9,8% de chômeurs… et 10% de sous-employés

Un peu moins de la moitié des actifs occupés sous-employés sont des salariés.
Le sous-emploi touche particulièrement les jeunes.
Cette dernière décennie, le phénomène a toutefois baissé de 4 points.
Depuis plusieurs années le taux de chômage est en baisse continue. C’est assurément une bonne nouvelle pour le Maroc, sauf que les actifs occupés, eux, ne sont pas tous logés à la même enseigne. En matière d’emploi, l’opinion publique et les observateurs de la scène socio-économique ne s’intéressent bien souvent qu’à un seul indicateur : le taux de chômage. Celui-ci est, certes, important et nécessaire, mais il demeure largement insuffisant dans les économies -comme celle du Maroc- faiblement structurées, pour rendre compte de leur capacité (ou leur incapacité) à créer des emplois et donc à résorber le chômage.
D’ailleurs, quand on observe les statistiques du Bureau international du travail (BIT) sur le chômage dans les pays émergents à niveau de développement comparable, ou presque, à celui du Maroc, on aurait tendance à penser qu’ils sont en situation de plein
emploi ou s’en approchent : 3,5% au Mexique, 3,3% en Malaisie, 4,2% en Slovénie, 4,4% en République tchèque, 5,6% en Bulgarie, 5,8% en Roumanie, 7,4% aux Philippines, 7,5% au Chili, 8,4% en Indonésie, 8,9% en Egypte et 9,6% au Maroc (chiffres de 2008, les seuls disponibles pour la comparaison). Or, à l’évidence, aucun de ces pays n’est dans le plein emploi. Cela explique, soit dit en passant, le scepticisme qui entoure souvent les chiffres sur le travail et l’emploi au Maroc, comme ailleurs.
Au Maroc, les dernières statistiques sur l’emploi, relatives à la fin du troisième trimestre 2009, situent le chômage à 9,8%. Qu’est-ce qui explique donc le décalage entre ces faibles niveaux de chômage et la perception de précarité plus importante ? Tout simplement le fait qu’une partie non négligeable des actifs accepte de travailler quelles que soient les conditions offertes : temps de travail réduit, rémunération insuffisante ou inadéquate par rapport à la formation ou la qualification reçues…Cela s’appelle le sous-emploi. Et cette variable, publiée par le Haut Commissariat au plan (HCP) y compris, depuis peu, dans ses statiques infra-annuelles, est précieuse pour corriger, relativiser le niveau du chômage.
Ainsi, au Maroc, si le taux de chômage est légèrement inférieur à 10%, le sous-emploi, lui, se situe quasiment au même niveau : 10,2%, selon la dernière enquête du Plan. Autrement dit, sur les 10 209 000 personnes actives occupées,
1 046 000 sont sous-employées.
Plus intéressant à relever, le niveau de chômage subit, entre autres, l’influence (positive ou négative) du sous-emploi, ce qui tendrait à démontrer que tous les emplois créés ne sont pas stables : statistiquement lorsque le premier baisse, le second augmente. Si l’on prend l’exemple du troisième trimestre 2009, on constate en effet que tandis que le taux de chômage a reculé de 0,1 point par rapport à la même période de 2008, en passant de 9,9% à 9,8%, celui du sous-emploi a par contre augmenté de 0,8 point en s’établissant à 10,2% contre 9,4% un an auparavant (9,6% pour l’ensemble de l’année 2008). En schématisant un peu, on pourrait ainsi considérer qu’environ
20% de la population active sont en situation de précarité ; sans parler de la portion de la population que la statistique, objectivement, et en dépit des progrès qu’elle a connus ces dernières années, n’a pu appréhender.
Le BTP, premier secteur où le sous-emploi est élevé
Le secteur primaire étant encore le plus gros pourvo-yeur d’emplois (40%, contre 12,8% pour l’industrie, 9,5% pour le BTP et 38% pour les services), c’est ici que se trouve la plus grosse concentration des actifs sous-employés où ils représentent 47,2 %. Cependant, en termes de proportion, le sous-emploi affecte en premier lieu les travailleurs du secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) avec un taux de sous-emploi de 14,1% ; l’agriculture, forêt et pêche venant en deuxième position avec un taux de sous-emploi de 12,2%, contre 9,9% un an auparavant. L’industrie, peu créatrice d’emplois, a, elle, le taux de sous-emploi le plus faible : 7,6%. On aurait ainsi tendance à penser que là où il y a plus d’emplois, il y a mécaniquement plus de sous-emploi. Cela peut paraître «évident», ça ne l’est pas, ou pas forcément! A preuve, le secteur des services, qui fournit 38% des emplois au niveau national, a un taux de sous-emploi de 8,2% ; ceci s’expliquant très probablement par l’important apport de l’administration publique, nationale et territoriale, en termes d’emplois. D’ailleurs, le taux de sous-emploi selon le secteur employeur le montre bien : seulement 2,9% dans le public et le semi-public. Par contre, dans le secteur privé, le taux de sous-emploi est de 11%. Autrement dit, les travailleurs du secteur privé représentent l’essentiel (plus de 90%) du volume global des actifs sous-employés.
