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Culture

«Al Bahr min waraikoum» de Hicham Lasri : Back to black

«The sea is behind» a été projeté le 14 décembre dernier en première mondiale au 11e Festival du film de Dubaï. Le troisième film de Hicham Lasri, qui sort cette année, s’annonce troublant. Rencontre avec Malek Akhmiss qui campe le personnage principal de cette fable cauchemardesque.

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Deux teasers savamment distillés sur le Web annoncent la couleur ou plutôt l’absence inexorable de couleurs : Hicham Lasri retourne à son noir et blanc fétiche et à ses atmosphères lugubres, peuplées d’étranges créatures.

Une cour des miracles mouvante s’offre au spectateur : Narguant voitures et tricycles, une «h’dya» tractée par un cheval décharné et suffocant avance comiquement sur la chaussée.

Affublé de paillettes, Tarik est le clou de ce spectacle peu ragoûtant. Sur son estrade flottante, il se déhanche avec talent, sous les ovations d’une foule bizarroïde, ivre de danse et de chants. Jusqu’ici, tout va bien. Ceci est un mariage, circulez, il n’y a rien à voir. Mais un gros plan sur le visage du danseur dévoile l’horreur derrière le masque de joie.

Le regard est mort et un rictus d’amertume déchire cette face fardée. «The sea is behind est le récit tragi-ironique d’un monde imaginaire où les gens sont des animaux et où les animaux sont des parasites», lit-on sur Internet.

Pourquoi cette description grinçante ne nous étonne-t-elle pas ? C’est que, depuis The end, le premier long-métrage de Lasri, nous avons appris à connaître (un peu) ce drôle d’oiseau.

Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir

Nous le savons épris de métaphores glaçantes d’une réalité marocaine pas très glorieuse. Celle de la haine, du mépris de soi et des autres. Celle où l’humain n’a pas beaucoup de valeur, en dépit des discours. «Le film montre la face cachée de la société. Il dénonce la violence, le conservatisme et l’intolérance.

Le film met le citoyen face à sa propre réalité pour le pousser à se remettre en question et peut-être à rectifier le tir», explique, optimiste, Malek Akhmiss, qui campe le rôle de Tarik, l’artiste de H’dya exploité par son père.

D’un naturel plutôt joyeux, le comédien a dû en baver avec ce personnage tragique à la limite de l’autisme, privé de libre-arbitre et de dignité, réduit au rang de marionnette esclave. «J’ai lu et relu le scénario pour décortiquer mon rôle.

Puis j’ai rencontré Hicham Lasri et nous avons analysé le personnage. Il s’agissait de construire quelque chose de riche et crédible», confie l’acteur. «La cohabitation était dure physiquement et émotionnellement.

La difficulté de ce rôle réside dans l’absence quasi-totale de dialogue (parce que le dialogue aide l’acteur à exprimer ces émotions avec les mots).

Le personnage est enterré dans un mutisme quasi-total, c’est son visage et surtout ses yeux qui expriment tout ce qu’il veut dire par les mots», poursuit Malek Akhmiss, que la difficulté ne rebute pas. «Je déteste les rôles linéaires. J’aime me mettre en danger. C’est ce qui me permet d’aller chercher au fin fond de mes tripes».

L’artiste dit connaître Hicham Lasri depuis une quinzaine d’années. Il a eu «la chance» de jouer dans tous ses films. Un réalisateur que Malek Akhmiss qualifie d’«humain», tout sauf «dictateur», avec qui il est toujours possible de proposer, de débattre. «C’est ce qui rend le travail enrichissant».

Al Bahr min waraikoum a été projeté en première mondiale le 14 décembre dernier lors du Festival de Dubaï. «Un festival important où le cinéma arabe est très présent. J’y ai fait de belles rencontres professionnelles avec des réalisateurs et des producteurs internationaux», clame Akhmiss.

Son Tarik triomphera-t-il dans les festivals du monde comme le Majhoul de C’est eux les chiens, deuxième opus du réalisateur (22 prix jusqu’à présent) ? Et surtout, vaincra-t-il le désespoir, la folie et la servitude ? Vu la citation de Louis Ferdinand Céline choisie par Lasri, on en doute fort: «La vie c’est ça, un bout de lumière qui finit par la nuit».