Internet, le Maroc à la croisée des chemins

Seulement 125 000 abonnés pour un potentiel de l’ordre de 500 000.
Pouvoir d’achat limité, absence de vision, faible taux d’équipement
en matériels informatiques sont parmi les causes du retard.
L’Agence nationale de régulation des télécommunications
organise des assises pour réfléchir sur les moyens d’élargir
la toile dans le pays.
Avoir le rush que connaissent les cybers, notamment durant ce mois de Ramadan où beaucoup d’habitués réservaient leur poste bien avant le f’tour, on a l’impression que les Marocains sont tous des accrocs de l’Internet. La réalité est tout autre. Les chiffres en témoignent : il n’y a guère plus de 125 000 abonnés (entreprises et particuliers) dans tout le pays, sur un potentiel de 500 000. Au total, on dénombre 600 000 utilisateurs indoor (dans les foyers) et 3,7 millions outdoor (à l’extérieur), essentiellement à travers les cybercafés. Ce dernier chiffre, qui représente 12 % de la population inclut, bien évidemment, comme l’indique l’étude commanditée par l’ANRT (Agence nationale de régulation des télécommunications), aussi bien les connexions à titre privé que celles effectuées à titre professionnel, dans les douze derniers mois.
On le voit bien, le Maroc reste en retard, avec un taux de pénétration de 0,183 pour 100 habitants. Alors qu’en Jordanie, ce ratio est de 1,17 et de plus de 4 à l’Ile Maurice, pour ne parler que de pays économiquement comparables. On est donc loin des 10 millions d’internautes que pronostiquait Nasser Haji, alors secrétaire d’Etat aux Télécommunications et aux nouvelles technologies.
90 % des ruraux de plus de 12 ans touchés par la fracture numérique
En fait, une telle défection s’explique, certes, par des raisons liées au pouvoir d’achat. En effet, qui dit internet dit aussi équipement des ménages en ordinateurs et en lignes de téléphonie fixes. Et là aussi, il faut parler chiffres: la téléphonie fixe ne touche que 17 % de la population, une pénétration d’à peine 4,5 %, encore que la population rurale, pour cause d’isolement et de retard notoire en matière de service universel, est largement défavorisée. Et curieusement, la téléphonie mobile, pour récente qu’elle est, touche aujourd’hui près de 42% des ménages, c’est-à-dire 2,3 millions de foyers ou au moins une personne qui déclare être en possession d’un terminal mobile, ce qui donne un taux de pénétration de plus de 33,5 %.
Côté équipement en ordinateurs, le taux de pénétration que confirme l’étude réalisée par l’ANRT est de l’ordre de 11 % dans les foyers.
Au total, le parc d’ordinateurs individuels est de quelque 620 000 unités dans un marché où il se vend 110 000 PC et 60 000 à 70 000 imprimantes par an, toutes clientèles confondues.
Le nombre de Marocains qui n’ont jamais eu accès à un ordinateur serait de l’ordre de 10 millions. Et, là aussi, selon l’Observatoire des technologies de l’information, nous ne sommes pas égaux puisque le taux de Marocains âgés de plus de 12 ans habitant en zone rurale électrifiée touchés par la fracture « informatique» atteint 90 %, quand, en zone urbaine, ce taux est de 56%. Et, paradoxalement, 75% des individus qui possèdent un ordinateur chez eux y ont accès en dehors de leur domicile.
L’ADSL donne un coup de fouet à l’activité Internet
Avant de scruter les raisons du retard de la pénétration d’internet, il serait intéressant de jeter un œil sur l’usage que font les Marocains de leur ordinateur personnel. A plus de 80 %, l’utilisation concerne les loisirs (photo etc.), plus de 66 % la bureautique, près de 64 % va aux jeux et près de 35 % au travail à domicile. Internet n’apparaît qu’en fin de liste et n’intervient que pour 23 % dans les utilisations de l’ordinateur. Cela paraît curieux mais, à la réflexion, pourquoi le mettre en doute dans la mesure où aucune administration marocaine n’a de site interactif en ligne. Et quant à demander ou obtenir un acte de naissance par internet, cela relève d’une gageure à laquelle personne ne semble prêt à s’engager. Même si, d’un autre côté, on parle à grand fracas du programme du e.gouvernement, qui serait en phase de finalisation, pour certaines administration du moins.
