Affaires
A quand le démarrage de la réforme globale des retraites ?
La réforme devait figurer dans la feuille de route des 100 premiers jours du nouveau gouvernement, il n’en sera rien. Le sujet est inscrit au menu revendicatif des syndicats en préparation du dialogue social. Pour certains spécialistes, il faut enclencher la dynamique dès à présent et ne pas attendre que la situation se dégrade.

Le sujet devait figurer dans la feuille de route des 100 premiers jours du gouvernement. A l’arrivée, 120 jours plus tard, le dossier est toujours en stand-by, sur le plan médiatique tout au moins. Le chef du gouvernement, Saad Eddine El Othmani, dans le bilan de ses quatre premiers mois à la tête de l’Exécutif n’en a en tout cas pas soufflé mot. Cela ne signifie pas qu’il n’y travaille pas, mais cela peut vouloir dire aussi que le dossier est plus ardu qu’il ne le pensait au moment de sa prise de fonction.
Le sujet en question, on l’aura peut-être deviné, c’est la réforme globale des régimes de retraite. Dans sa première intervention télévisée le 29 avril dernier, Saad Eddine El Othmani avait précisé à ce propos qu’il commencerait par réunir la Commission nationale chargée de la réforme des régimes de retraite, avant de fixer les grandes orientations ainsi que la méthodologie de cette réforme. Cette réunion, à proprement parler, n’a pas eu lieu. Une source syndicale a cependant confié à La Vie éco que le chef du gouvernement a bien tenu une réunion au courant de l’été sur ce dossier, sans que l’on sache toutefois, dans le détail, ce qui s’y est dit. Peut-être en saura-t-on un peu plus dans les semaines qui viennent, puisque le dialogue social reprend bientôt et le sujet est inscrit au menu revendicatif des syndicats, à côté bien sûr d’autres sujets (voir article en page 43).
A vrai dire, c’est peut-être là que réside le nœud du problème : cette réforme globale des régimes de retraite, plus que celle paramétrique de la CMR, a certainement besoin, pour son aboutissement, d’un consensus général. C’est une réforme de société pour tout dire, et l’accord des syndicats, représentants des salariés, est évidemment crucial. El Othmani le sait, et il est d’ailleurs possible que ce soit pour cette raison-là qu’il donne l’impression de prendre son temps avant d’enclencher le processus de réforme. Et puis, autre raison de ne pas trop se précipiter sur une réforme de cette ampleur, il n’y a pas véritablement le feu, maintenant que la réforme paramétrique de la CMR a été mise en place et qu’elle donne une dizaine d’années de répit à ce régime.
Diagnostiquer l’existant
Ce n’est pas l’avis de ceux qui pensent que la réforme globale a pris un peu de retard. Pour ceux-là, il faut enclencher la dynamique dès à présent et ne pas attendre que la situation se dégrade aussi bien à la CMR que dans les autres régimes. Car, soutiennent-ils, ce type de réforme prend beaucoup de temps et on a pu voir en effet que la réforme de la CMR, qui n’est pourtant que paramétrique, a pris pas moins d’une dizaine d’années. Que dire alors d’une réforme systémique ?
Un parlementaire siégeant à la Chambre des conseillers et proche de la majorité, explique à ce propos que les régimes existants présentent une telle hétérogénéité qu’avant de se lancer dans pareille réforme, le minimum de travail à entreprendre serait de diagnostiquer la situation de chacun et, pourquoi pas, de mettre à niveau ceux dont la situation est problématique. Notre parlementaire croit d’ailleurs savoir que le cas du RCAR a été évoqué dans ce sens, lors de la réunion du chef du gouvernement sur le sujet des retraites, au courant de cet été finissant. «Cela tombe sous le sens, poursuit-il, puisque le schéma de réforme qui semble faire consensus jusqu’à présent, c’est celui qui consiste à créer deux pôles, l’un public et l’autre privé. Et on ne peut pas imaginer qu’un pôle puisse être mis en place sans que ses constituants ne soient préalablement diagnostiqués et, éventuellement, réformés. Pour la CMR, c’est déjà fait, quid du RCAR?».
