Affaires
Le détail du rapport d’enquête sur le dumping dans le secteur des huiles
Savola Morocco vendait le litre à un prix moyen de 7,34 DH alors que son prix de revient est de 9,06 DH, soit
une perte de 1,72 DH par litre.
Siof pratiquait elle aussi la vente à perte mais de manière épisodique
et plutôt pour se maintenir sur le marché.
Les industriels devront remettre leurs bilans tous les trimestres à l’Autorité de
la concurrence.

Le 26 décembre dernier, le ministre des affaires économiques et générales rendait sa décision dans l’affaire des huiles de table qui fera, assurément, jurisprudence en la matière. Dans le décret n° 2-15, en effet, le ministre enjoint à deux producteurs, en l’occurrence Savola Morocco et la Société industrielle et oléicole de Fès (Siof), «de cesser la pratique des prix abusivement bas, d’éviter son renouvellement sur le marché et de veiller au respect des règles et des principes de concurrence saine et loyale». Au lendemain de cette décision, les réactions de part et d’autre, spécialement dans les milieux industriels, ont été nombreuses. Les responsables de Savola Morocco, notamment, qui sont les premiers concernés, ont rejeté en bloc les accusations portées à leur encontre, notamment celle portant sur le dumping. Pourtant, le rapport d’enquête, qui s’étale sur une vingtaine de pages, et auquel La Vie éco a pu avoir accès, est catégorique : Savola Morocco et, dans une moindre mesure, Siof ont bel et bien usé de pratiques anticoncurrentielles au sens de l’article 7 de la loi 6-99 sur la liberté des prix et de la concurrence. Le rapport dévoile, en effet, des informations et analyses qui ne laissent planer aucun doute.
La plus pertinente d’entre elles est la comparaison entre les prix de vente pratiqués par chaque industriel et les prix
de revient (voire graphe). A ce niveau, déjà, les premières conclusions ont été sans appel: Savola Morocco pratiquait, en 2005, un prix de vente moyen (sortie usine) de 7,34 DH le litre alors que son prix de revient moyen, tel que calculé par les enquêteurs, était, lui, de 9,06 DH le litre, soit une perte de 1,72 DH pour chaque litre vendu. Idem pour Siof qui vendait en moyenne à 7,62 DH pour un prix de revient de 8,52 DH le litre. Et les enquêteurs de conclure que «si, dans une économie de marché, la vente d’un produit à bas prix, résultant de la mise en œuvre de progrès techniques ou de la rationalisation des procédés de gestion, apparaît conforme à la liberté d’entreprendre et au devoir de compétitivité, il en est autrement lorsqu’une entreprise propose ses produits à un prix ne couvrant qu’une partie de son coût de revient dans le seul but de s’assurer une position avantageuse par rapport à ses concurrents». C’est ce que l’article 7 de la loi 6-99 qualifie d’«exploitation d’une position dominante sur le marché intérieur».
Circonstances atténuantes pour Siof
Cela dit, si les deux entreprises, Savola et Siof, ont été prises en flagrant délit de vente à perte, les enquêteurs nuancent, dans leur analyse, la gravité respective de la pratique. Ainsi, dans le cas de Siof, le rapport arrive à la conclusion que «ladite société ne disposant pas de parts de marché importantes, ni de puissance économique, aurait été contrainte de vendre à perte pour se maintenir dans le secteur», et que, par conséquent, sa pratique ne relève pas de l’«abus de position dominante».
