Il y a quarante-huit ans naissait la RAM

En 1957, la flotte ne comprenait que trois DC3, quatre DC4 et un Constellation.
En 1964, la compagnie comptait un seul cadre et un seul pilote marocains.
Grand événement en 1978, le Maroc achète son premier Boeing 747 pour 46 millions de dollars.

L’histoire des entreprises est toujours pleine d’enseignements et, à tout le moins, d’anecdotes, mais encore faut-il la raconter. Le pas est rarement franchi car le linge sale se lave toujours en famille – et très souvent, d’ailleurs, il ne se lave pas du tout. C’est pourquoi l’initiative de Royal Air Maroc (RAM) de se laisser raconter est doublement intéressante. Par la démarche, qui émane d’une entreprise publique, et parce que le transporteur a refusé, pour écrire cette histoire, de recruter des nègres qui, au passage, se seraient sentis obligés de l’envelopper, la diluer et l’enjoliver.
En effet, c’est vers d’anciens directeurs, aujourd’hui à la retraite, qu’il s’est tourné pour accomplir cette tâche et ces derniers s’y sont prêtés en bénévoles. Ainsi, c’est la mémoire vivante de l’entreprise qui a été mise à contribution, mémoire à laquelle on peut se fier et dont l’histoire se confond avec celle de ce qui est devenu aujourd’hui le groupe RAM.
En attendant cet ouvrage de 155 pages richement illustrées, qui livrera ses secrets dans quelques jours – il sera présenté à la presse le 7 juin -, La Vie éco est allée à la rencontre des quatre principaux auteurs de l’ouvrage. Saïd Ben Ali Yaala (ancien directeur de l’Air au Maroc, administrateur du transporteur puis son DG à partir de 1965), Tahiri Abderrafih (ancien directeur administratif et financier), Rafik Hamayed-El Mili (ancien directeur technique) et Mohamed Benchekroun (ancien DRH et directeur de la communication). Ces hauts cadres à la retraite ont retracé l’histoire de l’entreprise en consultant des centaines de documents et pris langue avec d’autres collègues avant de rédiger l’ouvrage qui leur a demandé deux années de travail.
Au commencement, il y avait deux sociétés, Air Atlas et Air Maroc, qui fusionnèrent en 1953 pour donner naissance à la Compagnie chérifienne du transport aérien (la CCTA a été d’ailleurs présidée un moment par un certain … Jacques Chaban-Delmas). Cette dernière est devenue Royal Air Maroc en juin 1957, soit quelques mois à peine après l’indépendance, avec l’entrée de l’Etat dans le capital (plus 50 %), aux côtés d’autres actionnaires comme Air France, Iberia ou encore Air transport. On ne précise pas la manière dont le tour de table a évolué, mais on retient qu’Air France a détenu jusqu’à 30 % du capital, à un moment de la vie de l’entreprise.

La RAM a acheté sa dernière Caravelle en 1968 à 13 MDH
En 1964, soit 7 ans après sa création en tant que compagnie nationale, la RAM tournait toujours avec un management étranger. Elle ne comptait qu’un cadre et un pilote marocains. «Au départ, c’est à peine si les nationaux étaient autorisés à nettoyer les carlingues et les vitres des avions. Puis, on a commencé à tolérer qu’ils changent les roues. Il a fallu attendre la fin des années 80 pour opérer la mue qui va nous permettre de capitaliser un savoir-faire de faire l’entretien d’une partie de la flotte africaine et les GO (grandes visites) du 737», explique Rafik Hamayed. Il a encore en mémoire que son département (la maintenance), qui employait 1 500 personnes en 1998, absorbait 60 MDH, soit 11 à 12 % des charges d’exploitation de la RAM.
Autres statistiques livrées par Saïd Ben Ali Yaala : le chiffre d’affaires de la RAM tournait autour de 144 MDH, en 1971, contre 125MDH l’année précédente, et la masse salariale a toujours été stabilisée entre 20 à 22 % du total des charges. Toujours en 1971, le bénéfice net d’exploitation était de 14 MDH (en 2004, les recettes avoisinent 8 milliards de DH).
Mais revenons à l’arrivée des premiers Marocains aux postes-clés de ce qui allait devenir officiellement la RAM, en 1957. Le transporteur possédait à l’époque 3 avions DC3, 4 DC4 et 1 Constellation. N’étant pas pressurisés, ces DC (Douglas) 3 et 4, de petits avions qui transportaient respectivement 30 et 70 passagers, ne volaient pas à plus de 4 000 mètres d’altitude et leur vitesse maximale ne dépassait pas 350 km/heure. Seuls les Constellation (des Lockeed) qui, eux, étaient pressurisés, mettaient 4 à 5 heures pour couvrir les 1900 km séparant Casablanca de Paris. Et puis, se rappelle Saïd Ben Ali Yaala, à l’époque, il n’y avait ni radar ni assistance au sol.

