Affaires
Fellahs : la pluie est là mais les intrants coûtent cher
Les superficies travaillées sont en augmentation et l’état végétatif des cultures est satisfaisant.
Le prix des pesticides est passé du simple au double.
Les producteurs de légumes ont perdu du terrain à l’export à cause de l’irrégularité de l’offre.

Les agriculteurs sont aux anges dès qu’on parle des excédents pluviométriques qui ont marqué le début de l’actuelle campagne. Mais quand vous entrez dans le vif du sujet, ils sont moins souriants et vous prennent à témoin pour ce qui est de l’augmentation des prix des intrants et du carburant et de la difficulté qu’ils rencontrent pour trouver les marchés pour placer leurs produits.
Une petite incursion du côté d’Azemmour et de sa région donne une idée de leurs préoccupations. Au vu des données enregistrées dans les stations d’Azemmour et de Chtouka, les agriculteurs ont de quoi être satisfaits : ce territoire a connu un cumul pluviométrique s’établissant à 298 mm entre octobre et décembre, ce qui représente un excédent de l’ordre de 134 % par rapport à celui d’une période moyenne. Hadj Abdallah Markoum gère une exploitation de 67 ha à Douar Oulad Moussa Sahel à Chtouka, à une bonne vingtaine de kilomètres au nord d’Azemmour. Il explique que sur la partie irriguée, il cultive, cette année, 15 ha de pommes de terre et 5 autres de tomates de plein champ. Sur une quinzaine d’hectares, il a opté pour le haricot vert, le poivron et la carotte. De plus, 4 ha sous serre sont consacrés à la banane.
Pour la partie bour, 26 ha ont déjà été semés de blé tendre et 4 ha réservés à l’avoine. «Il faut bien nourrir mon cheptel qui compte, notamment, 140 ovins croisés entre des brebis d’Ile de France et des sardi pure race. Comme les pâturages ont reverdi, les frais alimentaires seront moins élevés cette année. Mais cela ne représente que peu de chose par rapport à ce qu’il faut débourser pour l’entretien de la terre et sa préparation», explique-t-il.
Hadj Abdallah Markoum ne sera pas le seul à se plaindre des augmentations des prix des intrants survenues en 2008, à l’exception des semences. Par exemple, le prix des pesticides à base de soufre est passé de 10 DH à 25 DH le kilo. Pour ceux qui sont à base de cuivre, le lot de 5 kg est à 250 DH contre 170 auparavant. Même chose pour les insecticides dont le prix du litre a enregistré une augmentation de l’ordre de 150 DH pour se situer à 400 DH le litre. Les engrais connaissent aussi des hausses vertigineuses, disent les agriculteurs, et le plus utilisé d’entre eux est passé de 2,50 à 26 DH le kilo. Un agriculteur avisé a ce mot : «Nous savons que ce sont les cours internationaux qui sont à l’origine de ces flambées et nous savons aussi que l’Etat a subventionné quelques produits, mais comment pourrions-nous faire apparaître tout cela sur notre bilan ? Heureusement que peu d’entre nous tiennent une comptabilité».
Seulement trois stations de conditionnement en activité
Haj Abdallah Markoum revient à la charge : «Je viens de planter un hectare et demi de fraises. L’équipement du terrain a coûté 350 000 DH et il reste les plants à acheter et à planter. Cependant, cela donne des fruits dès la première année et j’espère, si tout va bien, tirer quelque 250 000 DH de la récolte. Mais il faut entretenir, renouveler et s’inquiéter à longueur d’année. Heureusement qu’en superficie de petite et moyenne hydraulique, nous ne payons pas l’eau et que nous avons pris les devants en nous équipant en goutte-à-goutte, ce qui nous fait économiser beaucoup en matière de main-d’œuvre».
Une quinzaine de kilomètres plus loin, Abdellatif et Mostafa Boudhar ont un sujet de mécontentement supplémentaire : la difficulté de placer leurs produits. D’ailleurs, disent-ils, la région a complètement changé de physionomie et même de cultures, à cause de la rareté de l’eau mais aussi parce que d’autres régions lui ont volé la vedette à l’export. Comme beaucoup d’entre eux, ils ne comprennent pas que c’est parce qu’ils n’ont pas su s’adapter aux règles devenues incontournables qui s’appellent qualité, traçabilité et régularité de la production.
Mohamed Nache, du Centre de travaux d’Azemmour qui compte une vingtaine de personnes pour accompagner les agriculteurs (la superficie de leur territoire est de 66 0000 ha) a cette réflexion : «Historiquement, cette région comptait une bonne quarantaine de stations de conditionnement, ce qui témoigne de leur activité à l’export. A ce jour, on ne compte plus que trois stations qui, d’ailleurs, fonctionnent en deçà de leur potentiel théorique».
Résultat : les frères Boudhar, qui pleurent l’association Hafisa dont ils étaient membres, tout comme d’autres exploitants agricoles de la région, ont abandonné la culture de la tomate et de la courgette. Ils ont choisi de ne plus faire que de la pomme de terre, du haricot vert et des carottes, pour le marché local exclusivement. «Aujourd’hui que nous avons appris à mieux produire, nous n’avons plus à qui vendre et nos propriétés, comme celles de beaucoup de nos voisins, sont sous-exploitées», se lamentent les deux frères. Pour le reste, tout le monde s’accorde à dire que l’année sera bonne. Certains bilans définitifs en matière de surfaces cultivées sont en augmentation dans la région et l’état des cultures est satisfaisant. C’est le cas pour le blé tendre, l’orge, l’avoine ou encore la fève et le petit pois. Pourvu que les prochaines pluies soient au rendez-vous.
