Le Maroc amorce-t-il sa sortie de crise ?

Les chiffres restent négatifs mais reviennent à des niveaux moins alarmistes que ceux enregistrés en début d’année.
L’activité est en baisse dans de nombreux secteurs, les capacités d’utilisation restent faibles : 67%.
Les crédits à l’économie maintiennent leur trend haussier.
Le Maroc amorce-t-il enfin sa sortie de crise ? Au cours des neuf premiers mois de l’année, les principaux indicateurs étaient certes en recul par rapport à ceux enregistrés à la même période de 2008, mais c’est plutôt dans le trend, de moins en moins baissier, que l’on aurait tendance à déceler l’amélioration. En d’autres termes, dans plusieurs secteurs les taux de variation négatifs à deux chiffres ont été ramenés à des proportions moins alarmantes. Et dans la mesure où l’économie marocaine subit les effets de la crise internationale, principalement par le canal des échanges extérieurs, il est intéressant, tout d’abord, de noter que l’année en cours devrait s’achever sur un repli de l’activité mondiale moins prononcé que prévu : -1,1% au lieu de -1,4%, selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international (FMI). Pour 2010, la croissance serait même au rendez-vous et plutôt forte que prévue : 3,1% au lieu de seulement 2,5%, toujours selon les chiffres du FMI révisés en octobre dernier.
Mais attention, ces moyennes cachent des différences importantes entre zones et entre pays. Ainsi, la zone euro terminerait l’exercice 2009 avec un repli de 4,2% contre seulement- 2,7% aux Etats-Unis et même une variation positive de 6,2% en Asie. En 2010, cette même Europe connaîtrait une amélioration de son PIB de 0,3% seulement contre 1,5% aux Etats-Unis. Et pour la France, principal partenaire du Maroc, la croissance en 2009 serait de -4%, et en 2010 le PIB progresserait de 0,9%.
Tout cela pour dire que si certains indicateurs de l’activité économique affichent des améliorations, c’est-à-dire des baisses de moins en moins importantes, les temps sont encore difficiles, ne serait-ce qu’en raison de l’arrimage de l’économie marocaine à l’Europe.
Les prévisions élaborées dans le cadre du projet de la Loi de finances 2010 portent d’ailleurs la marque de cette prudence : 3,5% de croissance, au lieu de 5,3% en 2009, dernière estimation retenue après la prévision de 5,8% établie dans la Loi de finances de 2009.
L’activité hors agriculture renoue avec la croissance
Qu’en est-il à deux mois de la clôture de l’exercice actuel ? Grâce à une campagne agricole exceptionnelle (102 millions de quintaux de céréales) et à une «résistance» des activités non agricoles, qui devraient croître de 2,7% à la fin de l’année, la croissance économique peut être considérée comme assez forte eu égard au contexte de crise dans lequel elle intervient. Après avoir frôlé la stagnation en se situant à 0,6% de croissance à l’issue du premier trimestre, l’activité hors agriculture s’est redressée au second trimestre, enregistrant une progression de 2%, contre 5% à la même période de 2008. Les comptes nationaux pour le troisième trimestre ne sont pas encore disponibles, mais rien n’indique une dégradation de l’activité, si l’on exclut de l’analyse la conjoncture particulière du mois de septembre. Le Haut commisariat au plan, dans sa dernière note de conjoncture, estime même que le PIB pour le troisième trimestre augmenterait de 3,1% pour les activités non agricoles. La légère reprise est surtout le fait des secteurs du BTP (+1%), de l’électricité (+2,7% à fin août) et des arrivées de touristes (+13% à fin septembre). Les activités minières (production de phosphate) et industrielles sont en revanche en baisse respectivement de 27,1% et 1,3%. Cette évolution du secteur manufacturier résulte notamment de la baisse de la production des industries textiles (3,1%), du raffinage de pétrole (18,3%), de l’industrie des machines et équipements (16,1%), de l’industrie du bois (12,5%), de l’industrie des matériels de transport (6,2%) et celle de l’automobile (4,9%). L’enquête de conjoncture de Bank Al Maghrib fait d’ailleurs état d’une baisse de 6 points du taux d’utilisation des capacités de production à fin août : 67% contre 73% un an auparavant.
