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Afrique : Quand l’afrique épouse la croissance
Serait-il possible de voir un jour «made in Kenya, Ethiopia ou même Somalia» sur les produits que nous consommons, tous types confondus ? Rien n’est impossible, surtout vu l’ampleur que prend le continent africain dans les échanges mondiaux.

Alors que les économies des pays développés sont en récession depuis les débuts de la crise économique, l’Afrique, elle, s’en tire à bon escient. C’est que tous les regards sont tournés aujourd’hui vers le continent. Il aura fallu les débuts de la crise économique mondiale de 2008 pour que les investisseurs prennent enfin conscience de l’importance du potentiel de développement de la région.
Le continent devrait afficher un taux de croissance de 4,5% en moyenne en 2015, après une croissance modérée de 3,9% en 2014 et de 3,5% en 2013. Si l’expansion de l’Afrique a rompu avec son rythme de 2008/2009, c’est en raison de la conjonction de plusieurs facteurs exogènes, comme la prolifération des organisations terroristes ayant pour corollaire la propagation de l’insécurité et des tensions internes dans certains pays plus que dans d’autres, l’apparition de la maladie Ebola, ou encore l’instabilité politique générée par des coups d’Etat. Cela a été accompagné par des conditions économiques mondiales pour le moins défavorables, comme la chute ininterrompue des cours des matières premières, frappant de plein fouet le continent, étant donné qu’il dispose de la plus grande réserve de ressources naturelles. Cependant, l’Afrique n’a pas tardé à se ressaisir et les institutions mondiales prévoient même une croissance de 5% en 2016. Cela dit, cette croissance est disparate selon les régions.
En Afrique australe, par exemple, la croissance est prévue à 3,1% en 2015. Elle serait tirée essentiellement par le Mozambique et la Zambie avec respectivement 7,5% et 6,5% grâce aux projets d’investissement dans les infrastructures pour le 1er pays et à la bonne campagne agricole pour le second. Fini le temps où c’est l’Afrique du Sud qui était à l’origine de cette croissance. Le pays devrait enregistrer un taux de 2%. Il serait plombé par la faiblesse de la demande de ses partenaires commerciaux ainsi que la poursuite de la baisse des matières premières. La même situation prévaut en Angola dont la progression du PIB s’afficherait à 3,8% (4,5% en 2014). Il faut dire que les investisseurs se détournent des pays où ils investissent habituellement comme l’Afrique du Sud, le Nigéria et le Kenya, pour s’orienter vers l’Éthiopie, le Rwanda ou même la Somalie.
D’ailleurs, le microcosme qui englobe ces pays (Afrique de l’Est) devrait afficher une croissance de 5,6% en 2015. Et ce sont les secteurs des services et de la construction qui se sont le plus démarqués dans cette région, face à une industrie manufacturière en perte de vitesse et un secteur minier assez restreint.
L’Afrique a résisté aux chocs exogènes provenant des marchés mondiaux
La croissance en Afrique Centrale serait de l’ordre de 5,5%. De grandes disparités existent entre les pays de cette partie du monde. Au moment où la République centrafricaine et la Guinée équatoriale ont continué à faire les frais d’une crise politique pour l’un et d’une diminution de la production de pétrole pour l’autre, le Cameroun, le Gabon, le Tchad et aussi Sao-Tomé et Principe peuvent se targuer de bénéficier d’une situation politique et économique plutôt stable qui a profité au secteur minier et des investissements s’y rapportant.
Pour sa part, l’Afrique de l’Ouest ferait légèrement mieux que la moyenne du continent. Prévue à 5% en 2015, cette expansion économique serait portée, entre autres, par le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Niger et Nigéria. Ces pays ont tiré profit de la politique de diversification économique menée depuis quelques années déjà et axée davantage sur les services, les industries manufacturières ou encore l’agriculture, quelque peu au détriment du secteur du gaz et du pétrole.
Enfin, l’Afrique du nord devrait avoir un PIB en hausse estimée à 4,5%. Nul n’est sans savoir que la croissance reste inégale dans cette région, affectée non seulement par les retombées des soulèvements politiques, mais également par des tensions internes, laissant la porte toujours ouverte à une forte instabilité politique mais économique aussi. La Libye, la Tunisie et dans une moindre mesure l’Egypte en sont un exemple éloquent.
