Les dessous de l’affaire qui a failli coûter à  Salaf 100 MDH

L’escroquerie a été montée par un multirécidiviste avec la complicité d’employés de Salaf.
Salaf a financé l’achat de 154 camions au profit de 20 sociétés fictives, les engins travaillaient dans des chantiers et l’escroc empochait l’argent.
Une plainte de deux jeunes chômeurs a permis de découvrir la supercherie.
Une provision de 18 MDH a été comptabilisée au titre de l’exercice 2009.

C’est une grosse affaire qui secoue le secteur du crédit à la consommation. L’une des entreprises du secteur, Salaf, filiale de Taslif, a été victime d’une escroquerie qui aurait pu coûter très cher si le pot aux roses n’avait été découvert. Pour parer à toute éventualité, une provision pour escroquerie d’un montant de 18 MDH a été inscrite au titre de l’exercice 2009, mais le moins que l’on puisse dire est que, pendant des mois, le système de vigilance a été affaibli par la mutation informatique.
Les sommes en jeu montrent que la supercherie a été minutieusement préparée et réalisée par un réseau composé d’une quinzaine de personnes, dont au moins cinq complices parmi le personnel de la société.
Tout a commencé en août 2009 lorsque la société a commencé à recevoir des demandes de crédit à la consommation pour le financement de camions. En l’espace de quelques semaines, 154 dossiers portant sur autant d’engins d’une valeur comprise entre 500 000 et 1 MDH ont été présentés par une vingtaine de sociétés. L’accord favorable a été donné et l’opération de crédit finalisée entre août et septembre. Plusieurs fournisseurs sollicités dans cette affaire ont livré les camions objet de crédit. Les engins ont ensuite rejoint les grands chantiers auxquels ils étaient destinés. Mais tous les camions acquis n’ont pas été livrés, en raison du délai d’attente courant dans le secteur des engins industriels.

Les crédits ont été contractés selon les conditions requises

Chaque dossier de crédit est bien ficelé. Il contient un compte bancaire, le registre de commerce, les signatures légalisées, le nom des gérants… Bref, tout a été minutieusement bien travaillé. La cheville ouvrière de cette opération est un homme d’affaires qui a des antécédents  en matière de chèques sans provision et de création de sociétés fantômes. Grâce à un réseau de complices, il a créé plusieurs sociétés au nom d’autres personnes. Et à l’aide de certains responsables de l’entreprise, il a monté l’opération avec une ingéniosité remarquable.
Les crédits ont été octroyés entre août et septembre au moment où l’entreprise a basculé vers un nouveau système informatique. Les complices au niveau interne tablaient sur cette mutation pour ne pas comptabiliser la totalité des crédits. Au début, donc, tout semblait bien marcher. D’autant que des traites étaient honorées. Mais la majorité des emprunteurs, comptant sur l’intervention de leurs complices en interne, ne s’acquittait pas de sa dette qui n’apparaissait pas sur le système ou encore demandait des reports d’échéance, sous prétexte que les engins n’avaient pas encore été livrés.

Tous les camions ont été récupérés

La supercherie n’a cependant pas duré. Des données curieuses ont commencé à être relevées en novembre lorsque le nouveau système a commencé à fonctionner normalement. A la clôture des comptes, la société s’est aperçue que les impayés commençaient à s’accumuler. C’est à partir de ce moment que les soupçons sont devenus sérieux. D’autant qu’un détail a mis la puce à l’oreille : tous les dossiers des sociétés concernées avaient la même agence bancaire.
En fait, c’est un événement imprévu qui va permettre de résoudre le mystère. En janvier dernier, deux jeunes chômeurs se sont présentés à la préfecture de police de Casablanca pour porter plainte contre  l’homme d’affaires en question. Ils l’accusaient d’avoir créé des sociétés en leur nom (avec leur carte d’identité nationale) sans explication sur la suite. Les premières investigations de la PJ ont relevé que ces sociétés avaient acquis des camions par le biais de crédits contractés auprès de Salaf. Approchés par la police dans le cadre de l’enquête, les dirigeants de la société de financement, qui avaient déjà des doutes, ont lancé alors un audit interne pour évaluer le degré du risque.
A l’issue de cette opération d’inspection qui s’est achevée en février, ils ont eu la certitude que leur société avait fait l’objet d’escroquerie. Ils ont tenu absolument, disent-ils, à garder la confidentialité de l’affaire depuis. «Si nous avions  divulgué l’information, tous les camions auraient peut-être disparu de la circulation; il fallait donc préserver la confidentialité pour pouvoir mettre la main sur cette bande à temps», indique Adil Benzakour, DG de Salaf. Une large investigation a été opérée sur le territoire national. Selon le DG de Salaf, les 154 camions ont été récupérés à l’aide d’huissiers de justice. Quant aux éléments de ce réseau, dont le cerveau et son épouse, ils sont en état d’arrestation en attendant l’issue de l’enquête judiciaire.
En s’appuyant sur la manière dont l’affaire s’est nouée, M. Benzakour soutient qu’il «n’y a pas eu de détournement». A l’en croire, il s’agit «d’escrocs honnêtes» , dans la mesure où ils ont fait ce montage dans l’optique non pas exclusivement d’escroquer mais de faire du business. Les crédits sont bel et bien adossés à des garanties sur les véhicules et les cartes grises barrées au nom de Salaf. De fait, il s’agissait de retarder les paiements au maximum, sachant que les camions travaillaient déjà sur les chantiers (dont Autoroutes du Maroc et OCP), manière de se faire le maximum d’argent avant -probablement- de disparaître dans la nature.