Electricité : un dahir de 1954 crée des injustices de tarification

Conformément à un dahir datant de 1954, les tarifs dits avec et sans minimum continuent d’être appliqués par les régies et les gestionnaires délégués
Des kWh non consommés mais payés et des réductions pour ceux qui consomment plus.
Des factures d’électricité de fin d’année plus salées que d’habitude ? Depuis longtemps, beaucoup d’abonnés, qu’ils soient des ménages, commerçants ou professionnels, qu’ils soient clients de régies publiques ou de distributeurs privés comme les gestionnaires délégués, vivent ce paradoxe : ils paient pour des kWh qu’ils n’ont en réalité pas consommés. Des sommes qui seront facturées par le distributeur sous le libellé : minimum non atteint.
Erreurs ? Abus ? Rien de tout cela. Car la pratique est tout ce qu’il y a de légal. Pour le comprendre, il faut revenir 55 ans en arrière. Exactement au 31 décembre 1954, du temps du Protectorat, date à laquelle a été promulgué le dahir chérifien régissant la tarification de l’électricité. Un dahir dont les dispositions sont encore en vigueur. Et c’est ce dahir justement qui constitue le fondement juridique et légal irréfutable de la situation.
Que disait ce dahir ? Littéralement que «les abonnés (…) sont astreints (…) à la garantie d’un minimum de consommation (…). Les kWh garantis et non consommés seront facturés à un prix égal aux 70/100e du tarif (…). Tout abonné basse tension a la faculté de souscrire des contrats sans clause de minimum de consommation moyennant la facturation de sa consommation à un tarif égal aux 120/100e du tarif auquel il a droit (…)». En termes plus clairs, et conformément aux disposition de ce texte, lorsqu’un abonné se présente chez le distributeur d’électricité, il a le choix entre un contrat avec minimum et un contrat sans minimum. Dans le premier cas, il paiera le kWh au prix normal (généralement fixé par l’Etat jusqu’à ce jour) mais s’engage à consommer une certaine quantité par an. A la fin de l’année, si l’abonné n’a pas consommé tous les kWh sur lesquels il s’était engagé, le distributeur lui fait payer la quantité qu’il n’a pas consommée mais avec une réduction de 30% sur le tarif normal.
20% de plus si l’on consomme sans forfait minimal d’électricité !
Si maintenant l’abonné ne souhaite pas s’engager, il opte alors pour un contrat dit «sans minimum» mais le distributeur lui appliquera non pas le tarif normal mais un tarif majoré de 20%.
Voilà pour l’explication technique. Maintenant en quoi ce texte vieux de 55 ans peut-il être invoqué aujourd’hui, notamment par le ministère des affaires économiques et générales (MAEG) qui souhaite l’abroger par un projet de loi récemment soumis au conseil du gouvernement ?
A ce niveau, deux constats importants. Le premier est que ledit dahir est encore en vigueur jusqu’à nos jours et donne le droit à tout distributeur d’en appliquer les clauses. Le deuxième constat est que l’application de ce texte au fil des années a créé des distorsions au niveau du système de tarification de l’électricité. C’est justement là l’une des conclusions majeures à laquelle a abouti une enquête réalisée par les équipes du MAEG récemment et qui a poussé le ministère à militer pour l’abrogation du texte.
La principale anomalie mise en avant par le ministère est que l’application du dahir durant toutes ces années a créé des inégalités entre les consommateurs selon la ville où l’on se trouve et donc du distributeur (régie, concessionnaire ou ONE) et selon la nature du client (ménage, patenté, professionnel, administration…).
Les anciens contrats maintenus et les nouveaux dispensés du minimum
Ainsi dans les villes où la distribution a été donnée en gestion déléguée à des opérateurs privés comme Casablanca, Rabat, Tanger et Tétouan, ces derniers ont cessé définitivement d’appliquer aux clients domestiques (ménages) le principe du contrat avec minimum. Contactés par nos soins, aussi bien Lydec que Redal et Amendis sont catégoriques sur ce point. Mais le problème réside dans les clients qui avaient des abonnements antérieurs à la date d’arrivée de ces distributeurs privés et qui sont en grande majorité des contrats avec minimum. Pour ceux-là, la situation restait en fait inchangée. «Nous avons hérité de ces contrats et nous n’avions aucune obligation d’en changer les dispositions», confie un haut cadre d’un de ces concessionnaires.