Globalement, l’on peut dire que l’Afrique a plus ou moins bien résisté aux chocs exogènes provenant des marchés mondiaux, faisant état d’une chute des cours des matières premières. Grâce à la diversification des secteurs à forte valeur ajoutée, comme les services, la construction, l’infrastructure ou même l’industrie pharmaceutique, le continent a pu tant bien que mal maintenir son taux de croissance, pour la simple raison que dans ce continent tout, ou presque, est à faire. Cette usine de demain, cet eldorado des investisseurs se développe d’une manière tellement rapide que les économistes commencent à craindre un développement à deux vitesses. D’ailleurs, le montant des IDE en direction de l’Afrique a été multiplié par 5 depuis les années 2000. Et le reste du continent est devenu la 2e zone de prédilection des investisseurs après l’Afrique du nord. Toutefois, selon un rapport de la CNUCED, ces IDE auraient baissé de 31% en 2015 pour atteindre 31 milliards de dollars. L’Afrique du Sud a perdu 74% avec 1,5 milliard de dollars drainés l’année dernière contre 3,4 milliards pour le Nigéria, en baisse de 27% et 3,8 milliards pour le Mozambique en contraction de 21%. Visiblement, les pays occidentaux, dont notamment les Etats-Unis, ont réussi à regagner les faveurs des investisseurs en lien avec l’amélioration de la conjoncture mondiale, le renforcement du dollar, l’appréciation du taux de chômage… Le plus inquiétant, même les bourses africaines commencent à être désertées par les investisseurs étrangers du fait des faibles rendements qu’ils proposent comparativement à ce que rapportent les places financières des pays développés, connus pour leur volatilité et leur forte reprise dans un cycle haussier.
En tout cas, le FMI a déjà prédit pour 2016 une croissance mondiale en repli, avec un transfert des risques des pays développés vers les pays émergents et en développement, dont ceux de l’Afrique… Rien n’est pour le moins sûr, car la conjoncture économique globale bat encore en retraite pour nombre de pays, surtout ceux de la zone euro. Face à une Afrique qui peut offrir un retour sur investissement des plus intéressants à long terme, le choix des investisseurs matures serait déjà fait. Cela dit, le continent a bien des défis à relever en vue d’assurer une croissance inclusive, à commencer par le secteur agricole. Il est vrai que le secteur emploie 60% de la population active en Afrique mais sa contribution au PIB reste limitée à 30%. Pire encore, par manque d’espaces de stockage, de transformation et même de transport vers les autres marchés, la moitié de la production est gâchée. C’est désolant, surtout quand on sait que l’Afrique abrite 60% des terres non cultivées dans le monde et 37% des terres arables. Selon l’institut Amadeus, le montant des investissements à consacrer à ce secteur est de 50 milliards de dollars annuellement pour améliorer son efficacité.
En plus de ce secteur, l’Afrique dispose d’un atout non négligeable. Il s’agit des matières premières. En effet, la production de pétrole en Afrique est estimée à 13% de la production mondiale. Il possède près de 510 trillions de mètres cubes de réserves de gaz en plus de 1 042 trillions de mètres cubes de gaz de schiste. Non seulement cela, il détient la majorité des réserves mondiales de phosphate, or, cobalt, platine, chrome, manganèse et de bauxite. Pourtant, l’Afrique n’en profite pas pleinement, faute de moyens d’extraction et de transformation minière. Le Nigéria, par exemple, se positionne à la 1ère place en termes de production de pétrole en Afrique subsaharienne et, malheureusement, il importe plus de la moitié de ses besoins en hydrocarbures. En plus du manque de moyens de transformation, l’infrastructure de base est toujours déficiente. Que ce soit pour l’infrastructure routière, ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, l’Afrique reste un continent mal connecté entre ses pays. Pour le transport routier, bien des investissements ont été entamés ces dernières années, mais il n’en demeure pas moins que le manque d’infrastructures reste toujours visible, et reste conjugué à un coût très élevé. Il représente près de 14% du coût des exportations contre 8,6% seulement pour l’ensemble des pays en développement. Dans certains pays comme le Malawi, le Tchad ou le Rwanda, il peut s’élever jusqu’à 50%. De plus, en dépit du fait que le continent possède un grand nombre de ports, ceux-ci restent sous-équipés et disposent d’un faible niveau de productivité. D’autant que le trafic est mal adapté aux exigences du marché actuel ne serait-ce que vis-à-vis de la durée de séjour. Alors qu’elle est de 7 jours en moyenne maximale selon les critères internationaux, elle dépasse 2 semaines en Afrique subsaharienne. D’où l’importance d’orienter les investissements vers ce créneau pour un meilleur rendement des ports.