Et le pôle privé alors ? La CNSS, en ce qui la concerne, a déjà mis le pied à l’étrier si l’on peut dire, puisqu’elle a lancé un appel d’offres pour sélectionner un bureau d’études qui aura pour mission de réaliser un diagnostic complet du régime et de proposer un scénario de réforme «le plus adéquat possible» (voir les détails dans La Vie éco du 10 mars 2017 (www.lavieeco.com). Quant à la CIMR, régime complémentaire facultatif, elle a déjà opéré sa réforme en 2003 et sa situation ne présente aujourd’hui aucune inquiétude.
A tout cela, il faut sans doute ajouter que la Cour des comptes, après celui de 2013, prépare un nouveau rapport sur la situation des régimes de retraite, dont la publication est annoncée pour 2018. Pour sa part, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), sur saisine du gouvernement, a produit fin 2014 un rapport où il s’est prononcé non seulement sur l’objet de la saisine, à savoir la réforme paramétrique de la CMR, mais également sur la réforme globale des systèmes de retraite, considérant que les ajustements à apporter à un régime ne sont finalement qu’une étape qui doit s’articuler avec l’objectif ultime, celui de la réforme systémique.
Une réforme à la fois simple et difficile
Ce rapport du CESE, il faut bien le dire, représente une précieuse contribution pour la réforme des systèmes de retraite au Maroc. En particulier, il esquisse la méthodologie à suivre et décline les principes fondamentaux devant guider la réforme, toutes choses de nature à apporter l’éclairage nécessaire au travail à accomplir.
Partant de là, la réforme globale dont on parle tant mais dont on ne voit pas encore le début du commencement, paraît à la fois simple et difficile. Simple, parce qu’un énorme fond documentaire existe sur le sujet (voir encadré) et qu’un consensus est en principe acquis sur sa nécessité. Difficile, car la réforme des retraites, où qu’elle a lieu, ne passe presque jamais comme une lettre à la poste. A mesure que l’on entre dans le détail, des divergences apparaissent, les accords de principes se dissipent et la machine se grippe peu à peu. La tentation d’y renoncer ou de surseoir à la réforme serait alors grande, mais cela reviendrait à différer les problèmes et par conséquent à les rendre plus complexes. Passer en force est une autre alternative mais cela peut entraîner un coût social lourd. D’où l’intérêt de redonner au dialogue social toute la place qu’il mérite sur la scène économique et sociale du pays. D’ailleurs, le Conseil économique, social et environnement, dans son rapport de 2014, insiste lourdement sur l’importance du dialogue social entre les partenaires sociaux (syndicats des travailleurs et des entrepreneurs) et le gouvernement. Pour lui, le dialogue social est en fait le «garant de l’adhésion et de la réussite de toute réforme».Avec le précédent gouvernement, le dialogue social, rappelons-le, a connu des hauts et des bas, et même plus de bas que de hauts. M. El Othmani, moins raide que son prédécesseur, saura-t-il accorder les positions des uns et des autres, trouver des points de convergences et finalement re-tisser les liens de confiance, longtemps distendus, avec le monde syndical ?
[tabs][tab title = »Un dossier en discussion depuis 15 ans« ]Voici quatorze ans se tenaient les premières assises de la retraite. C’était en 2003. Peu auparavant, un cabinet international avait produit un rapport sur le sujet qui a servi de base de discussion lors des assises en question. Sept ans plus tard, un autre rapport, réalisé par Actuariat, a été rendu public par la Commission nationale chargée du secteur de la retraite où l’on apprenait que les régimes de retraite étaient quasiment tous menacés de faillite. Le HCP ne sera pas en reste puisqu’il ”sort” son propre rapport en 2012, dans lequel la variable démographique a été mise à profit pour souligner les risques que faisaient peser le vieillissement de la population sur les caisses de retraite. Last but not least, la commission technique, sur demande de la Commission nationale chargée du secteur de la retraite, a produit en janvier 2013 un mémorandum où elle propose la mise en place d’un système de retraite bipolaire, un pôle public et un pôle privé. Finalement, ce n’est qu’à l’automne 2016 qu’une mini-réforme, celle de la CMR, a pu voir le jour… [/tab][/tabs]
