Affaires
Salaheddine Mezouar : il n’y aura pas de plan global de soutien à l’économie
Les mesures seront décidées au moment opportun, secteur par secteur.
Un fonds de garantie pour le financement du fonds de roulement des PME en voie d’être créé.
Un taux de croissance de 5,8% pour est une prévision réaliste.
Des institutionnels étrangers dans le capital de la Bourse… Pourquoi pas ?

De nombreux chefs d’entreprises tablaient sur le fait que vous veniez du monde des affaires pour espérer faire passer un taux d’IS spécifique à la PME. Ils ont été déçus…
C’est parce que, justement, je connais bien la PME que j’ai jugé qu’une réduction du taux de l’IS ne lui rendrait pas service. Les PME marocaines ont profité d’une bonne dynamique économique ces dernières années. Le tissu des PME reste néanmoins fragile parce qu’elles sont sous-capitalisées. A mon avis, une baisse de l’IS n’aurait eu aucun effet car la PME doit d’abord réaliser des profits. La PME doit d’abord se recapitaliser et nous devons l’y inciter. C’est pour cela que nous avons opté pour l’exonération en cas d’augmentation de capital. Recapitaliser son entreprise, de surcroît dans un contexte de crise, est un message positif adressé aux partenaires, notamment les banques. D’un autre côté, si l’on veut vraiment aider la PME, il faut plutôt agir sur la structure de ses coûts, notamment les intrants et les matières premières. Et c’est pour cela que nous avons réduit les droits de douane sur l’importation d’un certain nombre de produits utilisés par les PME. Enfin, les PME qui exportent ont besoin de défendre leurs parts de marché et de développer de nouveaux débouchés. Connaissant leurs moyens, souvent limités, nous avons pour cela mis à leur disposition un fonds de 500 MDH et nous sommes prêts à y mettre davantage si nécessaire.
Tout cela est bien beau, mais le quotidien des chefs d’entreprises est fait de problèmes autres. Une trésorerie serrée et des banques qui rechignent à leur accorder des facilités de caisse.
C’est vrai, et c’est pour cela que le gouvernement prépare un dispositif qui devrait solutionner ce problème. Il s’agit d’un fonds de garantie pour donner plus de sécurité aux banques et les inciter à financer les besoins en fonds de roulement des PME.
Quand ce fonds sera-t-il opérationnel ?
Nous sommes en train de finaliser le dispositif. Nous l’annoncerons avant la fin du mois.
A quelle hauteur la garantie de l’Etat va-t-elle jouer ?
Nous n’avons pas encore arrêté ce chiffre de manière définitive. Les dernières simulations sont en cours. Mais l’essentiel est d’éviter que les banques ne ferment les robinets et que les PME se retrouvent sans ressources, surtout en période de crise.
Concernant la crise, justement, les opérateurs ont l’impression que le gouvernement ignore les risques qui pèsent sur l’économie. Pas de plan d’urgence, pas de mesures spécifiques…
Les effets d’annonce ne servent strictement à rien. La meilleure manière d’aider le secteur privé est d’identifier clairement, avec les opérateurs, les points sur lesquels il faut agir de manière ciblée, pragmatique et concrète. Nous avons choisi de mettre en place un dispositif d’accompagnement en fonction de l’évolution de la situation.
Malgré tout, les patrons seraient plus rassurés si le gouvernement annonçait qu’il allait les aider, comme cela s’est fait ailleurs…
Ce sont les actions concrètes qui rassurent et non les annonces. De plus, nous estimons qu’en l’état actuel des choses, les mesures qui ont été annoncées dans la Loi de finances ou en dehors sont largement suffisantes, pour l’instant, bien entendu. Cela dit, un comité de veille sera mis en place dans les jours qui viennent, au sein duquel siégeront les ministères concernés et le secteur privé. Ce comité suivra en permanence l’évolution des indicateurs et nous prendrons, quand cela sera nécessaire, les mesures qu’il faudra en fonction de la situation. Ce seront des mesures ciblées et appropriées.
