L’ultime tentative de sauvetage du logement social

Le ministère de l’habitat et les promoteurs ont tenté une dernière fois de convaincre le ministère des finances de la nécessité d’un nouveau plan de relance.
Valeur du logement revue à
la hausse et aide frontale aux ménages, abaissement du seuil minimal à produire et foncier
à bas prix en constituent les bases.
Tout se jouera au cours de l’examen du projet de Loi de finances par la deuxième Chambre.
Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? Après plusieurs mois d’intense lobbying en faveur du secteur, les promoteurs immobiliers autant que le ministre de tutelle qui s’était finalement rangé à leurs arguments, ont tiré, samedi 21 novembre, leurs dernières cartouches pour convaincre du bien-fondé de leurs démarches en vue de sauver le secteur du logement social et passer des amendements dans le projet de Loi de finances 2010 qui a, rappelons-le, déjà franchi l’étape de la première Chambre. Or, il y a urgence : la disparition, depuis janvier 2008, des avantages fiscaux afférents aux programmes de logements sociaux a, en effet, induit un véritable recul de production dans ce segment, aucune convention n’ayant été signée entre les promoteurs et l’Etat depuis 20 mois. Fin 2009, le Maroc aura lancé la construction de 35 000 logements de type «social», reliquats de conventions signées jusqu’en 2007, et en 2010, il n’y en aura peut-être pas ou prou, alors que la demande reste très forte pour ce type de produit.
Une ristourne sur les 60 000 DH de TVA
C’était donc une réunion de la dernière chance qui s’est tenue ce samedi-là. Un rassemblement inédit également : d’un côté, le secteur représenté par Toufiq Hejira, son ministre de l’habitat, la Fédération nationale de la promotion immobilière (FNPI) et les représentants de plusieurs sociétés immobilières spécialisées dans le logement social ; de l’autre, le ministre des finances, Salaheddine Mezouar, le directeur des impôts, Noureddine Bensouda et le ministre de l’intérieur, Chakib Benmoussa. En tout, une quarantaine de personnes réunies pour échanger.
Avec quel résultat ? Joint au téléphone par La Vie éco, le ministre de l’habitat a refusé de commenter, affirmant qu’il s’agissait d’une «simple réunion de concertation» entre les parties concernées par le secteur. Un argument qui ne convainc point, tant par la nature hétéroclite des personnes réunies que par les points abordés. Selon des sources présentes à ladite réunion, un plan de relance du logement social a bel et bien été discuté.
En quoi consiste ce plan ? La proposition qui a constitué depuis plusieurs mois une revendication constante de la part de la profession est celle de porter la valeur immobilière totale (VIT) du logement social qui est actuellement fixé à 200 000 DH à 350 000 DH TTC. Mais «ce n’est pas le prix qui sera payé in fine par l’acquéreur puisqu’il y aura une ristourne sur le montant de la TVA d’environ 60 000 DH», explique-t-on auprès de la FNPI. En clair, le ministère de l’habitat et les promoteurs ont imaginé un système d’aide publique directe au profit des acquéreurs leur permettant de payer leur logement à quelque 290 000 DH hors TVA. L’augmentation de la VIT du logement social constitue en quelque sorte la principale pierre d’achoppement des propositions débattues au Parlement. Les défenseurs d’une augmentation de cette VIT (promoteurs notamment) invoquent le renchérissement des matériaux de construction et du foncier pour expliquer leurs propositions. «Le programme des logements sociaux a été lancé en 1999. Depuis cette date, les prix de tous les matériaux de construction ont augmenté», souligne un promoteur de Rabat. Pour illustrer ses propos, il assure que la construction d’un m2 d’un logement social coûtait hors foncier 1 200 DH en 1999 contre 1 900 DH actuellement. Ces explications avancées par le ministère de l’habitat et les promoteurs n’ont guère convaincu les élus de la première Chambre qui ont rejeté la proposition d’augmenter la VIT du logement social à 280 000 HT sous prétexte que cela représente une hausse de 50% sur le prix pratiqué aujourd’hui. «Nous comprenons que les parlementaires veuillent protéger l’acquéreur en maintenant les prix à 200 000 DH, mais il ne faut pas se voiler la face : rares sont les entreprises qui pratiquent encore ce prix car elles ne peuvent tout simplement pas rentrer dans leurs frais», s’insurge la même source. Il est vrai que sur le marché, les prix pratiqués tournent autour de
300 000 DH. La procédure et les garanties de l’octroi de cette aide publique ont également été repensées puisque le recours au notaire est prévu pour toute opération de vente d’un logement social. Ce recours constitue, selon les professionnels de l’immobilier, une immunisation de l’aide publique contre d’éventuels abus. Ainsi, le notaire sera appelé à inscrire, lors des transactions, une hypothèque au profit de l’Etat d’une durée de quatre ans correspondant à la durée minimale d’occupation du logement en question à titre d’habitation principale. «Cette mesure garantira, à coup sûr, le ciblage recherché puisque les acquéreurs qui bénéficieront de la ristourne de la TVA ne pourront pas vendre leur logement durant les quatre première années, sinon ils perdraient les 60 000 DH de la TVA. Ils auront ainsi à payer leur logement à 350 000 DH au lieu de
290 000» , explique-t-on auprès du même département. L’Habitat et la FNPI suggèrent aussi de porter la superficie du logement social entre 60 et 100 m2 contre 53 m2 en moyenne aujourd’hui.
Un seuil de 500 logements au lieu de 1 500
La deuxième proposition concerne, quant à elle, le nombre minimal d’unités à produire pour bénéficier du label logement social et signer en ce sens une convention avec l’Etat. Jusqu’à fin 2007, ce seuil était de 1 500 logements et aussi bien l’Habitat que les promoteurs voudraient le faire baisser à 500 seulement. «Il s’agit d’encourager la petite et moyenne promotion immobilière. De plus, cette mesure permet une meilleure répartition géographique de la production du logement social notamment dans les villes moyennes et les centres urbains», confie-t-on auprès de la FNPI.
Enfin, la troisième proposition concerne la mobilisation du foncier public et sa revente à bas prix aux promoteurs. Ces derniers basent leurs arguments pour cela sur le fait qu’un foncier déjà cher et, de plus rare, entraverait toute dynamique de reprise du logement social même à un prix de 300 000 DH HT. Ce que demandent en fait les promoteurs c’est de disposer de terrains viabilisés par l’Etat au prix coûtant ou même légèrement au-dessus en incluant une rémunération symbolique de l’aménageur.
Question : que gagnent les promoteurs immobiliers dans cette relance éventuelle, sachant qu’à compter de 2010, l’activité de production-vente de logements sociaux sera soumise à l’IS de plein droit à 30%, au lieu d’un impôt réduit de moitié, comme ce fut le cas depuis janvier 2008 ? Pour comprendre la motivation du secteur, il faut revenir à l’enjeu que représente la filière du logement social. En 2008, 128 000 logements sociaux avaient été produits. En comptant un prix de vente (hors noir) de 200 000 DH et une marge de 20%, ce sont 5 milliards de DH de bénéfices qui sont allés aux promoteurs aussi bien privés que publics (Al Omrane). Cette année elle ne dépassera pas les 35 000. Cela alors que la demande reste très soutenue, le pays continuant d’accuser un déficit en logements estimé à 900 000 unités. Ces arguments convaincront-ils ministre des finances, directeur des impôts et députés ? Les prochains jours seront décisifs pour la relance du secteur.