Abdessalam Amer, la lune rouge

Le dernier film de Hassan Benjelloun retrace la vie d’une icône de la chanson marocaine : Abdessalam Amer. Un hommage qui mérite d’être salué.
La lune rouge est son dixième long métrage. Avec ce dernier-né, Hassan Benjelloun ne fait que confirmer sa nature romantique et sa nostalgie des temps d’avant. Au cœur de son film, un personnage touchant, malmené par l’existence, qui par une incroyable force de caractère et un goût prononcé pour la vie, est arrivé là où on l’attendait pas, qui aurait pu aller plus loin, si ce n’était l’acharnement du destin et des hommes. C’est la vie tumultueuse d’Abdeslam Amer, cette icône de la musique arabe qui a été à l’origine de titres marquants de l’histoire de la chanson marocaine. La lune rouge, titre du film, traduction de Al Qamar Al Ahmar du grand Abdelhadi Belkhayat, ou encore l’éternelle Rahila de Mohamed Hayani. Des compositions, nous expliquera le film, davantage inspirées du patrimoine andalous que de la musique orientale, contrairement à ce que l’on peut croire.
D’entrée de jeu, le film commence par une scène d’accouchement captivante. On y verra Ouassila Sabhi souffrir en plein travail, avant de donner naissance à cet enfant tant attendu, qui perdra son père dans les premiers jours de sa vie et la vue peu d’années plus tard. Un trachome ou une fièvre mal soignée privera le petit Abdessalam de la lumière du jour, laissant dans le désarroi une mère indigente. Bien que l’actrice soit convaincante dans son rôle de mère seule livrée à elle-même, la cadence du film ne lui laisse pas le temps de toucher le téléspectateur. Car le petit Abdessalam grandit… vite. Dès l’enfance, il séduit par son intelligence et étonne par des aptitudes physiques incroyables chez quelqu’un de sa condition. Abdessalam brille tant par son érudition que par son humour caustique. Sa nature joviale est traduite à souhait dans ce film, au point de cacher l’aspect dramatique de sa vie. Ses innombrables malchances sont devinées, mais noyées dans une insouciance qui, voulue ou pas, nous fait passer à côté de son malheur.
Autre fait intéressant, l’histoire d’Abdessalam avec la musique semble naître de façon fortuite vers la fin de ses années scolaires. Nous ne le verrons pas chantonner à son jeune âge ou écouter sur la radio ces grandes idoles qu’il semble vénérer. L’amour de la musique surgira tardivement, comme ce talent de compositeur qu’on lui reconnaît. Là aussi, les obstacles et autres embûches rencontrés lors de son parcours sont omis, bien qu’on note la difficulté d’enregistrer ses morceaux aux studios de la RTM, ce qui relève du burlesque au temps des stars youtube. Pour ceux qui n’ont pas connu Abdessalam Amer, il ne sera pas clairement dit pourquoi on lui mettait des bâtons dans les roues ou comment on s’engraissait sur son dos, comme le précisait sa femme. On ne mesurera pas non plus l’immense succès de ses morceaux au Maroc, même si on le devine à travers sa notoriété dans les pays voisins et jusqu’en Égypte, berceau de la musique arabe.
Après le putsch de 1971, on verra clairement cette fois-ci le déclin de l’icône. Pour tout crime, il aura annoncé le coup d’État à la radio où il travaillait. La disgrâce le poursuivra jusqu’à la tombe. Le film divulgue alors la pseudo-liberté de la création du temps des années de plomb. Une liberté qui n’est, toujours, pas tout à fait acquise.
L’un des points forts de ce biopic reste le choix du musicien Fettah Ngadi pour ce rôle. Non-voyant certes, mais qui se révèle surtout bon comédien, en plus de son talent reconnu de compositeur. Le rôle d’Abdessalam Amer aura servi à dévoiler le comédien et à valoriser le musicien. À ses côtés, on trouvera un nombre de jeunes talents de la chanson marocaine contemporaine qui se sont également laissés tenter par l’expérience du cinéma et qui s’en sont assez bien sortis. Côté tournage, le décor planté nous renvoie d’emblée au cœur des années de plomb. Côté récit, enchaîné par les faits réels qu’il doit transcrire, Hassan Benjelloun n’a pas la main libre et l’on est loin de la fluidité de la fiction «Où vas-tu Moshé?».
Hormis les quelques détails qui frustrent (non de dépit mais de soif d’en savoir plus), le film mérite toute la reconnaissance qu’on doit à un hommage et l’on remerciera Hassan Benjelloun de réconcilier le public avec le temps d’or de la chanson marocaine, où l’on avait des idoles, des chefs-d’œuvre et des horizons plus ou moins ouverts.