Il est aisé de vérifier, à travers les grilles tarifaires, que nous ont communiquées les gestionnaires délégués, que la notion de contrat avec minimum n’existe plus, en effet, pour les clients domestiques. Cela dit, pour d’autres types de clientèle comme les patentés (les commerçants), les professionnels et les petites entreprises utilisant ce que les spécialistes appellent la force motrice, le contrat avec minimum est toujours appliqué. L’est-il systématiquement ou donne-t-on le choix au client ? Que ce soit à Casablanca, pour le cas de la Lydec, à Rabat, pour Redal, ou à Tanger et Tétouan, pour Amendis, la réponse est la même : c’est le client qui choisit. Et s’il opte pour un contrat sans minimum, on lui applique, bien entendu, un tarif supérieur de 20% par rapport au tarif normal.
Que se passe-t-il dans les autres villes où la distribution de l’électricité est toujours assurée par des régies publiques et qui sont Marrakech, Nador, Meknès, Fès, Kénitra, Oujda, Larache, Safi, Settat, El Jadida ? A la direction des régies et des services concédés, du ministère de l’intérieur, qui assure la tutelle de ces régies, on nous assure là aussi que l’application des contrats avec minimum aux abonnés domestiques est arrêtée depuis plusieurs années mais qu’un parc d’anciens abonnés continuent d’y être assujettis. Idem pour les autres types de clientèle, les régies appliquent le contrat avec minimum mais à la demande du client.
Il reste, enfin, le cas des villes où la distribution d’électricité n’est assurée ni par une régie ni par un concessionnaire mais par l’Office national d’électricité (ONE). Là, la différence est de taille puisque l’office, bien qu’il ait appliqué lui aussi dans le temps le principe de la tarification avec et sans minimum, en a non seulement suspendu l’application mais il a, en plus, transformé les anciens contrats en contrats normaux contrairement aux régies et aux gestionnaires délégués qui les ont gardés avec leurs anciens tarifs majorés pour certains, réduits pour d’autres. L’autre bonne action de l’office est d’avoir également supprimé ce mode de tarification aux administrations au moment où il l’est encore chez les autres distributeurs.
Ce n’est pas tout car en plus du cafouillage et des injustices que l’application de ce texte a créés, il présente également d’autres inconvénients.
D’abord, les abonnés particuliers, les petits commerçants ou les professionnels, dont la consommation est réduite, n’arrivent jamais à atteindre le minimum fixé par le contrat et sont obligés de payer la différence qui n’a pas été consommée. Résultat : à la fin de l’année, quand les distributeurs procèdent à la régularisation, les abonnés se retrouvent avec des factures anormalement élevées.
Un encouragement à la surconsommation !
Pour ce qui est des PME, la situation est plus problématique surtout en période de crise. Ainsi, s’il arrive qu’une entreprise soit obligée d’arrêter ses activités pour quelques semaines ou quelques mois, comme cela a été le cas cette année, elle sera de toutes les manières tenue de payer une consommation virtuelle en fin d’année. Et si l’entreprise opte pour un tarif sans minimum pour ne payer que ce qu’elle a réellement consommé on lui appliquera un tarif au kWh majoré de 20% par rapport au tarif normal.
Au-delà, sur le plan de la philosophie, fait-on remarquer au ministère des affaires économiques et générales, la notion de tarification avec et sans minimum est contradictoire avec le contexte énergétique actuel. «Dans les années 50, l’Etat cherchait à encourager les abonnés à consommer l’électricité, moyennant des réductions de tarifs, mais aujourd’hui nous sommes plutôt dans un contexte inverse où l’on doit rationaliser la consommation».
Et c’est ce qui explique qu’aujourd’hui le MAEG veuille remettre de l’ordre dans tout cela. Maintenant, il faut savoir que l’abrogation du dahir de 1954 posera deux problèmes aux régies et aux concessionnaires. Le premier, d’ordre technique, est qu’il annule tous les anciens contrats avec minimum pour les remplacer par de nouveaux. Le deuxième, et c’est le plus compliqué, est que la suppression de la tarification avec minimum se traduira mécaniquement par une baisse de chiffre d’affaires. Nizar Baraka réussira-t-il à leur faire avaler la pilule ?