Déjà, certains secteurs et entreprises sont sérieusement en difficulté. Que compte faire pour eux le gouvernement ?
Il ne faut pas inverser les rôles. Chacun doit jouer le sien et assumer sa part de responsabilité. L’Etat apporte sa contribution, son assistance et tout ce qu’il faut pour aider et rassurer les chefs d’entreprises. Mais ce sont ces derniers qui gèrent leurs entreprises et non l’Etat. Dans le cadre de la préparation de lamise en place du comité de veille dont je vous parlais à l’instant, nous avons procédé à des analyses très poussées, secteur par secteur, et nous avons identifié les répercussions possibles de la crise et donc les mesures à prendre éventuellement. Mais nous ne sommes pas tenus de procéder comme d’autres pays l’ont fait car la situation, chez nous, est différente : l’origine des problèmes ne se situe pas chez nous mais à l’étranger.
Les secteurs liés à la demande étrangère connaissent déjà des problèmes…
Oui. L’économie marocaine, comme celle des autres pays à travers le monde, connaîtra des difficultés. Et ce sont, comme vous le dites, les secteurs exportateurs qui sont les plus exposés. C’est pour cela que nous avons choisi de procéder de manière ciblée, secteur par secteur. Il ne faut pas généraliser car chaque secteur a ses propres difficultés. Annoncer des mesures d’ordre général et transversales ne réglera pas les problèmes.Annoncer juste pour rassurer ne rendra pas service. Je préfère agir.
Dans la Loi de finances 2009, vous tablez sur un taux de croissance de 5,8%. Au vu de la conjoncture, pensezvous que ce soit un objectif réaliste ?
C’est, à mon sens, un objectif réaliste et nous mettrons tout en oeuvre pour l’atteindre.
Comment pensez-vous y parvenir ?
Il y a l’investissement public, d’abord, qui est de 135 milliards de DH, et qui constitue une bouffée d’oxygène pour l’économie. Pour le secteur de l’immobilier et de l’habitat, nous annoncerons bientôt les conventions concernant la mobilisation de 3 700 hectares du foncier public, entre autres pour les projets de logements à 140 000 DH et pour ceux destinés à la classe moyenne. Il y a également, et surtout, une grande nouvelle pour les ménages de la classe moyenne : la création d’un fonds de garantie pour les crédits immobiliers, à l’instar de ce qui s’est fait pour le Fogarim . L’annonce en sera faite très prochainement. Tout cela va nous aider à maintenir la demande et la consommation interne.
D’un autre côté, nous espérons une bonne pluviométrie, bien répartie sur l’année, ce qui va augmenter le rendement agricole. Cela aura forcément un impact sur la croissance mais surtout des effets positifs sur le monde rural.
Finalement, notre économie parvient-elle à réduire sa dépendance à l’égard de l’agriculture ?
Je pense que nous avons déjà enclenché l’indépendance par rapport au climat. Je vous rappelle qu’en 2007, malgré une année agricole faible, nous avons réalisé une croissance de 2,7% grâce à la croissance des secteurs non agricoles. En revanche, comme 2009 sera une année difficile, une bonne performance agricole va compenser, je l’espère, la baisse d’activité éventuelle dans d’autres secteurs.Au final, je pense que nous pouvons réaliser les 5,8% de croissance, mais il nous faudra focaliser nos efforts sur les exportations pour essayer d’atténuer les effets de la baisse de la demande extérieure.
Mais encore ?
C’est avec les opérateurs que nous trouverons les solutions. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le gouvernement n’exclut aucune mesure qui pourrait avoir un effet immédiat et efficace pour l’entreprise exportatrice.
On pourrait envisager une prime à l’export comme ce qui se fait en Egypte…
A mon avis, la prime à l’export est une solution de facilité, sans véritable effet de stimulation.Au lieu de donner une telle prime aux entreprises, je préfère trouver avec elles des solutions aux problèmes structurels comme les coûts de production, la négociation des prix, la recherche de nouveaux marchés…
Il faut donc s’attendre à une année 2009 très difficile… Cela durera-t-il ?