Un grand rôle à jouer en matière d’attractivité
L’infrastructure aérienne n’est pas en reste. Avec une flotte âgée d’une vingtaine d’années (10 ans en moyenne mondiale), un trafic de voyageurs de 4,5% et un taux de transport de frêt de 1,6% du trafic mondial, le secteur demeure toujours sous-équipé, affectant de fait le développement et la compétitivité des pays africains. Par ailleurs, le réseau ferroviaire africain ne dépasse pas 90 000 km pour une superficie de 30 millions de km2. En outre, plusieurs pays ne disposent d’aucune ligne ferroviaire à l’instar du Burundi, du Niger, du Tchad, de la Somalie, de la Guinée-Bissau…
Le bât blesse également au niveau de l’électrification. L’Afrique consomme à peine 3% de l’énergie mondiale et possède un taux d’électrification de 38% en moyenne seulement. Cela dit, des disparités existent entre les régions. Au moment où le taux d’électrification est de 17% au Mali, il est de 59% en Côte d’Ivoire et atteint 82% au Gabon. D’autant que le solaire, l’éolien, le géothermique et l’hydraulique constituent un énorme potentiel d’énergies renouvelables, qui demeurent toujours inexploitées à cause, encore une fois, du manque d’infrastructures aussi bien dans la production, le transport ou la distribution.
Ce manque d’infrastructures et de services de base a inévitablement affecté le déploiement de l’industrie manufacturière. Que ce soit dans l’artisanat, la pêche industrielle, le textile ou l’agroalimentaire, cette région du monde possède des avantages compétitifs par rapport aux autres pays. Mais encore une fois, le continent pâtit de certains obstacles qui empêchent son développement. Les défis auxquels doit faire face l’Afrique concernent également le secteur immobilier. En effet, pallier le déficit en logements est plus que jamais urgent, surtout face à une forte croissance démographique et à l’élargissement de la classe moyenne. Le Nigéria par exemple avec ses 170 millions d’habitants compte un déficit de 17 millions de logements. On comprend pourquoi les promoteurs immobiliers marocains se sont orientés vers ce marché encore vierge (Afrique subsaharienne surtout), qui offre un taux de rendement des plus intéressants.
Néanmoins, s’il y a des secteurs qui ont connu des expansions notoires, c’est bien ceux des télécommunications et des banques. Le taux de pénétration de la téléphonie mobile atteint même 100% dans les pays les plus avancés et 50% dans les pays les moins avancés. Le secteur bancaire, lui, a connu un grand déploiement ces dernières années également, que ce soit de la part de groupes africains ou étrangers, qui se livrent une bataille sans merci à coups de diversification de produits et de stratégie de développement.
Cela ne signifie pas forcément qu’il n’y a plus matière à investir. Au contraire, malgré l’expansion de ces dernières années, le continent reste sous-connecté dans le secteur des télécommunications. Si l’on prend l’exemple de l’Afrique subsaharienne, près de 15% seulement de la population est connecté au réseau de la 3G et même pas 1% au réseau 4G. De même, les Africains restent sous-bancarisés, avec un taux de bancarisation avoisinant à peine 18%.
L’Afrique a tout à gagner et est capable de continuer à attirer les investisseurs étrangers. Reste à assurer une bonne qualité de cette croissance et sa pérennité car, il faut le souligner, l’Afrique a aussi un grand rôle à jouer en matière d’attractivité. Allusion faite aux facilitations des échanges, aux politiques douanières, aux simplifications administratives et aux réglementations.