Et puis, il ne faut pas l’oublier, la qualité et la vélocité de la navigation n’a pas, non plus, encouragé le phénomène des abonnements. Le succès de l’ADSL montre combien la qualité peut booster les nouvelles technologies. A fin juin dernier, on dénombrait près de 170 000 abonnés, en accroissement de près de 49% entre décembre 2004 et juin 2005. Le succès du haut débit, bien sûr, ne concerne qu’une niche, mais on peut se demander s’il n’a pas été quelque peu découragé par les retards qu’a mis l’opérateur historique à répondre à une demande qui l’a quelque peu pris de court.
En outre, au-delà d’un pouvoir d’achat limité, c’est tout à la fois dans l’intérêt que peut représenter la toile au quotidien pour chacun, l’information sur cet enjeu, la démocratisation que le jeu de la concurrence aurait pu introduire dans les offres, la baisse des prix que le volume aurait pu induire, que l’on peut rechercher les causes du faible taux de pénétration d’internet.
C’est autour de ces éléments que la réflexion aurait dû être menée très tôt. A côté de cela, c’est dans une politique volontariste, comme cela s’est vérifié dans de nombreux pays comparables au Maroc, et comme le suggère l’ANRT dans ses recommandations, qu’il faut chercher les solutions à mettre en œuvre. On espère que les assises de l’internet, prévues le 8 novembre à Skhirat, permettront de sortir définitivement de la léthargie.
Les cybercafés pourraient être subventionnés par les collectivités pour devenir des outils de «démocratisation de l’Internet», une des propositions de l’ANRT.
Ce que cherchent les Marocains sur le Net
Les gérants de cyber sont unanimes : «tous les clients, à un moment ou un autre de leur connexion, utilisent la voix sur IP pour converser avec leurs proches, leurs amis». Certains n’hésitent pas à parler d’une deuxième jeunesse pour les cybercafés, grâce à la voix sur IP. Sur ce point, il est important de rappeler que la commercialisation de ce service et le transfert de trafic sont interdits par la loi.
D’ailleurs, une douzaine d’affaires sont devant les tribunaux.
Pour M.H., patron d’un cyber en centre-ville, la course au taux de remplissage en continu se résume en deux arguments de vente. Le premier étant l’équipement en caméra pour répondre à une demande de plus en plus importante. L’autre argument étant une offre de prix décroissants en fonction de paquets d’heures achetés et réglés à l’avance. Aujourd’hui, on vend encore des demi-heures de connexion à 7 ou 8 DH l’heure. Mais dans le même temps, on vend des paquets de 10 heures à consommer et payés à l’avance ou une heure d’internet est facturée à hauteur de 4 DH, selon cette formule.
Mais pour en revenir à ce que recherchent les Marocains sur internet, il faut noter qu’en l’absence de toute étude, on ne peut se fier qu’aux impressions des gérants de sites, des impressions qui ne sont pas loin de la réalité, dans la mesure où ces derniers sont sollicités par les internautes à longueur de journée pour réglages et conseils d’utilisation.
Parmi les sites les plus visités, ceux où figurent les petites annonces où les sous-rubriques «rencontres» et «mariages». D’ailleurs, certains portails, dont Yahoo n’est pas le moindre, ont dû externaliser cette rubrique chez Meetic.rencontre et d’autres encore chez Match.com…. Du reste, non seulement ces espaces intéressent les annonceurs, par la nature même de la clientèle qui les fréquentent assidûment, mais ils sont devenus, le plus souvent, payants. C’est pour cela que les internautes se rabattent sur les sites où la gratuité est encore de mise
M.C.