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Concurrence, taux, dates de valeur… Noureddine Omary parle des banques

Il rejette l’idée d’entente entre les banques : pour lui, la concurrence est même exacerbée.
La baisse des taux couplée à l’allongement des durées du crédit peut fragiliser le système.
S’engager dans une compagnie d’assurance ? Oui, mais avoir le contrôle.n Il rejette l’idée d’entente entre les banques : pour lui, la concurrence est même exacerbée.
La baisse des taux couplée à l’allongement des durées du crédit peut fragiliser le système.
S’engager dans une compagnie d’assurance ? Oui, mais avoir le contrôle.

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La Vie éco : Vous avez baissé le taux de votre CMT à 5,5%. On ne peut pas s’empêcher d’y voir une réaction au J+2 d’Attijariwafa bank.
Noureddine Omary : Nous sommes dans une démarche tout à fait différente, s’inscrivant dans la continuité de l’action de notre groupe de baisser le coût de financement des investissements et de l’annonce que nous avons faite, à cet égard, quand nous avons lancé notre nouveau concept «Business Project» au profit de l’entreprise. Faut-il rappeler, à ce titre, que le Crédit Populaire du Maroc a pour mission légale de financer la PME, et donc, l’investissement et que, de ce fait, nous veillons à l’amélioration de nos indicateurs de rentabilité autant que nous nous employons à assumer notre mission d’intérêt général. Parler de réaction à la mesure prise par un confrère ne nous parait pas approprié.

Comment appréciez-vous le climat de concurrence dans le secteur ?
D’abord, il n’a jamais été question de « carteliser » l’action des banques au détriment des intérêts de la clientèle. Ensuite, la surliquidité prévalant sur le marché et la rareté, jusqu’à une date récente, des projets finançables, a attisé la concurrence entre les banques de la place, qui ne se font aucun cadeau quand il s’agit de fidéliser leur clientèle et ouvrir leur marché. Ce qu’il faut éviter, et c’est le rôle des autorités monétaires, c’est qu’on commence à faire du dumping et de la publicité trompeuse et mensongère.

Et ce dumping existe ?
Aujourd’hui, les banques veillent à une rentabilité globale de leur relation à la clientèle. Faut-il s’organiser pour que chaque ligne de produit ou de service soit directement rentable ? La question peut se poser. En tout cas, Bank Al Maghrib (BAM), à la demande des banques d’ailleurs, a essayé de mettre en place des balises pour les taux débiteurs référencées sur les bons du Trésor, majorés d’un spread honnête tenant compte du coût moyen du risque. Chaque banque doit gérer sa politique tarifaire par rapport à ces balises et, au-delà, ses instances responsables doivent rester vigilantes pour éviter tout dérapage. Il serait hasardeux que la gestion du court terme et le souci de part de marché et des performances conjoncturelles occultent la nécessité de gérer valablement les risques à terme et mettent en danger l’équilibre du système bancaire national.

Revenons à la décision d’Attijariwafa bank. Pourquoi la profession a-t-elle été choquée ?
Il ne faut surdimensionner ni la décision d’Attijariwafa bank, ni la réaction de la profession. Si, par ailleurs, la concurrence est un fait établi entre les banques de la place, s’agissant des jours de valeur, un accord est établi officiellement entre les banques, et sur initiative de BAM d’ailleurs, pour un processus concerté de réduction progressive des jours de valeur au fur et à mesure de la mise en place des outils et moyens d’assurer une circulation rapide et sécurisée des valeurs, voire le non-voyage des chèques. S’agissant de transactions qui touchent fatalement aux relations interbancaires, l’étonnement a été de voir un confrère se dégager d’un accord à déterminantes plutôt techniques que commerciales sans consultation préalable avec les autres.

On dit qu’à la dernière réunion du GPBM, vous avez déclaré être prêt à passer à J ?
Effectivement, sur la place de Casablanca, rien n’empêche que, dans la circulation des valeurs entre agences de la Banque Populaire, on puisse faire du J ! Dans les relations avec les autres banques ou sur d’autres places, c’est difficilement concevable, aujourd’hui, sauf à accepter de perdre de l’argent. En tout état de cause, ce qui nous intéresse au niveau du GPBM, c’est de nous outiller pour le recouvrement le plus rapide des valeurs au profit de la clientèle pour éviter de faire soit de l’escompte gratuit (avec le risque que celui-ci comporte), soit des gains indus, et nous y travaillons sérieusement sous le contrôle vigilant de Bank Al Maghrib.