Les six premiers mois, du moins, seront difficile.Nous pensons qu’il y aura un retournement de tendance au deuxième semestre.
Il y aura donc forcément des réductions d’effectifs dans l’industrie…
Il y aura de la sélection naturelle, c’est inévitable.Mais, actuellement, nous travaillons avec le ministère de l’emploi pour éviter qu’il y ait des licenciements.
Avez-vous une première estimation du nombre d’emplois qui pourraient être perdus à cause de la baisse d’activité ?
Non, pas encore, mais nous essaierons de faire en sorte qu’il y en ait le moins possible.
Vous avez lancé le plan Emergence quand vous étiez ministre de l’industrie. Depuis, il y a eu quelques retards dans la mise en oeuvre de certains volets, par exemple l’agroalimentaire ou le textile… Pour d’autres secteurs comme l’automobile, la conjoncture mondiale est inquiétante. Pensez vous qu’ Emergence tiendra la route ?
J’en suis convaincu. Le programme est en train de produire des effets concrets. L’automobile est en marche et nous aurons un grand constructeur automobile au Maroc. L’offshoring est bien lancé, l’aéronautique prend forme.Mais, le plus important, dans Emergence, c’est cette dynamique qu’il a enclenchée et qui se propage à d’autres secteurs. Je n’ai pas d’inquiétudes quant aux choix que nous avons faits et à la démarche suivie.
Dans la Loi de finances 2009, vous prévoyez une croissance de 3%des recettes fiscales seulement, alors qu’elles ont connu une croissance à deux chiffres ces dernières années. On risque donc de se retrouver avec un excédent budgétaire alors que nous avons besoin de doper la croissance !
Pour ce qui est de la croissance des recettes fiscales, nous avons préféré rester prudents étant donné le contexte actuel. En outre, je vous rappelle que nous avons opéré une grande réforme de l’impôt sur le revenu, qui coûtera 5 milliards de DH à l’Etat. Si l’on ne tenait pas compte des effets de cette réforme, nous aurions une croissance de 15% desdites recettes. Quant au solde budgétaire, nous tablons sur un déficit de 2,9% car nous ne prenons pas en considération les recettes exceptionnelles, toujours dans une optique de prudence.
Pourtant, l’état des finances publiques permet d’aller au-delà de 2,9% de déficit, un chiffre que l’on n’est même pas sûr d’atteindre…
Nous sommes dans un contexte particulier et un déficit plus important aurait un effet direct sur l’inflation.Or nous avons justement besoin que l’inflation se stabilise pour préserver la consommation intérieure. Dans un autre contexte, j’aurais utilisé le déficit pour booster l’investissement. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui car, déjà, l’investissement public est important.
Un des sujets phares de ces derniers mois est le débat sur la classe moyenne. Il y a une commission interministérielle qui travaille sur le sujet. Eston parvenu à une définition de la classe moyenne ?
Non. Le travail n’est pas encore achevé. Nous en sommes encore à la réflexion sur les critères sur lesquels on se basera pour dire si tel ménage fait partie ou non de la classe moyenne. Ce n’est qu’après avoir identifié cette population que nous pourrons étudier ses besoins, ses modes de vie, ses aspirations, et que nous pourrons mettre en place des mesures en faveur de cette catégorie.
A propos de pouvoir d’achat, il y a un débat en cours sur la baisse de l’IR. Pour les contrats où les salaires figurent en net, l’employeur pourra-t-il faire profiter l’entreprise et non le salarié de cette baisse ?
Dans l’esprit du gouvernement, la baisse de l’IR doit profiter uniquement aux salariés. C’est une mesure destinée à améliorer les revenus et à soutenir le pouvoir d’achat et la consommation. Cela dit, au niveau du secteur privé, il est évident que la réalité n’est pas toujours ainsi.Tout dépend des relations entre l’employeur et l’employé. Chaque entreprise va aborder la question à sa manière. Certaines ne vont pas accorder les augmentations annuelles qu’elles ont l’habitude de faire sous prétexte qu’il y a un gain pour le salarié au niveau de l’impôt. D’autres vont mixer les deux en accordant moins que d’habitude.Mais les entreprises seront obligées de traiter cette question.
