Code gazier : une mouture décevante

Trop contraignant pour les investisseurs, il ne prévoit aucune mesure incitative et fait l’impasse sur la cogénération

Le ministère de l’Energie et des Mines est obligé de revoir sa copie.

Leministère de l’Energie et des Mines (MEM) a soumis aux opérateurs du secteur, il y a quelques semaines, un projet de loi sur le gaz naturel afin de recueillir leurs observations, leurs suggestions.
Enfin un code gazier ? Pas pour le moment, semble-t-il, car ce texte, accompagné d’un projet de décret d’application, est, tout au plus, une version «améliorée» ( !) des moutures précédentes, mais en aucun cas attractive pour l’investissement.
Disons-le d’emblée : tout au long des 46 articles qui le composent, ce projet ne fait pratiquement qu’égrener un chapelet de mesures aussi contraignantes les unes que les autres. «L’administration peut mettre fin à… », «l’autorisation de l’administration est requise pour…», «le bénéficiaire de l’autorisation a l’obligation de…» : le projet dans son ensemble est bâti sur des contraintes de ce genre, et lorsqu’on a fini de le lire, on ne retient finalement que les servitudes qui pèsent sur les exploitants éventuels des infrastructures gazières ; l’administration se réservant le droit de tout régir, de tout contrôler. Des incitations à l’investissement, point. Un seul article (le n° 31) est consacré au régime tarifaire et fiscal. Mieux ou pis, cet article ne fait que renvoyer, en ce qui concerne les prix et la fiscalité à appliquer pour le gaz naturel, aux dispositions de la loi (n° 06-99) sur les prix et la concurrence.

Les entreprises marocaines disposent d’un potentiel de cogénération de 400 MW
Par ailleurs, le projet de loi sur le gaz naturel fait complètement l’impasse sur la cogénération, un procédé technique dont, pourtant, tout le monde reconnaît aujourd’hui les avantages économiques additionnels. Une étude réalisée, il y a quelques années, par l’espagnol Union Fenosa et un bureau d’études marocain, Citech Ingénierie, pour le compte du MEM, avait montré en effet que les entreprises marocaines disposent d’un potentiel de cogénération de 400 MW. Cela représente quelque 4 milliards de dirhams d’investissements publics évités. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises (les cimenteries, les papeteries, etc.) n’attendent que l’introduction du gaz naturel et la mise en place d’un cadre institutionnel, tarifaire et fiscal, pour développer la cogénération.
Au total, la version actuelle du projet de loi sur le gaz naturel n’apporte rien pour le secteur, et certains opérateurs se sont empressés de le signifier au MEM. Ils ont cependant refusé de faire part de leurs remarques à La Vie éco, prétextant la clause de confidentialité signée avec l’Etat qui les empêche de le commenter publiquement.
De fait, explique un expert, avec ce projet de loi, tout se passe comme si le Maroc était un pays utilisant déjà largement le gaz naturel comme source énergétique et que les pouvoirs publics ont senti le besoin d’intervenir, par actes législatifs ou réglementaires, pour mettre de l’ordre dans le secteur. Or, c’est le contraire qui est vrai. Le gaz naturel, actuellement, ne représente qu’une part négligeable dans le bilan énergétique national ne dépassant pas 0,36 %. «Le code gazier à élaborer devrait donc tendre à favoriser, par des mesures incitatives, les investissements nécessaires au développement de ce secteur», précise notre expert.

Compte tenu des avantages que présente le gaz naturel sur les plans à la fois environnemental et économique (voir encadré), une autre version du projet de code gazier s’impose.
Le MEM, conscient des enjeux que comporte ce dossier, s’apprête justement sinon à reprendre le texte de bout en bout, du moins à l’améliorer. D’ici à la fin de l’année, en effet, une autre mouture devrait voir le jour.
A la primature, on suit le dossier de près. Lors de la dernière réunion interministérielle sur l’énergie, Driss jettou avait souhaité qu’avant les Assises du secteur, qui devraient avoir lieu début 2006, des réunions préparatoires soient organisées pour définir avec précision chaque axe du dossier : libéralisation de l’électricité, introduction du gaz naturel, tarification, fiscalité, échéanciers, financement, cadre institutionnel et réglementaire, etc. «Logiquement, le code gazier ne devrait pas précéder cette réflexion, il devrait en être l’aboutissement», indique-t-on à la primature.
Dans le contexte d’un marché pétrolier mondial où les prix ne cessent de se renchérir, la diversification des sources d’énergie afin d’en maîtriser les coûts est une nécessité vitale pour l’économie marocaine. Avec la redevance de transit du Gazoduc Maghreb Europe (GME) qui est de l’ordre de 600 millions de m3/an, mais qui devrait atteindre 800 millions de m3 après l’achèvement des travaux d’extension en cours, le Maroc a les moyens pour démarrer une «gazéification» au moins partielle du pays. Au-delà, il sera évidemment nécessaire de procéder à des achats supplémentaires qui peuvent se faire soit directement à partir du GME, soit par importation, sous forme de GNL (gaz naturel liquéfié) – dans ce dernier cas, il faudra nécessairement construire des stations de regazéification.
Tout cela est prévu dans le plan gazier du MEM. Ce qui manque maintenant, c’est de mettre au point les mesures concrètes à même d’attirer les investisseurs vers ce secteur. Car la construction des infrastructures gazières (gazoducs, terminaux de réception du GNL et stations de regazéification) nécessite des moyens financiers considérables dont l’Etat ne dispose pas. Encore faut-il intéresser le privé.

Des gains de compétitivité
Selon le plan gazier élaboré par le département de l’Energie et des Mines, la consommation de gaz naturel à l’horizon 2020 atteindrait 5,1 milliards de m3, dont 3,3 pour l’électricité et 1,8 pour les autres utilisations (le raffinage et l’industrie, notamment). Outre les avantages environnementaux, l’utilisation du gaz naturel dans la production de l’électricité et dans les autres industries permet des gains de compétitivité énormes.
Ainsi, estime-t-on, chaque milliard de m3 de gaz naturel utilisé pour produire de l’électricité à la place du charbon ou du pétrole, génère une économie de 100 millions de dollars, soit l’équivalent d’environ 6 % de la facture énergétique nationale. Dans l’industrie, c’est une économie de 20 à 30 millions de dirhams par chaque milliard de m3 de gaz naturel utilisé au lieu du pétrole ou du charbon.