Casse-tête chinois pour les industriels marocains

L’artisanat local est contrefait par les Chinois qui exportent directement les produits en Europe.
Les importations en provenance de Chine ne se limitent plus aux bibelots et autres produits basiques, l’électronique et le matériel de bureau déferlent sur le marché.
«La présence de plus en plus visible des produits chinois sur le marché marocain ne doit pas nous inquiéter outre mesure mais doit être prise au sérieux et nous pousser à nous organiser autrement pour promouvoir nos produits et l’image de notre pays». C’est le patron d’une petite entreprise d’import-export, qui a travaillé beaucoup avec les Chinois, qui s’exprime ainsi. Leur force, dit-il, c’est qu’ils se placent sur tous les créneaux, toutes les gammes de produits, y compris des petites niches qu’on croit a priori inaccessibles pour eux. Effectivement, aujourd’hui, les produits chinois sont disponibles dans les petits souks marocains et l’organisation de petites foires ici et là leur est entièrement dédiée.
Du reste, les chiffres officiels confirment cette tendance puisque, en l’espace d’une année, les importations de produits chinois ont fait un saut de 2 milliards de DH, passant ainsi de 4,6 milliards en 2003 à 6,6 milliards en 2004. En tête de liste de la nomenclature, on trouve toujours le thé vert, avec plus de 700 MDH et un volume énorme dépassant les 45 millions de tonnes. Mais si on additionne les produits de l’électronique, c’est-à-dire les télévisions, les appareils vidéo, les portables, etc., le thé n’est plus le produit chinois leader sur le marché, car ces appareils totalisent, d’après les statistiques fournies par le bureau de liaison chinois à Casablanca, près de 1,5 milliard de DH. Arrivent ensuite les produits textiles, créant un casse-tête qui dépasse nos frontières.
Pour le textile marocain, le problème se situe à deux niveaux : les Chinois inondent le marché national de leurs produits et attirent chez eux certains grands donneurs d’ordre, notamment britanniques, installés au Maroc.
Des produits artisanaux disparaissent au profit de leurs équivalents chinois
A un autre niveau, les sociétés de fabrication de matériel de bureau commencent à subir la concurrence chinoise. Et pour cause. «Les marchés publics de l’administration sont remportés de plus en plus par des négociants qui importent des pays d’Asie, au détriment des producteurs nationaux», proteste, scandalisé, Abderrazak Maaouni, directeur de Maroc Bureau. Certes, ces négociants sont toujours les moins-disants, reconnaît M. Maaouni, mais ils n’apportent aucune valeur ajoutée à l’industrie nationale puisqu’ils n’investissent pas et se contentent de travailler avec une seule secrétaire et un e mail. Selon lui, l’Etat doit revoir ses méthodes pour ce qui est des marchés publics, dans le sens de favoriser la production nationale.
Les Chinois vendent de la camelote disent certains. «Attendez, réplique Driss Omari, importateur de matériels de bureau, dans deux ans, vous verrez des produits chinois de premier choix vendus à des prix défiant toute concurrence. Pendant qu’ils déversent sur nos marchés des jouets, des bibelots et d’autres bricoles, ils prospectent en même temps pour se placer dans des niches beaucoup plus intéressantes». Le marché du plastique domestique leur appartient aujourd’hui et beaucoup de petites unités de production ont été obligées de mettre la clé sous le paillasson pour cause de concurrence de produits chinois.
Certains produits de l’artisanat sont tout bonnement en train de disparaître et sont remplacés par des produits industriels en provenance de Chine et d’autres pays asiatiques. C’est le cas particulièrement dans le milieu rural où, en raison du niveau modeste des revenus, les produits chinois apparaissent comme une bénédiction. Normal quand le paysan marocain peut payer une paire de sandales 40 DH au lieu de 80 DH pour une paire de babouches ordinaires.