A combien estimez-vous le manque à gagner de la banque suite à votre baisse des taux ?
La baisse des taux que nous avons décidée n’est pas fortuite. Nous avons tenu compte de toute la dynamique observée aujourd’hui, avec des indicateurs en net redressement, pour l’investissement public comme privé, et pour la consommation des ménages. Le taux de croissance annoncé du PIB de 7,3% nous permet d’anticiper une relance de l’investissement et nous tenons à donner un coup de pouce à cette dynamique, avec l’anticipation de nous rattraper sur les volumes pour réaliser nos objectifs de rentabilité.

La Bourse a-t-elle réagi à votre annonce de baisser les taux ?
Non, pas à ce que je sache.

Pourquoi en Europe les taux sont-ils plus bas qu’au Maroc ?
Il n’y a pas de mystère. Quand on cite des taux de 4% en Europe, c’est parce que les taux d’inflation sont bas, le coût du refinancement et celui du risque sont très faibles… Aujourd’hui au Maroc, ce qui risque de devenir un problème dans le futur, c’est le taux du sinistre qu’il faut maîtriser et qui inquiète, déjà, pour les crédits aux particuliers (immobilier et crédits conso).

Justement, cette montée en flèche des concours immobiliers ne s’est-elle pas faite au détriment de la qualité de l’étude des dossiers de crédit ?
Quand je parle de l’immobilier, je fais plutôt allusion aux acquéreurs, car des défaillances commencent à se manifester au niveau des particuliers. Certes le niveau d’endettement est limité à 40 % ou 50% du revenu. Mais les clients peuvent prendre des engagements ultérieurs, notamment en matière de crédit à la consommation, qui peuvent aggraver le risque. Est-ce que, dans ce cas, l’hypothèque couvre le risque ? C’est aléatoire car il s’agit souvent de petits ménages qu’il est difficile de mettre à la rue et de procédures très contraignantes et très coûteuses qu’il faut engager.

Et avec tout ce risque, il y a une ruée des banques sur le crédit Fogarim…
Les banques donnent des crédits Fogarim parce qu’il y a une garantie de l’Etat à 70%. Toutes les banques de la place, même celles qui ne voulaient pas toucher à ce type de clientèle, s’y mettent parce que la garantie existe. J’espère que le fonds de garantie ne sera pas rapidement asséché, parce qu’il n’a d’utilité que s’il survit. Ceci étant, la dynamique engagée autour de l’immobilier répond à un besoin : il faut la gérer avec citoyenneté mais également avec responsabilité.

Les banques ne font quand même pas de la philanthropie! On dit que la prochaine bataille sera sur le marché des particuliers.
Elle est déjà sur le marché des particuliers. Aujourd’hui, toutes les banques font dans l’universalité !

Revenons aux dates de valeur. Et si dans quelques jours tout le secteur décidait de passer à J+1….
Cela m’étonnerait.

Pourquoi. Certaines banques ne tiendraient pas le coup ?
Loin de là. Il ne faut pas croire que c’est cette mesure qui fragiliserait le système. Il faut également souligner que ce n’est pas une question déterminante dans la relation à la clientèle. Je n’ai jamais vu un client poser comme préalable un J+ ou un J-. Cela vient après, compte tenu de ce que vous brassez comme affaires ensemble. Effectivement, le client devient exigeant quand vous réalisez avec lui une rentabilité assez bonne. La date de valeur se négocie, mais ce n’est pas un élément fondamental. En France, par exemple, une moyenne de J+4 paraît valablement admise.

Jusqu’où peut-on aller en matière de baisse des taux ?
Aujourd’hui, un référentiel minimal est fixé par BAM sur initiative du GPBM, je le souligne encore. Le taux de 5,5% est un taux que nous servions à la grande entreprise dans le cadre de ce référentiel. Nous avons jugé opportun de le mettre à la disposition de toutes les entreprises nationales porteuses de projets rentables avec des promoteurs professionnels dans la dynamique de croissance que vit le pays. Nous continuerons à l’appliquer, dans ce contexte, durant l’année à venir.

Et pour les particuliers, vous allez faire un geste ?
Nous avons déjà fait un geste au mois de juillet dernier, en baissant les taux de crédit à la consommation et du crédit immobilier. Nous continuons à apprécier et le contexte économique et le contexte concurrentiel pour ajuster nos taux.

