Quelle sortie de crise pour le textile ? Le patron de l’Amith en parle

2005 sera une année de turbulences, et pas seulement à cause de la Chine.
La régionalisation du Smig considérée comme une nécessité pour sauvegarder l’emploi.
Déblocage des fonds de restructuration, baisse du coût des facteurs de production… l’Amith souhaite une réaction rapide du gouvernement.
Ce n’est un secret pour personne que le textile vit une crise profonde. Il est vrai que la suppression des quotas intervenue le 1er janvier lui a causé beaucoup de torts, mais le problème est aussi d’ordre structurel. Karim Tazi, président de l’Amith (Association marocaine de l’industrie textile et de l’habillement), dresse l’état des lieux, esquisse quelques voies de sortie de crise et fait le point sur ce que le secteur attend de l’Etat.
La Vie éco : Quel état des lieux faites-vous du secteur textile aujourd’hui ?
Karim Tazi : Tout d’abord il faut rappeler que le secteur textile marocain comporte une branche habillement et une branche textile de maison. Il faut se réjouir que cette dernière, qui est intégrée et créative, va plutôt bien.
Pour ce qui est de la confection, il faut dire que la crise actuelle est aggravée par la conjonction de deux éléments : l’un structurel, à savoir la fin de l’accord multi-fibres et l’autre conjoncturel – donc réversible – qui est l’effondrement de la consommation des ménages européens. L’année 2005 sera donc une année d’extrême turbulence. Il faudra laisser au marché mondial le temps de s’adapter à la Chine, ensuite des ajustements quasi mécaniques se feront. Beaucoup de productions qui étaient jusque-là restées en Espagne, au Portugal et en Italie seront délocalisées au Sud de la Méditerranée et viendront remplacer totalement ou partiellement celles qui nous ont quittés pour l’Asie.
Le Maroc est condamné à abandonner la façon…
La façon pure cédera progressivement la place à la co-traitance, forme de travail à façon mais dans lequel le fournisseur débarrasse son client des soucis logistiques d’approvisionnement et surtout du financement du stock de matières premières. D’o๠la problématique du renforcement des fonds propres des entreprises susceptibles de passer à cette forme de travail. Pour exprimer les choses plus simplement, on peut dire que les «purs» distributeurs (La Redoute, Tesco, Carrefour) demanderont du produit fini, alors que les marques demanderont de la co-traitance.
Il y a un cas qui mérite d’être signalé : c’est celui de Décathlon. Non seulement il ne quitte pas le Maroc, mais il compte renforcer sa présence et faire travailler encore plus de façonniers qu’il ne le fait aujourd’hui.
Tout le monde parle de la Chine, mais ce n’est certainement pas le seul pays qui gêne le Maroc !
Sur le segment naturel du Maroc, à savoir celui de la réactivité, les vrais concurrents sont la Tunisie, la Roumanie, la Bulgarie, et bien sûr la Turquie. D’o๠l’importance du benchmarking effectué par l’Amith et qui montre clairement combien – Turquie mise à part – les coûts des facteurs qui sont bien moins élevés dans ces pays posent un défi macroéconomique au gouvernement marocain.
Vous souhaitez une dévaluation du dirham au détriment des secteurs importateurs !
On dit souvent que les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Je voudrais rappeler que mes propres entreprises, qui exportent moins de 5 % de leur chiffre d’affaires et importent annuellement plus de 200 MDH de matières premières, seraient les premières à être pénalisées en cas de dévaluation. Si malgré cela je soulève cette question, c’est que je constate que le déficit de notre balance commerciale ne cesse de s’aggraver et que cette dégradation mérite un débat national. Le Maroc vit-il au-dessus de ses moyens ou, plutôt, vit-il aux crochets de ses immigrés ? Combien de temps peut-il continuer à acheter plus qu’il ne vend ? Evidemment, l’idéal serait de remettre en marche la machine exportatrice marocaine et c’est pour cela que j’approuve les recommandations de l’étude Mc Kinsey. En attendant, la dévaluation dont je reconnais tous les effets pervers a le mérite de freiner la consommation de produits importés et de rétablir partiellement la compétitivité des entreprises marocaines tant à l’export que sur le marché local.
Vous parlez également d’un Smig rural mais, en même temps, vous semblez dire que face à la concurrence, la notion même de Smig n’est pas aussi pertinente que celle de la sauvegarde des entreprises et des emplois ? Plus clairement, prônez-vous l’abandon du Smig ?
Le débat sur le Smig est totalement faussé par la démagogie et les approches réductrices. Dans une économie mondialisée, ce n’est pas le patron qui détermine les salaires, c’est le marché. Or ce que le marché nous dit aujourd’hui, c’est que pour un travail faiblement qualifié, nous sommes trop chers. Bien sûr, nous sommes heureux de voir que le succès des call centers prouve la compétitivité du Maroc sur ce créneau, mais qu’allons-nous faire des dizaines de milliers d’ouvriers et d’ouvrières peu qualifiés qui risquent de se retrouver au chômage ? Je l’ai dit et je le répète, je préfère qu’une entreprise délocalise à Guercif, o๠le coût de la vie est moins élevé et o๠le chômage fait rage, plutôt qu’elle n’aille en Asie.
En résumé, les deux véritables menaces qui pèsent sur le Smig sont la mondialisation et le basculement dans l’informel. En tolérant la progression du secteur informel, les pouvoirs publics portent au Smig un coup bien plus dur que ceux qui comme moi ne demandent que sa régionalisation.
Cela à supposer que tous les patrons respectent ce Smig…
Dans certaines régions, selon la CNSS, les patrons jouent sur le nombre d’heures déclarées. Ce qui fait qu’en fin de compte, elles redéfinissent leur Smig. On peut même dire qu’en dehors des grandes villes, l’informel est très important.
Concrètement, qu’attendez-vous du gouvernement ?
Au niveau transversal, nous souhaitons que le gouvernement tire les conclusions qui s’imposent du benchmarking international que nous lui avons présenté. Sur le plan sectoriel, nous attendons que les fonds alloués à la restructuration financière et à la mise à niveau soient enfin débloqués, que les moyens consacrés à la promotion du secteur soient à la hauteur du poids économique de ce secteur, que la notion de plate-forme exportatrice soit redéfinie, que les dizaines de millions de dirhams dus aux entreprises sous forme de crédit de TVA soient remboursés, que l’accès aux matières premières soit facilité par une réforme tarifaire et enfin que l’accord Amith/Douane, visant à améliorer le fonctionnement des régimes économiques, soit mis en application.
Karim Tazi Président de l’Amith
Sur le segment naturel du Maroc, à savoir celui de la réactivité, les vrais concurrents sont la Tunisie, la Roumanie, la Bulgarie, et bien sûr la Turquie.