Toutefois, selon l’enquête de conjoncture du Haut commissariat au plan (HCP), les chefs d’entreprises prévoient une amélioration de l’activité industrielle au troisième trimestre, notamment dans les industries alimentaires et de la chimie parachimie, activités qui se sont déjà relativement bien tenues au deuxième trimestre.
Ce repli de l’activité hors agriculture, certes de moins en moins aigu, se ressent à travers le financement de l’économie : celui-ci est évidemment en croissance, mais cette croissance n’est pas aussi forte qu’elle l’était précédemment. Ainsi, sur les neuf premiers mois de l’année, les crédits immobiliers ont enregistré un encours additionnel de 15,3 milliards de DH, un surplus en retrait par rapport aux 27 milliards de DH de hausse connus à l’issue des neuf premiers mois de 2008. L’encours des crédits à la consommation, lui, a progressé de 4,1 milliards de DH entre janvier et fin septembre 2009 contre 4,7 milliards de DH sur la même période de 2008. En revanche, les crédits à l’équipement, avec un encours additionnel de 19,5 milliards de DH, ont fait mieux que l’année dernière sur la même période (+10,6 milliards de DH).
Ces chiffres témoignent d’un dynamisme de la demande intérieure, notamment l’investissement. La consommation aussi a bénéficié de l’effet de la hausse des revenus agricoles, de la baisse de l’impôt sur le revenu intervenue le 1er janvier 2009 et de l’augmentation des salaires des fonctionnaires, le tout dans un contexte marqué par la modération de l’inflation : 1,5% entre janvier et septembre contre 3,9% un an auparavant.
A l’exception de la tomate fraîche et des chaussures, l’ensemble des exportations est en baisse
C’est sur le front des échanges extérieurs que les difficultés sont nombreuses et même structurelles s’agissant notamment de la balance commerciale. Avec la baisse de la demande étrangère, les exportations de biens sont en baisse de 34% à fin septembre : 83,6 milliards de DH contre 126,6 milliards de DH sur les neuf premiers mois de 2008, selon les statistiques de l’Office des changes. Les exportations de services ont également chuté de 9,8% en revenant de 80,6 milliards de DH à 72,7 milliards. Ensemble, les exportations de biens et services ont baissé de 24,6%. Le déficit, donc la dégradation du taux de couverture (70,5% au lieu de 75,3% en 2008, soit une baisse de 4,8 points), aurait été beaucoup plus important n’eût été le recul, en même temps, des importations, sous le double effet de la baisse des prix des matières premières et de la morosité de l’activité hors agriculture. En effet, les importations de biens ont chuté de 23,4%
(-59,2 milliards de DH) alors que celles des services ont légèrement augmenté (+6% ou +2,3 milliards de DH). Mais au total, les importations de biens et services ont baissé de 19,4% (-53,5 milliards de DH).
Quand on observe l’évolution des exportations de biens, produit par produit, on constate qu’à l’exception de la tomate fraîche (+19,7%) et des chaussures (+7%), tout le reste est en baisse ; et ce sont des baisses importantes qui atteignent 70% pour certains produits. Idem pour les importations, sauf pour l’énergie électrique (+29,5%), les médicaments (+18,8%), le sucre (+72,5%) et le matériel à broyer, à agglomérer (+14,4%).
Concernant les services, la balance est certes excédentaire de 32,7 milliards de DH, mais cet excédent est en baisse par rapport au niveau enregistré sur les neuf premiers mois de 2008 et qui était de 43 milliards DH ; ceci résultant, comme déjà indiqué, d’une baisse des recettes de 9,8% et de l’augmentation des dépenses de 6%. En cause, le repli des recettes touristiques de 8,8%, de celles du transport de 17,6%, alors que les services de communication ont généré une recette en légère hausse de 1,1% ou +40,1 MDH, bien moins que celle des centres d’appel qui a réalisé une progression de 11,1%.