Des circonstances atténuantes qui, en revanche, ne sont pas accordées à Savola Morocco. Pour cette dernière, en effet, le rapport établit carrément le «comportement prédateur» de l’industriel. Ainsi, contrairement au cas de Siof, la vente à perte par Savola n’était pas circonscrite dans le temps mais pratiquée de manière continue depuis juillet 2004, c’est-à-dire depuis que l’entreprise s’est installée au Maroc. Elément que la direction de Savola Morocco rejette en expliquant que la vente à perte a commencé en novembre 2004. Les enquêteurs retiennent aussi que Savola aurait recherché, à travers cette pratique, à conquérir rapidement le marché et à prendre des parts conséquentes. Auprès de l’Autorité de la concurrence, il est expliqué que «la vente à perte n’est possible que dans certains cas précis, et avec l’accord de l’Autorité de la concurrence». Un argument qui vient en réponse à celui de Savola qui explique qu’à son arrivée elle n’a fait que s’aligner sur les prix du marché, que les concurrents avaient délibérément baissé pour lui barrer la route. Irrecevable, dit-on au ministère. «Si, en s’alignant sur ces prix, Savola devait se retrouver en situation de vente à perte, la société devait, avant de le faire, nous en tenir informés», continue ce haut responsable du ministère. La loi, c’est la loi! Pour les enquêteurs, «l’effet prédateur n’est pas à démontrer, il existe». Quant à ses effets sur le marché, le rapport parle d’abord de la restriction de la concurrence sur le marché dans la mesure où «les entreprises qui ne seront pas solides financièrement disparaîtront». C’est déjà le cas pour Huileries de Meknès, qui a suspendu ses activités depuis 2004, auquel s’ajoutera celui de Siof qui risque, elle aussi, de fermer boutique.
Que faire donc et comment faire pour s’assurer que les choses reviendront à la normale ? L’injonction du ministère parle de «cesser les pratiques». Mais, concrètement, comment s’assurera-t-on que les entreprises en question suivront les directives ? Un plan de suivi est déjà mis en œuvre. Les industriels devront ainsi remettre leurs bilans à l’Autorité de la concurrence chaque trimestre. D’un autre côté, les enquêteurs se réservent le droit de faire des visites surprises dans les entreprises. Un suivi rapproché qui durera le temps que les choses reviennent à la normale. Cela dit, le dossier des huiles n’est pas près d’être refermé. Car le ministère a lancé une autre enquête pour traquer les pratiques illégales au niveau cette fois-ci des circuits de distribution comme, par exemple, les ventes liées qui contraignent un commerçant à refuser de s’approvisionner chez le concurrent du fournisseur pour pouvoir être livré par ce dernier. Une enquête qui apportera certainement son lot de surprises. A suivre.
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Au lendemain de la décision du ministre des affaires économiques et générales, Rachid Talbi Alami, plusieurs opérateurs se sont posé la question de savoir si le Conseil de la concurrence étant inactif, le gouvernement avait le droit d’entamer une telle procédure. Pour bien comprendre, il faut faire la distinction entre le Conseil de la concurrence et l’Autorité de la concurrence qui, elle, et en vertu de la loi 6-99 sur la liberté des prix et de la concurrence, relève du Premier ministre. Ce dernier, en matière de pratiques anticoncurrentielles notamment, désigne les fonctionnaires spécialement habilités à procéder aux enquêtes sur la concurrence. De même qu’il peut entreprendre toute investigation et saisir le Conseil de la concurrence de tous faits pouvant constituer des pratiques anticoncurrentielles et procéder à toutes enquêtes qu’il juge utiles en matière de concurrence. Cela dit, la procédure veut également que le Conseil de la concurrence soit saisi par l’Autorité de la concurrence (Premier ministre ou l’autorité déléguée par lui-même) en cas d’injonction à l’égard d’un ou plusieurs opérateurs (article 24 de la loi 6-99). Or, comme chacun le sait, le Conseil de la concurrence n’est pas opérationnel. Alors y a-t-il vice de forme dans la décision du ministre Rachid Talbi Alami ? Apparemment non puisque ce dernier a, selon nos informations, saisi le Conseil de la concurrence en tant que tel avant de rendre sa décision publique. Mais comme le conseil n’a, de par la loi, qu’un avis consultatif, il s’agissait plus d’une formalité qu’autre chose. N’empêche que M. Talbi Alami a bien pris la peine de saisir officiellement le Conseil fantôme, en lui adressant une copie du rapport et une saisine par écrit faisant état de la décision envisagée. Aux dernières nouvelles, la réponse du Conseil de la concurrence se fait toujours attendre. |
