la consommation médicale représente 88% de la DTS, soit l’équivalent de 1394 DH par habitant. En revanche, la dépense totale de santé a enregistré une augmentation annuelle moyenne de 2,9% entre 2010 et 2013 contre 11,8% entre 2006 et 2010. Le rapport nous apprend que, depuis 1998, la structure du financement n’a connu qu’un léger changement, malgré les efforts entrepris pour améliorer le financement de la santé au Maroc. La dépense totale de santé en 2013 demeure donc financée par le paiement direct des ménages (50,7%), les ressources fiscales (24,4%) et la couverture médicale (22,4%). Les employeurs, eux, n’y contribuent qu’à hauteur de 1,2%.