Les recettes fiscales en baisse de 10%, mais le repli des dépenses ordinaires amortit le choc
Très logiquement, dans une conjoncture de crise, chacun compte ses sous : non seulement les entreprises qui restreignent leurs achats auprès du marché marocain coupent dans leurs dépenses de communication ou leurs investissements dans ce même marché, mais aussi les résidents marocains à l’étranger (MRE) qui limitent leurs envois, sans doute frappés pour une bonne partie d’entre eux par les effets de la crise. Ainsi, les recettes des MRE ont baissé, selon l’Office des changes, de 9,7% à fin septembre 2009, en revenant de 41,7 milliards de DH à 37,6 milliards de DH. Les investissements et prêts privés étrangers ont, eux, effectué un plongeon : – 36% à 17,4 milliards de DH contre 27,2 milliards de DH en septembre 2009.
En dépit de cette note négative, on retiendra surtout l’amélioration de certains indicateurs qui, d’un trimestre à l’autre, passent du «mauvais» au «moins mauvais». Ainsi des transferts MRE dont la baisse, après une phase descendante amorcée au troisième trimestre 2008
(- 5,5%) et atteignant le fond à la fin de la même année avec -16, 3%, est désormais moins accentuée : -14,6% au premier trimestre 2009,
-10,2% au deuxième trimestre et – 5,6% au troisième (soit – 9,7% pour les neuf premiers mois de l’année). Idem pour les recettes touristiques qui ne sont «plus» qu’à – 2,6% au troisième trimestre, après -6,1% au deuxième trimestre et
– 21,6% au premier trimestre (soit – 8,8% pour l’ensemble des trois trimestres). Ce qui fait dire au ministre du tourisme, Mohamed Boussaid, que sur l’ensemble de l’année 2009 la baisse des recettes touristiques devrait se situer entre 5 et 6%.
Cependant, quel que soit l’angle par lequel on choisit d’analyser ces indicateurs, on retombe sur une seule et même réalité : le déficit du compte courant de la balance des paiements ne cesse de se dégrader : -9,2 milliards de DH au premier trimestre, – 14,8 milliards de DH au deuxième trimestre, soit un déficit de 24 milliards au premier semestre de 2009. Par rapport au même semestre de 2008, la dégradation du déficit est de 60,3%. Avec l’amenuisement de l’excédent du compte de capital et d’opérations financières, la balance des paiements a enregistré au premier semestre de cette année un déficit de 11,7 milliards de DH, contre un excédent de 1,8 milliard en juin 2008.
La situation des finances publiques n’est guère meilleure. A fin septembre, les recettes ont baissé de 7,4% à 135,5 milliards de DH contre 146,3 milliards à la même période de 2008. Et cette baisse provient exclusivement du repli des recettes fiscales de 9,9% à 118,8 milliards de DH contre 131,9 milliards un an auparavant. En revanche, les recettes non fiscales ont, elles, augmenté de 18,5% à 14,8 milliards de DH contre 12,5 milliards en septembre 2008. Toutefois, malgré la hausse des investissements de 22,9% à 33,6 milliards DH, la baisse des dépenses ordinaires
(- 6,6% ou – 7,6 milliards de DH) en raison notamment d’économies réalisées au titre de la compensation, devrait concourir à limiter le déficit budgétaire. C’est ce que prévoit d’ailleurs le ministre des finances : – 2,7% au lieu de
-2,9% retenu précédemment.
On peut dire, au total, que si, au plan macroéconomique, les indicateurs, replacés dans un contexte de crise, sont assez corrects, en particulier le niveau de croissance, de l’inflation et même du déficit, la réalité est vécue autrement par les ou des opérateurs. Ils sont nombreux à voir leur chiffre d’affaires se réduire comme peau de chagrin, et cela, pour eux, aucun indicateur ne peut le démentir ou le nier… Alors sortie de crise proche ou pas ?