L’Etat n’a jamais renfloué la compagnie
Il faut attendre 1960 pour l’entrée en service de la Caravelle (premier avion à réaction), pouvant accueillir 90 passagers, et volant à 800 km/heure. Et même pour ces petits bijoux de l’époque, il fallait un commandant de bord, un co-pilote et un mécanicien naviguant pour maîtriser l’avion et le trajet. La RAM, elle, achète sa dernière Caravelle en 1968 à 13 MDH (la première ayant été acquise en 1960). Un peu plus tard, Air France cède à la compagnie nationale un 707 A. Le vieux coucou qui avait plusieurs milliers d’heures de vol à son actif allait donner du fil à retordre à l’équipe de Hamayed qui n’allait pas tarder à recommander à la direction de s’en débarrasser au plus tôt. Ce qui fut fait quelques mois plus tard : il fut vendu pour une bouchée de pain, à peine quelque 200 000 DH. Abderrafih Tahiri, se rappelle, lui, que la RAM avait vendu un Constellation, livré en Floride. L’acheteur a bien payé la somme convenue, mais avec un chèque sans provision de 5 000 dollars (environ 50 000 DH) pour le convoyage. Autre anecdote, deux vieilles Caravelle furent vendues pour 3 MDH à un Libanais, alors chef-pilote du Roi Hussein de Jordanie, qui les céda à son tour à un pays africain.
Cependant, l’histoire de la RAM n’est pas émaillée seulement d’anecdotes puisque des décisions stratégiques en firent l’entreprise performante que l’Etat, contrairement à ce que l’on pense, n’a jamais renflouée. Les auteurs de l’histoire de la RAM sont formels: l’Etat, même s’il a parfois recommandé certaines dessertes peu ou pas rentables, ne s’est jamais immiscé directement dans la gestion du transporteur. Il traîna cependant souvent les pieds pour payer ses factures, avec des ardoises qui atteignirent 500 MDH, se souvient Abderrafie Tahiri.
L’évolution de la RAM est aussi à mesurer au niveau de l’effectif (400 personnes en 1965,plus de 6 000 aujourd’hui) et de certains événements comme l’achat des premiers Boeing 727/200 et le changement d’aéroport (fin 1969), puisque celui de Casa- Anfa, dont la piste de 2 000 mètres (les pilotes des Constellation se plaignaient déjà de ne décoller qu’en bout de piste) ne pouvait pas recevoir ce type d’avions qui prenait 150 passagers à bord. On orientait alors les avions vers Nouaceur dont la piste était de 4 000 mètres. L’autre date à retenir est l’achat du 747/200 pour 46 millions de dollars, en 1978 , et dont la rumeur voulait que ce fût un avion d’occasion. Les responsables jurent leurs grands dieux que c’était pure invention, dont ils ne déterminèrent jamais la source. Ils avaient d’ailleurs les preuves qu’il s’agissait d’une affabulation mais le ministre de l’époque ne voulait pas répondre à des rumeurs par des communiqués qui n’auraient fait qu’en renforcer la crédibilité

En 1970, Royal Air Inter, filiale de la RAM, achète deux Fokker à 8 MDH chacun pour assurer les liaisons intérieures.