Un tel phénomène n’inquiète pourtant pas Mohamed Saïri, directeur de la préservation du patrimoine, de l’innovation et de la promotion au département de l’Artisanat, qui trouve normal que des produits artisanaux qui «n’ont ni contenu ni charges culturelles», comme les chaussures ou les cartables, basculent vers l’industriel. «En revanche, estime-t-il, il faut protéger et valoriser notre savoir-faire séculaire pour d’autres produits qui restent inimitables». Certains de nos tapis, dit-il, sont imités en Inde, produits de manière industrielle et écoulés sur le marché européen. De même, les tables en fer forgé et en zellige sont imitées par les Chinois qui prennent de la faïence industrielle qu’ils découpent au laser et le tour est joué.
Les clauses de sauvegarde sont difficiles à mettre en application
Cette idée est partagée par Soumia Jalal Mikou, architecte de formation, mais qui préfère se présenter comme artisan créateur. «Tant mieux pour les consommateurs, dit-elle, si les Chinois sont en train d’investir tous les marchés et de vendre le moins cher au maximum de gens, c’est aussi la réalité de la mondialisation», commente-t-elle. Et de poursuivre: «Il nous appartient de nous placer sur des créneaux qui valorisent nos spécificités culturelles et d’investir dans la recherche et dans la promotion pour vendre nos produits».
Mais allez exposer une telle théorie aux petits commerçants marocains qui ont pignon sur rue dans les petites villes et les villages et qui se battent tant bien que mal pour vendre leurs produits, par ailleurs à crédit.
A Ouezzane, l’association des commerçants locaux est allée jusqu’à engager un bras de fer avec le conseil municipal de la ville pour mettre fin aux foires improvisées de produits chinois qui se succèdent dans la ville, pénalisant les commerçants locaux. Aujourd’hui, explique Hassan Drissi Bouzaidi, président de cette association, nous sommes arrivés à un accord avec le conseil municipal pour réglementer la fréquence de ces braderies de sorte à ne pas asphyxier l’économie de la ville.
Derrière cette réalité qui fait peur aux uns et réjouit les autres, Abdellali Berrada, aujourd’hui expert auprès de l’ONUDI (Organisation des Nations unies pour le développement industriel), après avoir été longtemps directeur de l’Amith, pense qu’on ne peut pas rester les bras croisés devant la percée de la Chine qui est devenue «l’usine du monde». Selon lui, si la Chine pose aujourd’hui problème pour les économies les plus fortes de par le monde, c’est qu’au moment de la signature des accords de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) en 1994, à Marrakech, personne ne pensait que ce géant allait un jour y adhérer. Or, en adhérant aux règles de l’organisation en novembre 2003, la Chine a vu 70 % des obstacles qu’elle devait affronter en termes de quotas et de droits de douane sauter d’un coup, ceci sans parler de la parité de la monnaie chinoise par rapport au dollar qui lui confère un autre avantage plus que substantiel.
Face à la déferlante chinoise, il ne reste, selon Abdellali Berrada, que le recours aux clauses de sauvegarde prévues par l’OMC, mais, rappelle-t-il, ce recours a aussi des règles et prend beaucoup de temps. D’ici là, en effet, de l’eau aura coulé sous les ponts. Et puis, M. Berrada s’insurge contre le fait de ne parler que des exportations chinoises au détriment du volume de l’investissement étranger que draine ce pays. «La logique de l’investissement a changé en passant de la logique des coûts des facteurs à celle de la taille du marché et la Chine est un vaste marché», fait-il remarquer.
Que faire alors ? «Nous devons revoir entièrement notre mode d’organisation, du moins pour ce qui est du secteur textile, et nous positionner sur des créneaux de livraison à court terme et des produits à valeur ajoutée comme c’est le cas pour le denim où nous restons malgré tout concurrentiels».
Enfin, il y a la promotion de l’image du pays, et il appartient aux pouvoirs publics de la regrouper au sein d’un organisme unique au lieu qu’elle reste dispersée, conclut
M. Berrada. Mais où est donc passé l’ONIX ? .
Les Chinois déversent sur nos marchés jouets et autres bricoles tout en prospectant pour se placer dans des niches beaucoup plus intéressantes, affirme un importateur de matériel de bureau.