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Culture

Ce qu’ils se sont jeté à  la figure

Les médias n’ont pas, pour le moment, donné l’écho qu’il mérite à  cet ouvrage édité en France, dont le lecteur occidental aurait pourtant beaucoup à  apprendre tant l’argumentaire, essentiellement dans la partition pro-palestinienne, est bien fourbi. Extraits concernant deux questions nodales : les origines du conflit et les kamikazes.

Publié le

le conflit
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Guy Sitbon : Admets-tu que, chez les Palestiniens, le refus d’Israël est encore vivace, puissant et actif ?
Hamid Barrada : J’admets que, chez les Israéliens, le refus de la Palestine est vivace, efficace, ancien et actuel. Tu veux absolument que, du côté arabe, ce soit ceux qui refusent l’Etat d’Israël qui dominent parce que cela t’arrange: tu peux ainsi dispenser les Israéliens de toute responsabilité. Les jusqu’aux-boutistes palestiniens ou arabes peuvent dominer dans une certaine conjoncture. L’opinion peut changer. Tant que tu détruis leurs maisons, ils veulent te détruire ! Cela s’appelle la vengeance, la colère, le désarroi, le désespoir. Celui qui choisit de se transformer en bombe humaine, tu ne vas pas lui demander de t’aimer. S’il pouvait détruire Israël, il le ferait. Si tu lui apportes un mieux-vivre, une accalmie, un développement économique et la paix, il finira par éprouver d’autres sentiments à ton égard. Et puis, le refus arabe, les Israéliens en ont besoin pour faire oublier leur expansionnisme. Ils ne veulent rien donner, par conséquent, ils disent que les Arabes refusent. C’est une ruse de guerre qui ne trompe plus personne.
G.S. : Qu’est-ce qui indique que le refus arabe n’existe plus ?
h.b. : Vous avez la puissance, vous êtes les plus forts. On donne des garanties aux faibles, pas aux forts. En face d’une situation léonine, que faire d’autre que de refuser ? Pourtant, depuis vingt ans, les Palestiniens n’ont pas cessé d’accepter ceci, puis cela. Mais les Israéliens vont répétant «refus arabe, refus arabe», de manière à dissimuler leur propre refus de l’Etat palestinien.
G.S. : Depuis le déclenchement de la deuxième Intifada, la plupart des Juifs pensent : «Les Arabes ne nous accepteront jamais.»
h.b. : Ils ne sont pas stupides. C’est la nation la plus intelligente de la terre. Ils lisent la presse arabe, ils connaissent les dirigeants, ils nous connaissent peut-être mieux que nous nous connaissons…
G.S. : Dans le monde arabe, il y a plus de passion que d’intelligence. Je crois que les Arabes ne se connaissent pas ou refusent de se voir comme ils sont.
h.b. : Soit ! Alors soyez intelligents pour deux et aidez-nous, de grâce, à mettre fin à cette guerre qui n’a que trop duré.
G.S. : Les deux Premiers ministres palestiniens successifs sont on ne peut plus intelligents et ouverts… Ils sont, comme moi, contre la violence palestinienne. Ils sont soutenus par 2 % de leur peuple. Arafat les torpille. Dans les cœurs, le refus d’Israël reste intact.
h.b. : Le refus arabe existait avant 1967, peut-être avant 1973 ou même jusqu’à Oslo. Aujourd’hui, les moyens d’un refus arabe n’existent plus. Les Arabes reconnaissent Israël.
G.S. : Certains discours ont changé. Pas celui du Hamas, pas celui du Jihad islamique, pas celui du FPLP, pas celui de…
h.b. : Veux-tu que j’énumère les partis israéliens qui refusent ? Il y en a même qui sont au gouvernement. Quand on négocie, il y a toujours des gens qui refusent. Ce n’est pas l’essentiel. Ce qui est en cause en Palestine, ce n’est pas la reconnaissance d’Israël, qui est acquise, c’est l’acceptation d’un Etat palestinien à côté d’Israël et la fin de l’occupation. (…)