Vous ne pensez pas que la baisse continue des taux, par contre, peut fragiliser le système ?
Je pense que si on ne fait pas attention, sur le long terme, cela peut poser problème. S’engager sur le très long terme sur des taux fixes et très bas sans mécanisme de couverture peut poser problème.

A vous entendre, on imagine mal la BP accorder un crédit immobilier sur 40 ans…
Il faut bien analyser les conditions mises à la vente d’un crédit immobilier sur 40 ans pour les apprécier et savoir à qui cela peut profiter effectivement. On peut même octroyer un crédit sur 50 ans à un client ne dépassant pas 20 ans ! Mais avec quel risque ? Il est plus bénéfique de libérer assez tôt notre clientèle de leur charge d’endettement et de veiller à la couverture des risques de taux.

Il y a également cette course à l’ouverture d’agences. 300 devraient ouvrir leurs portes en 2006… y a-t-il de la place pour tout le monde ?
Bien sûr. Nous sommes encore à des taux de bancarisation d’environ 24%, à peine.

Et ces agences sont toutes rentables !
Les banques font leurs calculs. Nous ne sommes pas des urbanistes qui veulent tout simplement améliorer le paysage urbain par de belles agences, mais nous savons que les ménages ont besoin de plus en plus de se bancariser.

Une nouvelle agence est rentable au bout de combien d’années ?
2 à 5 ans, ça dépend de l’endroit où vous la créez et comment vous la gérez.

Vous avez décidé de vous attaquer au marché des très grandes entreprises et aux gros projets : où en êtes-vous ?
Nous avons décidé de nous engager à côté de la grande entreprise pour deux raisons. La première est que nous avons constaté que si, par le passé, nous étions d’excellents incubateurs pour la PME, nous ne savions pas sauvegarder cette relation dès que le client accédait au niveau de grande entreprise. La seconde raison est que nous avons considéré que l’accès à la grande entreprise nous est indispensable à la fois pour améliorer notre coefficient d’emploi, pour améliorer nos compétences et pour pérenniser nos relations avec les PME, quel que soit leur stade d’évolution.
Nous avons de ce fait dédié la BCP Bank à cette stratégie, comme nous avons réformé nos banques régionales pour adhérer à cette démarche, et c’est tout le sens du nouveau concept Business Project.

Des banques marocaines ont annoncé leurs ambitions à l’international et se déclarent une vocation d’opérateur régional. Quid de la Banque Populaire ?
La BCP a été pionnière dans ce domaine. Nous avons créé, il y a déjà plusieurs années, deux banques en Afrique. Une en Guinée et une autre en Centrafrique. Nous avons également créé une banque à Paris qui était dédiée aux MRE. Nous sommes également dans une logique de développement à l’international tout en sachant que nous demeurons une entreprise publique qui doit répondre aux préoccupations de l’Etat qui sont, d’abord, de financer l’économie nationale avant d’aller conquérir des territoires étrangers.

Il y aurait donc une dimension politique ! Si la BCP décidait de s’installer en Algérie cela lui serait plus difficile qu’à la BMCE ou Attijariwafa bank…
Je ne crois pas que les choses doivent être vues de la sorte. La logique de désengagement progressif de l’Etat doit nous affranchir de telles contraintes à l’avenir. Aujourd’hui, la dimension intérêt général national est encore prédominante. Nous pouvons parfaitement nous implanter à l’étranger si cela sert l’intérêt de l’économie nationale.

Quid de votre projet de compagnie d’assurance ? Toujours en instance ?
C’est vraiment un cas extraordinaire. Nous avons créé une filiale avec le consentement de l’Etat. Depuis, nous attendons un agrément ballotté entre les attitudes corporatistes de la profession et l’attentisme des autorités.

Vous ne regrettez pas d’avoir raté la CNIA ?
Nos négociations avec Arig pour la reprise de la CNIA ont été encouragées par la tutelle, qui avait limité notre participation à 30%, taux fixé par un arrêté du ministre des Finances. Ceci nous a contraint à chercher des partenariats assez élaborés auxquels nous avons cru. Puis, subitement, ces contraintes réglementaires ont changé et l’environnement des assurances s’est modifié avec le développement de stratégies bloquant les perspectives de notre groupe. Faut-il, pour autant que notre groupe capitule et accepte d’être un simple sleeping partner ! Je ne peux assumer cette responsabilité aujourd’hui !
De ce fait, nous attendons notre agrément – et la libéralisation du secteur est pour bientôt – comme nous cherchons des partenariats équilibrés et nous en trouverons.