Par statut professionnel, un peu moins de la moitié (47,1%) de la population active occupée sous-employée sont des salariés. Par milieu, la très grande majorité des citadins sous-employés sont des salariés, avec une part de 70,2%. Dans les campagnes, en revanche, ce sont les aides familiales qui constituent le gros (44%) des sous-employés, suivies de loin par les salariés (31%).
Comme pour le chômage, le sous-emploi touche surtout les jeunes. Et particulièrement ceux de la tranche d’âge 15-24 ans : 15,9% (12,4% dans les villes et 17,7% dans les campagnes). La tranche 25-34 ans n’est guère mieux lotie avec 13,9%
(11,8% dans les villes et 16,3% dans les campagnes). C’est l’âge avançant que le sous-emploi recule : 4,3% pour les actifs occupés âgés de 45 ans et plus.
Par niveau de diplôme, le phénomène du sous-emploi frappe presque à égalité les actifs occupés ayant un niveau moyen (11,6%) et les sans-diplôme (10,1%). Pour autant, les diplômés du supérieur ne sont pas épargnés par le sous-emploi : 8,5% ; ceux des campagnes davantage (10,2%) que les citadins (8,5%). Enfin, «curieusement» (eu égard au contexte culturel), le sous-emploi touche plus les hommes (11,6%) que les femmes (6,6%).
Le sous-emploi touche surtout les jeunes
Bien évidemment, le phénomène du sous-emploi régresse à mesure que l’économie se structure et que l’éducation progresse. Cette dernière décennie, le taux de sous-emploi a perdu 4 points -presque autant que le chômage- (voir tableau). Mais, aussi bien le sous-emploi que le chômage restent encore à des niveaux relativement élevés. Surtout lorsqu’on sait que les deux phénomènes touchent tout particulièrement les tranches d’âge les plus jeunes de la population.
Par ailleurs, la structure de l’emploi au Maroc reste dominée par les sans-diplômes : 67,4%. Autrement dit, plus des deux tiers des actifs occupés n’ont aucun diplôme En y ajoutant la part des diplômés du niveau moyen
(21,9%), cela fait près de 90% de la population active occupée, c’est-à-dire plus de 9 millions de personnes sur un peu plus de 10 millions, qui n’ont pas de vraies qualifications ou à tout le moins de niveau d’éducation élevé. Même constat concernant l’emploi selon le niveau scolaire : 36,5% n’ont aucun niveau scolaire et 26,7% ont tout juste fréquenté l’école primaire. Cette faiblesse du niveau scolaire et l’absence de diplômes trouvent leur traduction concrète dans la structure de l’emploi par grands groupes de professions. En effet, le groupe de profession «ouvriers et manœuvres agricoles et de la pêche» constitue plus d’un quart (25,6%) des actifs occupés. Il est suivi par le groupe «artisans et ouvriers qualifiés des métiers artisanaux» qui en représentent 18,2%; et, en troisième lieu, par celui des «manœuvres non agricoles, manutentionnaires et travailleurs des petits métiers» avec une part de 15,7%. Cela fait environ 60% (59,5% exactement) de la population active occupée qui exercent des métiers d’ouvriers, de manutentionnaires et d’artisans.
Bien des choses trouvent là leur explication, et notamment la faible valeur ajoutée des produits fabriqués et, en bout de chaîne, les difficultés du secteur exportateur.
C’est certainement à ce niveau que se trouve l’une des fragilités, sinon «LA» fragilité de l’économie marocaine. Une croissance forte, et surtout durable, ne peut pas reposer sur la sous-traitance, surtout celle qui repose sur une main-d’œuvre à faible coût donc peu qualifiée, ni sur les services à faible valeur ajoutée.