Sami Al Maghribi, l’ultime exil

Au soir du dimanche 9 mars, l’immense Sami Al Maghribi a rendu l’à¢me ?
Avec la disparition de ce compositeur-interprète prolixe, superbe et généreux, un pan entier du patrimoine musical judéo-marocain s’est écroulé.?
Portrait.

La contribution des juifs à  la chanson marocaine n’est plus à  prouver. Beaucoup de musicologues la font remonter au lendemain de la chute de Grenade (1492), quand des réfugiés épris de musique ont rapporté dans leurs bagages les canons du tarab al’ala pour les affiner et les enrichir. Trois siècles plus tard, leurs descendants importèrent de l’Algérie proche des «noubas» du tarab al-gharnati. Au XXe siècle, Salim Lahlali introduisit dans la chanson marocaine le flamenco espagnol et Sami Al Maghribi le hawzi algérien.

A sept ans, il s’enrôle dans un groupe musical du mellah de Rabat
De tous les chanteurs juifs qui ont marqué la scène musicale marocaine, Sami Al Maghribi, Shalomon Amzellag de son vrai nom, était le plus écouté, le plus adulé. A l’époque o๠le tourne-disque avait remplacé le nasillard phonographe à  pavillon, nos parents et grands-parents se passaient ses tubes en boucle. Ils se souviennent aujourd’hui encore avec émotion de la complainte de l’amant jaloux, Qaftanek mahloul ya lalla, ou de la supplication de la dame de cÅ“ur, Khallini khallini maâk. Et tant et tant de mélodies accroche-cÅ“urs.

Le nomadisme fut le lot de Sami Al Maghribi.
C’est à  Safi, en 1922, qu’il vit le jour. Quatre ans plus tard, son tailleur de père décida de transporter ses ciseaux à  Rabat. La cité océane n’avait d’oreilles que pour la musique andalouse. L’enfant s’en repaissait à  longueur de journée. Il y prit tellement goût qu’il s’enrôla, à  sept ans, dans un groupe musical du mellah. Il fit valoir sa voix, qu’il avait chaude et caressante. Mais, ne se contentant pas de cet organe, il s’exerça au maniement du luth et à  l’art de la mandoline, instrument qu’il fabriqua de toutes pièces.

La voie du futur Sami Al Maghribi était toute tracée.
Elle fut contrariée par son père, peu disposé à  voir son fils chéri entreprendre une carrière incertaine. Alors, il le força à  poursuivre ses études. Shalomon s’ennuyait sur les bancs scolaires et il ne tarda pas, au risque de s’attirer les foudres paternels, à  déserter le collège. Pour s’assurer le gà®te et le couvert, il accepta un vague poste de directeur commercial dans une vague société. Deux ans après, il rendit son tablier et s’en alla s’inscrire au conservatoire de musique de Casablanca.

Perfectionniste, celui qui n’était pas encore Sami Al Maghribi cherchait la compagnie édifiante des maà®tres de la musique judéo-marocaine. Salim Lahlali, Cheikh Larbi Bensari et Cheikh Redouane Bensari lui transmirent volontiers leur art. Avec un tel viatique, il pouvait se jeter à  l’eau. Education religieuse oblige, c’est d’abord dans le chant liturgique juif qu’il fit entendre sa voix. Ensuite, il bifurqua vers la romance.
Ce qui nous a valu quelques perles telles que Bqit mahmoum, Had lhoub lghaddar, Qaftanek mahloul, Ay ay koun kanou âandi lemlaynÂ…

Les convulsions de l’histoire lui firent prendre le chemin de l’exil, en 1967
Ce qui frappe et en impose chez Sami Al Maghribi, c’est son éclectisme. S’étant abreuvé à  plusieurs fontaines, il avait le don de naviguer dans des genres aussi différents que la ala, le gharnati, le malhoun ou le hawzi. Avec un égal bonheur. De surcroà®t, il était capable de briller à  la fois dans le registre sentimental (Mal hbibi malou), la chanson nationaliste (Alf hniya wa hniya, à  l’occasion du retour d’exil du Roi Mohammed V) ou le chant de deuil (Agadir, créée en 1960 à  la suite du séisme qui a dévasté la ville).

Couvert de gloire dans son pays natal, Sami Al Maghribi ne l’aurait pas quitté pour tout l’or du monde. Mais les convulsions de l’histoire en décidèrent autrement. Après la guerre des Six jours, il prit le chemin de l’exil. Il s’installa, la mort dans l’âme, à  Paris, o๠il remballa son luth et endossa l’habit de rabbin dans une synagogue hispano-portugaise. Quelques années plus tard, il jeta son froc aux orties pour retouver la scène. Le Canada fut sa seconde étape dans l’exil. Il y mena une vie brillante, mais le Maroc le hantait. Ce n’est qu’en 2005 qu’il y remit les pieds. La chaà®ne 2M l’accueillit pour une soirée mémorable, pendant laquelle il donna toute la mesure de son talent toujours étincelant. Aujourd’hui, Sami Al Maghribi a rejoint le paradis des artistes.
Là , il ne pourra se faire de mauvais sang pour un simple caftan entrouvert.