bombes humaines
(…)
h.b. : Naturellement. Mais tu veux, à tout prix, réduire le combat des Palestiniens à un cliché aussi vieux que la propagande, à savoir que de pauvres bougres innocents sont manipulés, de la chair à canon, etc., par des chefs malins qui restent dans leur coin douillet. Ce n’est pas la vérité, ne serait-ce que parce que lesdits chefs sont ciblés et beaucoup d’entre eux meurent.
G.S. : Ils sont visés, en tout cas. Ce que je veux dire, c’est que l’attentat-suicide, ce n’est pas le chef qui y va. Que sa vie soit en danger, c’est évident.
h.b. : Le cliché des gosses manipulés est faux.
G.S. : Je dis que ces kamikazes ne commettraient pas leurs crimes sans l’organisation et la politique de cette organisation. Et leurs chefs agissent d’abord contre leur propre peuple – à l’égard duquel j’éprouve, contrairement à ce que tu crois, de la compassion. Dans l’ensemble, les Palestiniens sont un peuple de qualité. Vois comme leur culture et leur savoir-faire progressent en Jordanie, dans le Golfe, en Amérique. Beaucoup d’entre eux parlent trois langues : l’arabe, l’anglais et l’hébreu. Les Palestiniens d’Israël sont des Hébreux, ils lisent plus couramment la Thora que la plupart des Juifs de la diaspora, en tout cas, mieux que moi. Au contact des Juifs, ils se frottent tous les jours, parfois rudement, à l’univers occidental. Un début de démocratie est né en Palestine: Parlement, partis et presque des débats. Tous les ingrédients sont là pour un avenir brillant. Ils n’ont plus qu’à remplacer le nationalisme arabo-islamique, qui les tue, par un véritable nationalisme palestinien qui se poserait une seule question : «Où sont les intérêts de la nation palestinienne ? Dans la coexistence avec les Juifs ou dans l’Intifada ?
h.b. : Je voudrais reprendre ma réflexion sur les bombes humaines, qui est, je le répète encore, ambiguë. Leur effet est de bloquer toute évolution vers la paix chez l’adversaire, Israël, et contribue à faire le jeu de Sharon et de la droite israélienne qui, cela me paraît évident, ne sont pas favorables à un Etat palestinien. Sharon, propagande mise à part, est pour un grand Israël. S’il accepte un Etat palestinien, c’est un Etat invivable. Je ne le juge pas sur les intentions, mais sur les faits – son attitude et sa position vis-à-vis d’Oslo, de la feuille de route, etc. – que tout le monde peut constater. Israël, aujourd’hui, représenté par son gouvernement légitime dirigé par Ariel Sharon, fait une politique de guerre parce qu’il pense que la conjoncture internationale le lui permet. La situation sur le terrain le lui permet aussi, parce que l’adversaire n’en peut mais. Faute d’autres moyens, celui-ci utilise des bombes humaines, ce qui sert le dessein de Sharon. Voilà le raisonnement que font Sharon et son ministre de la Défense, le général Mofaz.
Dans ce contexte, j’aurais imaginé que les Palestiniens auraient adapté leurs armes, en particulier les bombes humaines, en sorte de ne pas faciliter la tâche à l’adversaire. Mais j’avance une telle réflexion ou un tel souhait avec prudence, parce que, dans la guerre, les hommes ne choisissent pas nécessairement leurs armes. Le choix des armes est un atout entre les mains de la puissance et non de la faiblesse. Les Palestiniens n’ont pas choisi les kamikazes comme sur le rayon d’un magasin…
G.S. : Pas du tout. Ce n’était justement pas en magasin. Ils ont fait une invention de génie.
h.b. : Ils ont recouru à cette arme poussés par la nécessité, parce qu’il ne leur restait rien d’autre. Cela m’amène à ce que je voulais ajouter. Je me demande si, en fin de compte, l’utilisation des bombes humaines n’a pas été positive. Je vais dire en quoi.
La disproportion des forces est telle que, normalement, on devrait assister à une soumission absolue des Palestiniens. Parce que je ne crois pas à la bonne volonté de Sharon et de l’armée israélienne, comme René Char ne croyait pas à la bonne foi des vainqueurs. On ne peut y croire qu’en cédant à la propagande ou sous le coup d’un angélisme délibéré. Or, tu n’es pas angélique, tu le deviens pour les besoins d’une mauvaise cause. Les Israéliens ne peuvent s’arrêter, se retenir, que sous l’effet d’une puissance en face d’eux. La retenue n’est pas dictée par la morale, mais par le rapport de forces. Je n’y peux rien. Alors, je constate – c’est difficile à dire, mais c’est la vérité – que les Palestiniens ont sauvé l’avenir en utilisant les bombes humaines. C’est le contraire de ce que tu soutiens.
Je crois que le peuple et le gouvernement israéliens découvrent qu’en face d’eux il n’y a pas seulement des gens soumis, à exterminer ou à chasser, ou qui vont finir par se chasser eux-mêmes. Ils découvrent une force qui résiste avec les moyens qui lui restent, avec laquelle il sera mieux, vaille que vaille, de cohabiter, de chercher une solution de paix. Car on cherche la paix lorsqu’on ne peut plus exterminer. La puissance très puissante finit par devenir raisonnable parce qu’elle se heurte au terrorisme et que sa propre population subit les conséquences d’une politique que l’on croyait la meilleure. Sharon a promis à ses concitoyens la paix et la sécurité; il ne leur a apporté ni l’une ni l’autre.
Les Palestiniens vont peut-être mettre fin aux actions violentes parce qu’ils auront réussi à se faire respecter et voudront laisser ses chances à la politique. Les Israéliens vont découvrir qu’il y a, peut-être, une autre politique à mener. Et on va commencer à chercher des formules de paix, ce qui se passe depuis l’Accord de Genève entre Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo et le projet intitulé «La Voix du peuple» négocié entre Sari Nusseibeh et Ami Ayalon.
Je m’arrête ici (…)