Mais si l’entreprise ne répercute pas la baisse de l’IR ?
Les entreprises doivent, à mon sens, le faire, c’est le but de cette mesure. Malheureusement, il n’y a aucun moyen légal de les y contraindre. Cela dit, c’est une occasion pour les entreprises d’accorder une augmentation qui ne leur coûtera rien. Pour être plus clair, je dirais que pour les entreprises, c’est quasiment une obligation.
On ne retrouve pas la région dans votre Loi de finances. Pourtant, c’est l’une des grandes orientations des prochaines années ?
Certainement, mais le concept de région n’a pas encore suffisamment de substance pour pouvoir construire un budget autour. Pour cela, nous devons d’abord élaborer le concept et les définitions de la région, notamment sur le plan légal.
L’approche budgétaire basée sur la région est complètement différente de l’approche classique. Aujourd’hui, par exemple, nous n’avons pas encore les clés de répartition entre les régions pour partager les budgets de fonctionnement.
Les Marocains attendaient pour le 1er janvier une baisse des prix à la pompe. Il n’y a rien eu. Que s’est-il passé exactement ?
Ils sont allés un peu vite en besogne.Certes, il y a un travail qui a été fait sur la structure des prix et un autre est en cours sur l’organisation du marché.Le gouvernement annoncera les baisses de prix quand il le jugera opportun.
Pourtant, les prix du baril sont en baisse depuis plusieurs mois et le gouvernement a annoncé son intention de répercuter ladite baisse.
A ma connaissance, il n’y a eu à aucun moment une quelconque déclaration officielle du gouvernement annonçant que les prix allaient baisser le 1er janvier. Je pense que les gens ont fait un amalgame entre l’arrivée de nouveaux produits et le changement des prix.Tout ce que nous avons annoncé, c’est l’arrivée de nouveaux produits, notamment le gasoil 50 ppm, et la disparition des autres produits notamment…
En attendant, le 50 ppm est vendu au prix du 350 !
Oui et il en sera ainsi jusqu’à ce que le gouvernement décide d’un changement du prix à la pompe.
C’est- à-dire pour la deuxième quinzaine de janvier ?
Je ne peux pas m’engager sur une telle échéance. Les départements concernés y travaillent et ce sera annoncé quand ce sera prêt.
Finalement, le Conseil constitutionnel a rendu l’usage des radars illégal !
Absolument pas. L’usage de ces radars est légal. C’est lemode de recouvrement des amendes sur la base du flashage qui a été considéré par le Conseil constitutionnel comme n’étant pas encore légal et qui doit être précisé dans le cadre du nouveau code de la route. Je tiens à préciser que l’objectif de ces radars n’était pas de trouver des recettes pour l’Etat mais de lutter efficacement contre les accidents de circulation.
Les parlementaires se sont opposés à un dispositif censé protéger les citoyens…
Le débat sur les radars présentait deux facettes. L’une était d’ordre juridique et légal, et c’est ce qui a été jugé par le conseil. De l’autre côté, il y avait, je le reconnais, une forme de lobbying pour faire barrage. L’argument de ceux qui s’y opposent était de dire que le flashage en cas d’excès de vitesse allait inévitablement créer des problèmes car le véhicule n’est pas toujours conduit par le propriétaire, dont le nom figure sur la carte grise. C’est le cas des taxis, des voitures d’entreprises, des voitures de location, etc.Mais ces gens oublient que, en définitive, le propriétaire du véhicule en est le seul responsable, qu’il le prête ou qu’il le loue…
Finalement, les radars ne seront opérationnels qu’après le vote du projet de code de la route…
Techniquement, les radars sont déjà opérationnels et ont été testés. Je suis certain que le projet va être voté et que ces radars entreront en service.
